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On ne voit rien là qui doive nous faire sécher de crainte, rien qui sente les horreurs d’une réprobation anticipée. J’y vois bien de la prédilection pour quelques-uns ; mais je n’y apperçois ni injustice ni dureté pour les autres : nul n’éprouve un sort funeste ; ceux même qui ne sont qu’appellés sans être élus, doivent être satisfaits du maître qui les employe, puisqu’il les récompense tous, & qu’il les traite avec humanité. Mon ami, dit-il, je ne vous fais point de tort ; appellé au travail de ma vigne, vous avez reçû le salaire de vos peines ; & quoique vous ne soyez pas du nombre des élus ou des favoris, vous n’avez pourtant pas sujet de vous plaindre. Paroles raisonnables, paroles même affectueuses, qui me donnent de l’espoir, & nullement de l’épouvante.

Je conclus de ces réflexions si simples, que le multi vocati, pauci vero electi, dont il s’agit, est cité mal-à-propos dans un sens sinistre, & qu’on a tort d’en tirer des inductions desespérantes ; puisqu’enfin ce passage bien entendu, & déterminé comme il convient par les circonstances de notre parabole, inspirera toûjours moins d’effroi que de confiance en la divine bonté, & qu’il indique tout au plus les divers degrés de béatitude que Dieu prépare dans le ciel à ses serviteurs : erunt novissimi primi, & primi novissimi. Ibid.

Le multi vocati, pauci vero electi, se trouve encore une autre fois dans l’Ecriture ; c’est au xxij. chap. de S. Matthieu ; mais il n’a rien là de plus sinistre & de plus concluant que ce qu’on a vû ci-dessus.

J’ai aussi un mot à dire sur le fameux ô altitudo de S. Paul, & je montrerai sans peine que l’on abuse encore de ce passage dans les applications qu’on en fait : on le cite presque toûjours en parlant du jugement de Dieu, & il semble que ce soit pour couvrir ce qui paroît trop dur dans le mystere de la prédestination, ou pour calmer les fideles effrayés des célestes vengeances. Mais ce passage au sens qu’il est cité, loin d’éclairer ou de calmer les esprits, inspire au contraire une frayeur ténébreuse, & nous montre un Dieu plus terrible qu’aimable.

Néanmoins admirez ici le mal-entendu de cette citation : ce passage si peu satisfaisant de la maniere qu’on le présente, est véritablement dans le texte sacré un sujet d’espérance & de consolation, puisqu’il exprime le ravissement où est l’apôtre à la vûe des thrésors de sagesse & de miséricorde que Dieu reserve pour tous les hommes.

Dieu, dit S. Paul aux Romains, a permis que tous fussent enveloppés dans l’incrédulité, pour avoir occasion d’exercer sa miséricorde envers tous. Conclusit enim Deus omnia in incredulitate, ut omnium misereatur. Sur quoi l’apôtre s’écrie transporté d’admiration : « O profondeur des thrésors de la sagesse & de la science de Dieu ; que ses jugemens sont impénétrables, & ses voies incompréhensibles » ! S. Paul par conséquent, loin de nous annoncer ici la rigueur des jugemens de Dieu, nous rappelle au contraire les effets ineffables de sa bonté : O altitudo divitiarum sapientia & scientia Dei ! Le dogme de la prédestination n’a donc rien d’effrayant dans ce passage de S. Paul.

Quoi qu’il en soit, certains prédicateurs abusant de ces expressions, & outrant les vérités évangéliques, n’ont que trop souvent allarmé les consciences, & jetté la terreur, le desespoir, où ils devoient inspirer au contraire les plus tendres sentimens de la reconnoissance pour le Dieu des miséricordes. Mais hélas que ce prétendu zele, que ce zele outré a causé de maux !

