Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelques états de l’Empire ont à la vérité fait dresser des corps de droit, entre lesquels ceux de Saxe, de Magdebourg, de Lunebourg, de Prusse, du Palatinat, & de Wirtemberg, méritent des éloges ; mais aucun de ces codes n’est universel, & ne renferme toutes les matieres de droit : ils ne sont point réduits en forme de système, ils ne contiennent point de principes généraux sur chaque matiere, la plûpart ne reglent que la procédure & quelques cas douteux ; c’est pourquoi on y laisse subsister le recours aux lois Romaines.

La jurisprudence n’étoit pas moins incertaine dans les états du roi de Prusse, avant la publication du nouveau code dont il s’agit ici.

Outre le droit Romain qu’on y avoit reçû, le droit canon y avoit aussi une grande autorité avant que les états de Prusse se fussent séparés de communion d’avec l’Eglise Romaine ; les docteurs mêloient encore à ces lois un prétendu droit Allemand qui n’étoit qu’imaginaire, puisqu’on ne sait rien de certain de son origine, & que la plûpart de ces lois Germaniques ne convenant plus à l’état présent du gouvernement, sont depuis long-tems hors d’usage.

La confusion étoit encore plus grande dans quelques provinces, par l’introduction du droit Saxon qui differe en bien des cas du droit commun, & que l’on suivoit principalement pour la procédure.

Chaque province & presque chaque ville alléguoit des statuts particuliers, inconnus pour la plûpart aux habitans.

Le grand nombre d’édits particuliers, souvent contradictoires entre eux, augmentoit encore l’incertitude de la jurisprudence & la difficulté de l’étudier.

Il s’étoit aussi introduit dans chaque province un style particulier de procéder ; & cette diversité de styles donnoit lieu à tant d’incidens, qu’on étoit obligé d’évoquer au conseil la plûpart des affaires.

Pour remédier à tous ces inconvéniens, le roi de Prusse à présent régnant, fit lui-même un plan de réformation de la justice.

Ce plan contenoit en substance, que l’homme est né pour la société ; ce n’est que par-là qu’il differe des animaux : la société ne sauroit se maintenir ou du moins ne peut procurer à l’homme les avantages qui lui conviennent, si l’ordre n’y regne ; c’est ce qui distingue les nations policées des sauvages : les sociétés les mieux établies sont exposées à trois sortes de troubles, les procès, les crimes, & les guerres ; les guerres ont leurs lois dans le droit des gens, les crimes & les procès font l’objet des lois civiles : mais les procès seuls ont été l’objet de cette réformation.

Les procès peuvent être terminés par trois voies, l’accommodement volontaire, l’arbitrage, & la procédure judiciaire ; les deux premieres voies étant rarement suffisantes, il faut des tribunaux bien reglés, & un ordre judiciaire.

C’est dans cet ordre qu’il s’est glissé plusieurs abus, auquel il s’agit de remédier. Abolir totalement les procès, c’est chose impossible ; mais il faut rendre la loi certaine & la procédure uniforme, & abréger les procès de maniere que tous soient terminés par trois instances ou degrés de jurisdiction, dans l’espace d’une année.

Le roi de Prusse ayant communiqué ce plan à son grand-chancelier, lui ordonna d’en commencer l’essai dans la Poméranie, où les procès sont les plus fréquens.

L’exécution ayant parfaitement répondu aux espérances, le roi ordonna à son grand-chancelier de dresser un ample projet d’ordonnances, & de le faire pratiquer provisionnellement dans tous ses états & par tous les tribunaux, leur enjoignant de faire en-

suite leurs observations & leurs rémontrances sur

les difficultés qui pourroient se rencontrer dans l’exécution de ce plan, afin qu’il y fût pourvû avant de mettre la derniere main à cette ordonnance. C’est ce qui a été exécuté quelque tems après par la rédaction du code Frederic.

Il a été publié en langue Allemande, afin que chacun pût entendre la loi qu’il doit suivre. M. A. A. de C. conseiller privé du roi, a traduit ce code en François le plus littéralement qu’il étoit possible.

Suivant cette traduction, l’ouvrage est intitulé code Frederic ou corps de droit pour les états de sa majesté le roi de Prusse. La suite du titre annonce que ce code est fondé sur la raison & sur les constitutions du pays ; qu’on y a disposé le droit Romain dans un ordre naturel, retranché les lois étrangeres, aboli les subtilités du droit Romain, & pleinement éclairci les doutes & les difficultés que le même droit & ses commentateurs avoient introduits dans la procédure ; enfin que ce code établit un droit certain & universel. On verra cependant qu’il y a encore plusieurs lois différentes admises dans certains cas. Ce code ne comprend que les lois civiles qui ont rapport au droit des particuliers ; ce qui concerne la police, les affaires militaires, & autres, n’entre point dans ce plan.

L’ouvrage est divisé en trois parties, suivant les trois objets différens du droit, distingués par Justinien dans ses institutions ; savoir l’état des personnes, le droit des choses, & les obligations des personnes d’où naissent les actions.

Chaque partie est divisée en plusieurs livres, chaque livre en plusieurs titres, chaque titre en paragraphes ; & lorsque la matiere d’un titre est susceptible de plusieurs subdivisions, le titre est divisé en plusieurs articles, & les articles en paragraphes.

Le premier titre de chaque livre est destiné uniquement à annoncer l’objet de ce livre & la division des titres. On a conservé dans les rubriques & en plusieurs endroits de l’ouvrage, les noms latins des actions & autres termes consacrés en droit, auxquels les officiers de justice sont accoûtumés, & qui ne pouvoient être rendus avec précision dans la langue Allemande.

On remarque aussi en beaucoup d’endroits de ce code, qu’il ne contient pas simplement des dispositions nouvelles, mais qu’il rappelle d’abord ce qui se pratiquoit anciennement, & les motifs pour lesquels la loi a été changée ; & que le législateur pour rendre sa disposition plus intelligible, employe quelquefois des comparaisons & des exemples.

Le titre second du premier livre ordonne que le code Frederic sera à l’avenir la principale loi des états du roi de Prusse.

Pour cet effet, il est défendu aux avocats de citer à l’avenir l’autorité du droit Romain ou de quelque docteur que ce soit, & aux juges d’y avoir égard, abrogeant tous autres droits, constitutions, & édits différens ou contraires au code Frederic.

L’éditeur de la traduction de ce code dit néanmoins dans sa préface, que l’intention du roi de Prusse n’a pas été d’empêcher que l’on ne donnât à l’avenir dans les universités des leçons sur le droit Romain ; parce que reconnoissant son autorité par rapport aux affaires qu’il peut avoir à démêler dans l’Empire avec ses voisins, & qu’il doit poursuivre dans les tribunaux de l’Empire, il est convenable que la science de ce droit soit cultivée, & aussi pour les étrangers qui viennent l’apprendre dans les universités.

Le roi de Prusse déclare qu’aucune coûtume contraire ne pourra prévaloir sur son code, quand même elle seroit approuvée par des arrêts qui auroient acquis force de chose jugée.

Il défend aux juges d’interpréter la loi sous pré-