Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des raisons différentes, comme nous le dirons après avoir parlé de cette cérémonie chez les Juifs & chez les Musulmans.

La circoncision a commencé au tems d’Abraham, à qui Dieu la prescrivit comme le sceau de l’alliance que Dieu avoit faite avec ce patriarche. Voici le pacte que vous observerez, lui dit le Seigneur (Genese, c. xvij. v. 10.) entre moi & vous, & votre postérité après vous. Tous les mâles qui sont parmi vous seront circoncis, afin que cela soit une marque de l’alliance entre moi & vous. L’enfant de huit jours sera circoncis, tant les enfans libres & domestiques, que les esclaves & les étrangers qui seront à vous. L’enfant dont la chair ne sera pas circoncise, sera exterminé de mon peuple, parce qu’il a rendu inutile mon alliance.

Ce fut l’an du monde 2108 qu’Abraham âgé pour lors de quatre-vingts-dix-neuf ans, recut cette loi, en conséquence de laquelle il se circoncit lui-même, & donna à son fils Ismael, & à tous les esclaves de sa maison, la circoncision, qui depuis ce tems a été une pratique héréditaire pour ses descendans. Dieu en réitera le précepte à Moyse (Exod. xij. 44. 48. & Lévitiq. xij. v. 3.), & la circoncision fut depuis comme la marque distinctive des enfans d’Abraham d’avec les autres peuples, que les Juifs appelloient par mépris incirconcis, comme n’ayant point de part à l’alliance que Dieu avoit faite avec Abraham. Tacite, hist. liv. V. reconnoît expressément que la circoncision étoit une espece de stigmate qui distinguoit les Juifs des autres nations. Genitalia, dit-il, circumcidere instituêre, ut diversitate noscantur. C’est aussi ce que témoignent plusieurs auteurs ecclésiastiques, & entre autres S. Jérôme sur l’épître aux Galates : ne soboles dilecti Abraham cæteris nationibus misceretur, & paulatim familia ejus fieret incerta, gregem Israeliticum quodam circumcisionis cauterio annotavit.

Celse & Julien qui cherchoient à détruire le Christianisme en sappant les fondemens de la révélation Judaïque, objectoient qu’Abraham étoit venu de Chaldée en Egypte, où il avoit trouvé l’usage de la circoncision établi, & qu’il l’avoit emprunté des Egyptiens ; & par conséquent qu’elle n’étoit pas le signe distinctif du peuple choisi de Dieu. Le chevalier Marsham & M. Leclerc ont ressuscité ce système, fondés sur quelques passages d’Hérodote & de Diodore de Sicile. Le premier de ces historiens, liv. II. chap. xxv. & xxvj. dit que les Egyptiens reçoivent la circoncision, coûtume qui n’est connue que de ceux à qui ils l’ont communiquée (c’est-à-dire des Juifs) : il ajoûte que les enfans de la Colchide l’ayant reçûe des premiers, l’avoient transmise aux peuples qui habitent les rives du Thermodoon & du Parthenius, & que les Syriens & les Phéniciens la tenoient aussi des Egyptiens. Diodore de Sicile dit à-peu-près la même chose.

Mais pourquoi tous ces peuples n’auroient-ils pas au contraire pratiqué la circoncision, à l’imitation des Juifs, quoique ce ne sût pas pour la même fin ? car 1° le témoignage d’Hérodote sur les antiquités Egyptiennes, est très-suspect ; & Manethon auteur Egyptien lui reproche bien des faussetés à cet égard ; l’autorité de Moyse, en qualité de simple historien, vaut bien celle d’Hérodote & de Diodore de Sicile. 2°. Abraham qui avoit voyagé & fait quelque séjour en Egypte, en sortit sans être circoncis ; ce ne fut que par un ordre exprès de Dieu qu’il pratique sur lui même & sur sa famille la circoncision ; & l’on a plus de vraissemblance à assurer que les Egyptiens reçurent la circoncision des enfans de Jacob & de leurs descendans, qui demeurerent long-tems en Egypte, qu’à le nier, comme fait Marsham, sur la seule autorité de deux historiens très-postérieurs à Moyse, & qui devoient être infiniment moins bien instruits que lui des coûtumes d’Egypte ; mais Marsham vouloit

