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ne s’ouvre que pour recevoir du secours du dehors, & pour cet effet on la nomme porte du secours.

Les citadelles sont jointes aux villes de plusieurs manieres, suivant la disposition de la ville & de la citadelle ; mais celle-ci doit être toûjours placée de maniere que la ville n’ait aucun ouvrage ou aucun flanc qui puisse battre la citadelle, ni aucun ouvrage qui la commande. On joint l’enceinte de la place à la citadelle par des especes de murs qui aboutissent sur les capitales des bastions de la citadelle, sur celles des demi-lunes, ou enfin sur le milieu des courtines. Cette derniere disposition est la meilleure. Ces murs ont un rempart jusqu’à la distance de 40 ou 50 toises de la citadelle ; on les nomme lignes de communication : elles ne sont autre chose dans cet espace, qu’un mur de maçonnerie de quatre ou cinq piés d’épaisseur, & de même hauteur que le rempart de la place. Sur la partie supérieure de ce mur, on éleve un garde-fou de deux piés d’épaisseur & de six piés de hauteur ; on le perce de creneaux pour découvrir dans la campagne.

Quand on construit des citadelles aux villes maritimes, on les dispose de maniere qu’elles commandent la ville, le port, & la campagne. Celle du Havre-de-Grace est placée de cette maniere : elle peut servir de modele pour la position de ces sortes de citadelles.

Les villes maritimes, outre les citadelles, sont encore quelquefois défendues par des châteaux qui commandent au port. Dans ces sortes de villes, on construit ordinairement des jettées, qui sont des especes de digues, de fortes murailles, ou chaussées, qu’on bâtit aussi avant qu’on le peut dans la mer, en y jettant une très-grande quantité de gros quartiers de pierres. A leur extrémité, on établit des forts dont le canon empêche que les vaisseaux ennemis ne s’approchent du port, & par conséquent de la ville. La figure de ces forts n’a rien de déterminé : on leur donne la plus propre à leur faire commander tous les côtés par où l’ennemi peut se présenter.

On construit aussi quelquefois des réduits dans les villes, qui ont le même objet que la citadelle. Voyez Réduit. (Q)

CITATION, s. f. (Gramm.) c’est l’usage & l’application que l’on fait en parlant ou en écrivant, d’une pensée ou d’une expression employée ailleurs : le tout pour confirmer son raisonnement par une autorité respectable, ou pour répandre plus d’agrément dans son discours ou dans sa composition.

Dans les ouvrages écrits à la main, on soûligne les citations pour les distinguer du corps de l’ouvrage. Dans les livres on les distingue, soit par un autre caractere, soit par des guillemets. Voyez Guillemets.

Les citations doivent être employées avec jugement : elles indisposent, quand elles ne sont qu’ostentation : elles sont blâmables, quand elles sont fausses. Il faut mettre le lecteur à portée de les vérifier. En matiere grave, il est à propos de citer l’édition du livre dont on s’est servi.

Quelques modernes se sont fait beaucoup d’honneur en citant à propos les plus beaux morceaux des anciens, & par-là ils ont trouvé l’art d’embellir leurs écrits à peu de frais. Nos prédicateurs citent perpétuellement l’Ecriture & les Peres, moins cependant qu’on ne faisoit dans les siecles passés. Les Protestans ne citent guere que l’Ecriture. Quoi qu’il en soit, s’il est d’heureuses citations, s’il est des citations exactes, il en est aussi beaucoup d’ennuyeuses, de fausses, & d’altérées ou par l’ignorance, ou par la mauvaise foi des écrivains ; souvent aussi par la négligence de ceux qui citent de mémoire. La mauvaise foi dans les citations est universellement reprouvée ; mais le défaut d’exactitude & d’intelligen-

ce n’y sont guere moins repréhensibles, & peuvent être même de conséquence suivant l’importance des sujets.

Le projicit ampullas & sesquipedalia verba d’Horace, de même que le scire tuum nihil est de Perse, sont cités communément dans un sens tout contraire à celui qu’ils ont dans l’auteur. Cette application détournée qui n’est pas dangereuse en des sujets profanes, peut devenir abusive, quand il s’agit des passages de l’Ecriture, & il en peut résulter des erreurs considérables. En voici entr’autres un exemple frappant, & qui mérite bien d’être observé.

C’est le multi vocati, pauci vero electi (Mat. ch. xx.), passage qu’on nous cite à tous propos comme une preuve décisive du grand nombre des damnés & du petit nombre des élûs ; mais rien, à mon avis, de plus mal entendu ni de plus mal appliqué. En effet, à quelle occasion Jesus-Christ dit-il, beaucoup d’appellés, mais peu d’élûs ? C’est particulierement dans la parabole du pere de famille qui occupe plusieurs ouvriers à sa vigne, où l’on voit que ceux qui n’avoient travaillé que peu d’heures dans la journée, gagnerent tout autant que ceux qui avoient porté le poids de la chaleur & du jour ; ce qui occasionna les murmures de ces derniers, lesquels se plaignirent de ce qu’après avoir beaucoup fatigué, on ne leur donnoit pas plus qu’à ceux qui n’avoient presque rien fait. Sur quoi le pere de famille s’adressant à l’un d’eux, lui répond : Mon ami, je ne vous fais point de tort ; n’êtes-vous pas convenu avec moi d’un denier pour votre journée ? Prenez ce qui vous appartient, & vous-en allez. Pour moi je veux donner à ce dernier autant qu’à vous. Ne m’est-il pas permis de faire des libéralités de mon bien, & faut-il que votre œil soit mauvais, parce que je suis bon ? C’est ainsi, continue le Sauveur, que les derniers seront les premiers, & les premiers les derniers, parce qu’il y en a beaucoup d’appellés, mais peu d’élûs.

J’observe d’abord sur ces propositions du texte, Sic erunt novissimi primi & primi novissimi, multi enim sunt vocati, pauci vero electi ; j’observe, dis-je, qu’elles sont absolument relatives à la parabole ; & c’est ce que l’on voit avec une pleine évidence par ces conjonctions connues sic, enim, qui montrent si bien le rapport nécessaire de ces propositions avec ce qui précede : elles sont comme le résultat & le sommaire de la parabole ; & si elles ont quelque obscurité, c’est dans la parabole même qu’il en faut chercher l’éclaircissement.

Je dis donc que les élûs dont il s’agit ici, ce sont les ouvriers que le pere de famille trouva sur le soir sans occupation, & qu’il envoya, quoique fort tard, à sa vigne : ouvriers fortunés, qui n’ayant travaillé qu’une heure, furent payés néanmoins pour la journée entiere. Voilà, dis-je, les élûs, les favoris, les prédestinés.

Les simples appellés que la parabole nous présente, ce sont tous ces mercenaires que le pere de famille envoya dès le matin à sa vigne, & qui après avoir porté toute la fatigue du jour furent payés néanmoins les derniers, & ne reçûrent que le salaire convenu, le même en un mot que ceux qui avoient peu travaillé. Ce sont tous ceux-là qui, suivant la commune opinion, nous figurent les non-élus, les prétendus réprouvés.

Mais que voit-on dans tout cela qui suppose une réprobation ? Le traitement du pere de famille à l’égard des ouvriers mécontens, a-t-il quelque chose de cruel ou d’odieux, & trouve-t-on rien de trop dur dans le discours sage & modéré qu’il leur adresse ? Mon ami, je ne vous fais point de tort ; je vous donne tout ce que je vous ai promis : je veux faire quelque gratification à un autre, pourquoi le trouvez-vous mauvais ?