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qui vivent sous la même température. Cette prérogative de la capitale dépend de plusieurs causes sensibles, entre lesquelles celle qui me paroît la plus particuliere, & par conséquent la plus évidente, c’est que Paris est une espece de foyer de connoissances & de vices : or que la précocité dont nous parlons, la précocité corporelle, puisse être dûe à l’exercice précoce des facultés intellectuelles, c’est une vérité d’expérience. Les écoliers, les petites demoiselles bien élevées, sortent de l’enfance avant les enfans de la campagne & du peuple ; c’est un fait : mais que cette adolescence hative puisse être héréditaire, c’est un corollaire de cette observation, que les fonctions animales & l’aptitude à les exercer, se perfectionnent de génération en génération jusqu’à un certain terme, & que les dispositions corporelles & les facultés de l’ame sont entre elles dans un rapport qui peut être transmis par la génération, &c.

2°. Quel est le régime, la maniere de vivre la plus propre à chaque climat ? Cette question est fort générale ; elle s’étend à l’usage des diverses choses que les Medecins appellent non-naturelles ; l’air, les alimens, le sommeil, l’exercice, l’acte vénérien, les affections de l’ame.

Il est fort inutile de donner des préceptes sur les incommodités de l’air ; on peut s’en rapporter aux habitans de divers climats du soin de se prémunir contre les injures du froid & du chaud : c’est-là un de ces besoins majeurs, sur lesquels les leçons de la nature la plus brute sont ordinairement suffisantes aux hommes, ou du moins que les premiers progrès de la raison apprennent à satisfaire.

En général on doit moins manger dans les climats chauds que dans les climats froids, & les excès dans le manger sont plus dangereux dans les premiers que dans les derniers. Mais la faim se fait aussi moins sentir lorsqu’on essuie de la chaleur, que lorsqu’on éprouve du froid : ainsi cette regle de diete sera facilement observée.

La medecine rationelle ou théorique qui se trompe si souvent, a dit que la partie aqueuse de notre sang étant dissipée par la chaleur dans les climats chauds, il falloit réparer cette perte par la boisson abondante d’un liquide semblable ; & que dans les climats froids, les liqueurs spiritueuses étoient plus salutaires. La medecine pratique ou l’observation dit au contraire que les liqueurs spiritueuses, aromatiques, acides, les épiceries, l’ail, l’oignon, en un mot les alimens & les boissons qui sont directement opposés à la qualité relâchante & inactive (iners) de l’eau, sont d’un excellent usage dans les climats chauds ; & que la boisson de l’eau pure, y est très pernicieuse, qu’elle jette les corps accablés de chaleur dans un abattement, une langueur, un épuisement qui les rend incapables des moindres fatigues, & qui peut devenir même dangereux & mortel. Aussi les paysans de nos provinces méridionales, occupés des travaux les plus pénibles de la campagne pendant les plus fortes chaleurs, se gardent bien alors de boire une seule goutte d’eau, boisson qu’ils se permettent pendant leurs travaux de l’hyver. Les boissons aqueuses tiedes, le thé, & autres légeres infusions de quelques feuilles de plantes aromatiques, sont fort usitées dans les climats froids, où elles ne sont pas fort salutaires apparemment, mais où elles ne sont pas à beaucoup près si dangereuses qu’elles le seroient en Espagne, où le chocolat le plus aromatisé & par conséquent le plus échauffant, est d’un usage aussi fréquent que le thé l’est en Angleterre. Quant aux liqueurs fortes que les peuples des pays du nord boivent habituellement, il faudroit que la dose journaliere moyenne d’un manœuvre ou d’un paysan de ces pays, fût bien forte pour être équivalente à quatre ou cinq pintes de vin très-violent que

tout paysan Languedocien ou Provençal boit au moins par jour, sur-tout en été.

Il ne seroit pas difficile de donner de très-bonnes raisons de l’utilité du régime que nous approuvons ; mais l’observation suffit, elle est constante. Il n’en est pas moins vrai que les excès de liqueurs fortes sont plus pernicieux dans les climats chauds, que dans les climats froids ; c’est encore un fait. Les crapuleux ne font que s’abrutir dans les pays du nord ; au lieu que dans nos colonies de la zone torride, l’abus des liqueurs fortes est une des causes qui fait le plus de ravage parmi les colons nouvellement transplantés.

Le juste milieu pour les personnes qui ne sont pas obligées aux travaux pénibles, me paroît consister en ceci : d’abord il faut laisser à chaque peuple le fonds de nourriture auquel il est accoûtumé ; le ris à l’Oriental, le macaron à l’Italien, le bœuf à l’Anglois, &c. Nous ne sommes pas assez avancés sur le bon & le mauvais effet de chaque aliment, pour pouvoir prescrire sur ce point des regles de détail. On peut avancer cependant en général, que les fruits, les légumes, & les viandes légeres, conviennent mieux aux habitans des climats chauds, & qu’on doit animer un peu ceux de ces alimens qui ont besoin de quelque préparation, par l’addition des épiceries & de certaines plantes aromatiques indigenes, comme le thym, le baume, l’hysope, le basilic, le fenouil, &c. Quant aux boissons, on doit faire usage aux repas pendant les grandes chaleurs, des liqueurs vineuses légeres, comme la petite bierre, les vins acidules plus ou moins trempés, les gros vins acerbes de certains climats chauds plus trempés encore. Toutes ces boissons doivent être prises très-fraîches, & même à la glace quand ce degré de froid n’incommode pas sensiblement. Les liqueurs glacées aigrelettes & les glaces bien parfumées prises entre les repas, sont aussi d’une grande ressource dans les climats chauds : la plus grande partie des Medecins en ont condamné l’usage ; mais ce sont encore ici des clameurs théoriques. Voyez Glace (Medecine).

Les farineux non-fermentés, les laitages, les grosses viandes, les poissons séchés, fumés, salés, les viandes fumées & salées, sont des alimens qui paroissent propres aux habitans des climats froids ; la moutarde, la racine du raifort sauvage, certaines substances végétales & animales à demi putréfiées, comme le sauer-kraut &c. peuvent fournir aux habitans de ces contrées des assaisonnemens utiles. Les liqueurs fortes, c’est-à-dire les liqueurs spiritueuses distillées & dépouillées par cette opération d’une substance tartareuse & extractive, qui est dans les vins un correctif naturel de la partie spiritueuse ; ces liqueurs, dis-je, conviennent éminemment aux pays froids : le caffé à grande dose, la boisson abondante du thé & des autres liqueurs aqueuses qui se prennent chaudes, sont aussi très-utiles dans ces climats, sur-tout par la circonstance d’être prises chaudes, & peut-être uniquement par cette qualité.

Les excès avec les femmes sont aussi très-pernicieux dans les climats chauds. Les habitans de nos îles de l’Amérique & de nos comptoirs dans les grandes Indes, y succombent fort communément. Les habitans des climats froids n’en sont pas, à beaucoup près, si incommodés ; au moins l’excès ne commence-t-il pas si-tôt pour eux, comme nous l’avons déjà observé.

Les exercices doivent être plus modérés dans les climats chauds que dans les climats froids. Cette loi découle tout simplement de l’observation de la moindre vigueur des habitans des premiers.

Le sommeil est fort salutaire aux corps accablés