Les auditeurs épouvantés, méconnoissant leur créateur & leur pere dans le Dieu foudroyant qu’on leur prêchoit, ont secoué pour la plûpart le joug de la foi, & se sont livrés à l’incrédulité ; disposition fu-

neste qui sape le fondement des vertus, & qui assûre le triomphe des vices. Art. de M. Faiguet, maître de pension à Paris.

Citation, (Théolog.) Les citations sont la base de la Théologie. Les citations de l’ancien Testament qu’on trouve dans le nouveau, ont donné lieu à des doutes, des disputes, & des objections spécieuses de la part des ennemis de la religion Chrétienne. Julien, Porphyre, les Juifs, & les esprits forts modernes, reprochent aux Chrétiens que les apôtres citent souvent des passages de l’ancien Testament, & des prophéties, comme accomplies dans la personne de Jesus-Christ ; que cependant il arrive fréquemment, ou que ces passages ainsi cités ne se trouvent point dans l’ancien testament, ou ne sont point employés dans le sens littéral & naturel qu’ils semblent présenter dans l’ancien Testament : ce qui paroît évidemment, ajoûte-t-on, par ce passage de S. Matthieu, chap. xj. vers. 15. Ex Ægypto vocavi filium meum, qui pris à la lettre se rapporte à la sortie des Israélites d’Egypte.

Cette difficulté a paru insurmontable à quelques auteurs ; d’autres pour la résoudre ont pris différentes routes. Quelques-uns ont recours à un double accomplissement, & prétendent que quoique les prophéties ayent été accomplies une premiere fois dans certains événemens, elles peuvent l’être encore une fois dans la personne du Messie. Mais d’autres rejettent ce double accomplissement, à moins que le prophete lui-même ne le déclare, rendant par ce moyen toute la prophétie inutile.

Entre ces deux extrémités presque également vicieuses, quelques-uns ont embrassé une opinion fort raisonnable, & qui paroît fondée ; c’est de dire qu’il y a des prophéties typiques sur le Messie, lesquelles ont deux objets ; l’un prochain & immédiat, qui est comme l’ombre ou la figure du Messie contenue dans l’ancienne loi, & qui a eu un accomplissement imparfait & commencé ; l’autre éloigné, mais principal, savoir le Messie, en qui ces prophéties ont eu leur plein & entier accomplissement : le premier n’étoit que le type du second, & par conséquent celui-ci étoit le principal ; & de ce genre est le passage cité dans l’objection, qui pour avoir été accompli en figure par la sortie des Israélites d’Egypte, n’en a pas moins été une prophétie bien appliquée & pleinement accomplie dans le retour de J. C. d’Egypte après la mort d’Hérode.

Pour lever le reste de la difficulté, on observe que les Juifs rabbins prennent beaucoup de libertés en citant ou en interprétant les Ecritures, & l’on suppose que les apôtres ont suivi la même méthode dans leurs citations ; mais cette supposition n’est pas fondée : en effet, les apôtres instruits immédiatement par J. C. & inspirés par le S. Esprit, n’avoient aucun besoin de recourir aux regles des docteurs Juifs dans leurs citations.

Néanmoins en conséquence de cette supposition, M. Surenhusius professeur en Hébreu à Amsterdam, a tâché de retrouver ces regles perdues depuis si long-tems, & a donné à cet effet un savant traité intitulé sepberhamechawe, ou ΒΙΒΛΟΣ ΚΑΤΑΛΛΑΤΗΣ, in quo secundùm veterem theologorum Hebræorum formulam allegandi & modos interpretandi, conciliantur loca ex veteri in novo testamento allegata. Il y remarque d’abord quantité de différences qui se trouvent dans les différentes manieres de citer usitées dans les Ecritures ; comme il a été dit ; il est écrit, afin que ce qu’ont dit les prophetes fût accompli, l’Ecriture dit, voyez ce qui est dit, l’Ecriture a prédit, il n’est point dit, &c. Il ajoûte que les livres de l’ancien Testament ayant été arrangés différemment en divers tems & sous différens noms, c’est pour cela qu’un li-