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soûterrains de ce genre, ceux que construisit Agrippa à ses dépens pendant son édilité, & dans lesquels il fit écouler toutes les eaux & les ordures de cette ville immense. Il s’agit ici d’Agrippa favori & gendre d’Auguste, qui décora Rome non-seulement des cloaques dont parle Pline, mais de nouveaux chemins publics, & d’autres ouvrages aussi magnifiques qu’utiles, en particulier de ce fameux temple qu’il nomma le panthéon, construit en l’honneur de tous les dieux, & qui subsiste encore à quelques égards sans ses anciennes statues & ses autres ornemens, sous le nom de Notre-Dame de la Rotonde.

Le soin & l’inspection des cloaques appartinrent, jusqu’au tems d’Auguste, aux édiles, qui nommoient à cet effet des officiers, sous le titre de curatores cloacarum.

Voilà quel étoit l’esprit dont les Romains étoient animés : en lisant leur histoire, nous les voyons d’autres hommes que nous ; car ils ignoroient ce que nous connoissons trop, l’indifférence pour la patrie. M. de Voltaire suppose que dans les premiers tems de la république, un citoyen dont la passion dominante étoit le desir de rendre son pays florissant, remit au consul Appius un mémoire dans lequel il représentoit les avantages qu’on retireroit de réparer les grands chemins & le capitole, de former des marchés & des places publiques, de bâtir de nouveaux cloaques pour emporter les ordures de la ville, source de maladies qui faisoient périr plusieurs citoyens : le consul Appius touché de la lecture de ce mémoire, & pénétré des vérités qu’il contenoit, immortalisa son nom quelque tems après par la voie Appienne : flaminius fit la voie Flaminienne ; un autre embellit le capitole ; un autre établit des marchés publics ; & d’autres construisirent les aquéducs & les égoûts. L’écrit du citoyen obscur, dit à ce sujet l’illustre écrivain déjà cité, fut une semence qui germa bien-tôt dans l’esprit de ces grands hommes, capables de l’exécution des plus grandes choses. Cet article est de M. le Chevalier de Jaucourt.

* CLOCHE, s. f. (Hist. anc. mod. Arts mechan. & Fond.) c’est un vase de métal qu’on met au nombre des instrumens de percussion, & dont le son est devenu parmi les hommes un signe public ou privé qui les appelle.

On fait venir le mot Francois cloche de cloca, vieux mot Gaulois pris au même sens dans les capitulaires de Charlemagne.

L’origine des cloches est ancienne : Kircher l’attribue aux Egyptiens, qui faisoient, dit-il, un grand bruit de cloches pendant la célébration des fêtes d’Osiris. Chez les Hébreux le grand-prêtre avoit un grand nombre de clochettes d’or au bas de sa tunique. Chez les Athéniens les prêtres de Proserpine appelloient le peuple aux sacrifices avec une cloche, & ceux de Cybele s’en servoient dans leurs mysteres. Les Perses, les Grecs en général, & les Romains, n’en ignoroient pas l’usage. Lucien de Samosate qui vivoit dans le premier siecle, parle d’un horloge à sonnerie. Suétone & Dion font mention dans la vie d’Auguste, de tintinnabula, ou cloche, si l’on veut. On trouve dans Ovide les termes de æra, pelves, lebetes, &c. auxquels on donne la même acception. Les anciens annonçoient avec des cloches les heures des assemblées aux temples, aux bains, & dans les marchés, le passage des criminels qu’on menoit au supplice, & même la mort des particuliers : ils sonnoient une clochette afin que l’ombre du défunt s’éloignât de la maison : Temesæaque concrepat ara, dit Ovide, & rogat ut tectis exeat umbra suis. Il est question de cloches dans Tibulle, dans Strabon, & dans Polybe qui vivoit deux cents ans avant Jesus-Christ. Josephe en parle dans ses antiqui-

