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ban en desapprouvoit l’usage, sur ce que l’ennemi étant arrivé à ce fossé se trouve, en se jettant dedans, à couvert du feu de la circonvallation. Mais quelque déférence que l’on doive à ce grand homme, il semble néanmoins qu’on peut dans plusieurs cas se servir avantageusement de cet avant-fossé. Il arrête nécessairement la marche de l’ennemi, & il l’expose plus long-tems au feu de la ligne : aussi a-ton fait en différentes occasions, des avant-fossés aux lignes, depuis M. de Vauban, & notamment à la circonvallation de Philisbourg en 1734.

Cette circonvallation étoit encore fortifiée par des puits d’environ neuf piés de diametre à leur ouverture, & de six à sept de profondeur. Ils étoient rangés en échiquier & assez près les uns des autres, pour empêcher de passer dans leurs intervalles. Les Espagnols avoient pratiqué quelque chose de pareil au siége d’Arras en 1654 ; leur circonvallation étoit défendue par des especes de petits puits de deux piés de diametre sur un pié & demi de profondeur, dans le milieu desquels étoient plantés de petits pieux qui pouvoient nuire beaucoup au passage de la cavalerie. Voyez le plan & le profil d’une partie de la circonvallation de Philisbourg, Planche XV. de Fortification, figure premiere.

Cette circonvallation des Espagnols paroît avoir été copiée de celle de César à Alexia. Voici en quoi consistoit cette derniere.

« Comme les soldats étoient occupés en même tems à aller querir du bois & des vivres assez loin, & à travailler aux fortifications, César trouva à propos d’ajoûter quelque chose au travail des lignes, afin qu’il fallût moins de gens pour les garder. Il prit donc des arbres de médiocre hauteur, ou des branches fortes qu’il fit aiguiser ; & tirant un fossé de cinq piés de profondeur devant les lignes, il les y fit enfoncer & attacher ensemble par le pié, afin qu’on ne pût les arracher. On recouvroit le fossé de terre, ensorte qu’il ne paroissoit que la tête du tronc, dont les pointes entroient dans les jambes de ceux qui pensoient les traverser : c’est pourquoi les soldats les appelloient des ceps ; & comme il y en avoit cinq rangs de suite qui étoient entrelacés, on ne les pouvoit éviter. Au-devant il fit des fosses de trois piés de profondeur, un peu étroites par le haut, & disposées de travers en quinconce : là-dedans on fichoit des pieux ronds de la grosseur de la cuisse, brûlés & aiguisés par le bout, qui sortoient quatre doigts seulement hors de terre ; le reste étoit enfoncé trois piés plus bas que la profondeur de la fosse, pour tenir plus ferme, & la fosse couverte de brossailles pour servir comme de piége. Il y en avoit huit rangs de suite, chacun à trois piés de distance l’un de l’autre, & les soldats les nommoient des lys, à cause de leur ressemblance. Devant tout cela, il fit jetter une espece de chausse-trapes, qui étoient des pointes de fer attachées à des bâtons de la longueur du pié, qui se fichoient en terre ; tellement qu’il ne sortoit que ces pointes, que les soldats appelloient des aiguillons, & toute la terre en étoit couverte ». Comment. de César, par d’Ablancourt.

Les lignes de circonvallation ayant peu d’élévation, elles n’ont pas besoin de bastions pour être flanquées dans toutes leurs parties comme l’enceinte d’une place ; les redans qui sont d’une construction plus simple & d’une plus prompte expédition, sont suffisans : on fait seulement quelques bastions dans les endroits où la ligne fait des angles, qu’un redant ne défendroit pas aussi avantageusement. Il arrive cependant qu’on se sert aussi quelquefois des bastions pour flanquer la ligne, principalement lorsqu’elle a peu d’étendue : car les bastions augmentent considérablement sa circonférence. La plus grande partie de

la circonvallation de Philisbourg en 1734, en étoit fortifiée.

On éleve des batteries à la pointe des redans, pour tirer le canon à barbette par-dessus le parapet. On le tire de cette maniere par-tout où on le place le long de la circonvallation.

Les lignes de circonvallation exigent de très-fortes armées pour les défendre. Si l’on suppose une circonvallation dont le rayon soit de 1700 toises, ce qui est la moindre distance du centre de la place à la circonvallation, on aura au moins 12000 toises pour sa circonférence, en y comprenant les redans & les détours ; ce qui fait à-peu-près cinq lieues communes de France.

Si, pour border une ligne de cette étendue, on donne seulement trois piés à chaque soldat, il faudra 24000 hommes pour un seul rang ; & pour trois de hauteur 72000, sans rien compter pour la seconde ligne, pour les tranchées, & les autres gardes, qui demanderoient bien encore autant de monde pour que tout fût suffisamment garni. Où trouver des armées de cette force ? & quand on dégarniroit la moitié des lignes les moins exposées, pour renforcer celles qui le seroient le plus, on ne parviendroit pas à les garnir suffisamment à beaucoup près ; d’autant plus, que si les places assiégées sont un peu considérables, la circonvallation deviendra bien plus grande que celle qui est ici supposée : ce qui éloigne encore plus la possibilité de les bien garnir. Cette considération a partagé les sentimens des plus célebres généraux, sur l’utilité de ces sortes de lignes. Tous conviennent qu’il y a des cas où l’on en peut tirer quelque utilité, surtout lorsqu’elles sont serrées & qu’elles n’ont qu’une médiocre étendue ; mais lorsqu’elles embrassent beaucoup de terrein, il est bien difficile de les défendre contre les attaques d’un ennemi intelligent.

Lorsque l’ennemi se dispose pour attaquer les lignes, il y a deux partis à prendre : le premier de lui en disputer l’entrée, & le second de laisser une partie de l’armée pour la garde des travaux du siége, & d’aller avec le reste au-devant de l’ennemi pour le combattre. Ces deux partis ont chacun leurs partisans parmi les généraux : mais il semble que le dernier est le plus généralement approuvé.

L’inconvénient qu’on trouve d’attendre l’ennemi dans les lignes, c’est que comme on ignore le côté qu’il choisira pour son attaque, on est obligé d’être également fort dans toutes les parties de la ligne ; & que lorsqu’elle est fort étendue, les troupes se trouvent trop éloignées les unes des autres pour opposer une grande résistance à l’ennemi du côté de son attaque. La plûpart des lignes de circonvallation qui ont été attaquées, ont été forcées : ainsi le raisonnement & l’expérience semblent concourir également à établir qu’il faut aller au-devant de l’ennemi pour le combattre, & pour ne point le laisser arriver à portée de la circonvallation.

Cependant sans vouloir rien décider dans une question de cette importance, il semble que lorsqu’une ligne peut être raisonnablement garnie, on peut la défendre avantageusement.

Il est incontestable que si le soldat qui défend la ligne veut profiter de tous ses avantages, il en a de très-grands & de très-réels sur l’assaillant. Celui-ci est obligé d’essuyer le feu de la ligne pendant un espace de tems assez considérable, avant de parvenir au bord du fossé. Il faut qu’il comble ce fossé sous ce même feu ; ce qui lui fait perdre bien du monde, & qui doit déranger nécessairement l’ordre de ses troupes. Est-il parvenu à pénetrer dans la ligne, ce ne peut être que sur un front fort étroit ; il peut être chargé de front & de flanc par les troupes qui