trouver toute la religion des Juifs dans celle des Egyptiens, & tout lui paroissoit démonstratif en faveur de cette opinion absurde, & ruinée depuis long-tems. 3°. Il est certain que la pratique de la circoncision étoit fort différente chez les Juifs & chez les Egyptiens ; les premiers la regardoient comme un devoir essentiel de religion & d’obligation étroite pour les mâles seulement, sur lesquels on la pratiquoit le huitieme jour après leur naissance, sous les peines portées par la loi ; chez les autres, c’étoit une affaire d’usage, de propreté, de raison, de santé, même, selon quelques-uns, de nécessité physique ; on n’en faisoit l’opération qu’au treizieme jour, souvent beaucoup plus tard, & elle étoit pour les filles aussi bien que pour les garçons. 4°. Enfin l’obligation de circoncire tous les mâles n’avoit jamais passé en loi générale chez les Egyptiens : S. Ambroise, Origene, S. Epiphane, & Josephe, attestent qu’il n’y avoit que les Prêtres, les Géometres, les Astronomes, les Astrologues, & les savans dans la langue hiéroglyphique, qui fussent astreints à cette cérémonie, à laquelle, suivant S. Clément d’Alexandrie, stromat. liv. I. Pythagore en voyageant en Egypte voulut bien se soûmettre, pour être initié dans les mysteres des prêtres de ce pays, & apprendre les secrets de leur philosophie occulte.

Mais ce qui ruine entierement le système de Marsham, c’est qu’Artapane cité dans Eusebe, préparat. évangel. liv. IX. chap. xxviij. assûre que ce fut Moyse qui communiqua la circoncision aux prêtres Egyptiens. D’autres pensent encore, avec beaucoup de vraissemblance, qu’elle ne sut en usage parmi eux que sous le regne de Salomon. Du reste ni alors, ni même long-tems après, le commun du peuple n’étoit pas circoncis parmi les Egyptiens, puisque Ezéchiel, ch. xxxj. v. 18. & xxxij. v. 19. & Jéremie, ch. jx. v. 24. & 25. comptent ce peuple parmi les nations incirconcises. Abraham n’a donc point emprunté d’eux l’usage de la circoncision.

Chez les anciens Hébreux la loi n’avoit rien prescrit de particulier, ni sur le ministre, ni sur l’instrument de la circoncision : le pere de l’enfant ou un autre parent, ou un chirurgien, quelquefois même un prêtre, pouvoit faire cette cérémonie. On se servoit d’un rasoir ou d’un couteau. Séphora femme de Moyse circoncit son fils Eliezer avec une pierre tranchante, exod. jv. v. 25. Josué en usa de même envers les Israélites qui n’avoient pas reçû la circoncision dans le desert, Jos. v. vers. 2. c’étoit probablement de ces pierres faites en forme de couteaux, que les Egyptiens se servoient pour ouvrir les corps des personnes qu’ils embaumoient. Les Galles ou prêtres de Cybele se mutiloient avec une pierre tranchante ou un têt de pot cassé, ne le pouvant faire autrement sans se mettre en danger de la vie, si l’on en croit Pline, hist. nat. liv. XXXV. ch. xij.

Chez les Juifs modernes le pere doit faire circoncire son fils au huitieme jour, & non auparavant, mais bien après si l’enfant est infirme ou trop foible pour soûtenir l’opération. Voici les principales cérémonies qui s’y pratiquent. Il y a un parrain pour tenir & ajuster l’enfant sur ses genoux pendant qu’on le circoncit, & une marraine pour-le porter de la maison à la synagogue, & pour le rapporter. Celui qui le circoncit s’appelle en Hébreu mohel, c’est-à-dire circonciseur ; & cette fonction est un grand honneur parmi les Juifs. On reconnoît ceux qui l’exercent ordinairement parce qu’ils ont les ongles des pouces fort longs, pour l’usage dont nous parlerons bientôt. Le pere de l’enfant fait quelquefois l’office du mohel, & même dans sa maison, car il n’est pas toûjours de nécessité qu’on aille à la synagogue. Quand la cérémonie se fait dans ce dernier lieu, au jour indiqué on place dès le matin deux siéges avec des