tés Judaïques, liv. III. On trouve dans Quintilien le proverbe nola in cubiculo ; ce mot nola, cloche, a fait penser que les premieres cloches avoient été fondues à Nole, où S. Paulin a été évêque, & qu’on les avoit appellées campana, parce que Nole est dans la Campanie. D’autres font honneur de l’invention des cloches au pape Sabinien qui succéda à S. Grégoire : mais ils se trompent ; on ne peut revendiquer pour le pape Sabinien & saint Paulin, que d’en avoir introduit l’usage dans l’Église, soit pour appeller le peuple aux offices divins, soit pour distinguer les heures canoniales. Cet usage passa dans les églises d’Orient ; mais il n’y devint jamais fort commun, & il y cessa presqu’entierement après la prise de Constantinople par les Turcs, qui l’abolirent sous le prétexte que le bruit des cloches troubloit le repos des ames qui erroient dans l’air, mais par la crainte qu’il ne fût à ceux qu’ils avoient subjugués un signal en cas de révolte ; cependant il continua au mont Athos & dans quelques lieux écartés de la Grece. Ailleurs on suppléa aux cloches par un ais appellé symandre & par des maillets de bois, ou par une plaque de fer appellée le fer sacré, ἅγιον σίδηρον, qu’on frappoit avec des marteaux.

Il en est de la fonderie des grosses cloches ainsi que de la fonderie des canons, de l’art d’imprimer, de l’invention des horloges a roue ou à soleil, de la boussole, des lunettes d’approche, du verre, & de beaucoup d’autres arts, dûs au hasard ou à des hommes obscurs ; on n’a que des conjectures sur l’origine des uns, & on ne sait rien du tout sur l’origine des autres, entre lesquels on peut mettre la fonderie des grosses cloches. On croit que l’usage dans nos églises n’en est pas antérieur au sixieme siecle : il y étoit établi en 610 ; mais le fait qui le prouve, savoir la dispersion de l’armée de Clotaire au bruit des cloches de Sens, que Loup évêque d’Orléans fit sonner, prouve aussi que les oreilles n’étoient pas encore faites à ce bruit.

L’Église qui veut que tout ce qui a quelque part au culte du souverain Être, soit consacré par des cérémonies, bénit les cloches nouvelles ; & comme ces cloches sont présentées à l’église ainsi que les enfans nouveaux-nés, qu’elles ont parrains & marraines, & qu’on leur impose des noms, on a donné le nom de baptême à cette bénédiction.

Le baptême des cloches dont il est parlé dans Alcuin, disciple de Bede & précepteur de Charlemagne, comme d’un usage antérieur à l’année 770, se célebre de la maniere suivante, selon le pontifical Romain. Le prêtre prie ; après quelques prieres, il dit : Que cette cloche soit sanctifiée & consacrée, au nom du Pere, du Fils, & du S. Esprit : il prie encore ; il lave la cloche en-dedans & en-dehors avec de l’eau bénite ; il fait dessus sept croix avec l’huile des malades, & quatre dedans avec le chrême ; il l’encense, & il la nomme. Ceux qui seront curieux de tout le détail de cette cérémonie, le trouveront dans les cérémonies religieuses de M. l’abbé Bannier.

Après cet historique que nous avons rendu le plus court qu’il nous a été possible, nous allons passer à des choses plus importantes, auxquelles nous donnerons toute l’étendue qu’elles méritent. C’est la fonte des cloches. Pour qu’une cloche soit sonore, il faut donner à toutes ses parties certaines proportions. Ces parties sont, fig. 1. le cerveau aN (Voyez la Pl. I. de la Fonderie des cloches) ; les anses tiennent au cerveau, qui dans les grandes cloches est renforci d’une épaisseur Q qu’on appelle l’onde : le vase supérieur KN, qui s’unit en K à la partie K1 ; on appelle faussure le point K où les deux portions de courbes NK, K1, se joignent : la gorge ou fourniture K1C ; on appelle la partie inférieure 1C de la fourniture, pince, panse, ou bord : la patte CD1.