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écrits d’Hippocrate, de Dioscoride, de Pline, &c. Les chroniques des mines d’Allemagne en font remonter les premiers travaux jusqu’aux tems fabuleux. Les mines des pays du Nord paroissent encore plus anciennes, à en juger par l’idiome de l’art, dont les mots employés aujourd’hui par les Métallurgistes Allemans, sont tirés des anciennes langues du Nord. D’ailleurs les peuples du Nord habitant des contrées peu propres à l’agriculture, il étoit naturel qu’ils se tournassent de bonne heure du côté des mines ; c’est une observation de l’auteur de l’esprit des lois. L’art des embaumemens, qui est certainement très-chimique, existe chez les Egyptiens des l’antiquité la plus reculée. Agatarchis & Diodore de Sicile parlent de leurs mines. La Zimothecnie panaire & vinaire, ou les arts de faire du pain avec de la pâte levée, & de mettre en fermentation les sucs doux, sont des tems qui suivent immédiatement le déluge. Les arts de la Teinture, de la Verrerie, celui de préparer les couleurs pour la Peinture, & même d’en composer d’artificielles, tel que le bleu factice d’Egypte dont il est parlé dans Théophraste, sont très anciens. Il en est de même de la connoissance des mordans. Voici à ce sujet un passage de Pline qui est très-remarquable : Pingunt & vestes in Egypto inter pauca mirabili genere, candida vela postquam attrivere illinentes, non coloribus, sed colorem sorbentibus medicamentis. Hoc, cum fecere, non apparet in velis ; sed in cortinam pigmenti serventis mersa post momentum extrahuntur picta : mirumque cum sit unus in cortina color, ex illo alius atque alius fit in veste accipientis, medicamenti qualitate mutatus ; nec postea ablui potest. Ita cortina non dubiè consusura colores, si pictos acciperet, digetit ex uno, pingitque dum coquit ; & adustæ vestes, firmiores fiunt quam si non urerentur. Pline, nat. lust. lib. XXXV. cap. xj. Il est aussi fait mention dans les plus anciens auteurs d’opérations halotechniques. Aristote dit que l’extraction des sels de cendres est en usage parmi les paysans de l’Ombrie ; & Varron, chez certains peuples des bords du Rhin. Pline parle d’un verre malléable offert à Néron. Le même auteur décrit assez bien la maniere de retirer l’or & l’argent des vieux habits par le moyen de l’amalgame. Cette opération a été décrite aussi par Vitruve, &c.

Mais nous ferons sur ces preuves du renouvellement de la Chimie, les mêmes réflexions que nous avons faites sur celle de son existence avant le déluge ; nous dirons que ces arts ne supposent pas la science. La théorie de la Teinture est bien postérieure à l’art. On fondoit les métaux à-travers les charbons, long-tems avant que Stahl donnât l’admirable théorie de cette opération. Ce n’est pas d’après les principes de son excellente zimotechnie, qu’on a fait le premier vin. Ces spéculations, quand elles sont justes, peuvent fournir des vûes pour perfectionner les arts, & les étendre à un plus grand nombre d’objets. On corrigera les vins ; on songera à mettre en fermentation des substances nouvelles. Mais quant à l’invention directe & systématique des arts, de ceux sur-tout qu’on peut regarder comme chefs, loin de convenir qu’elle soit due aux sciences, c’est une question de savoir si elle peut l’être. Mais en attendant qu’on la décide, nous pouvons assûrer qu’elles ont paru tard ; & qu’il y avoit des arts depuis long-tems, lorsque les progrès de la raison, ou peut-être les premieres erreurs de l’esprit combinées, ont donné naissance aux Sciences.

Quant à l’art de transmuer les métaux, ou a l’Alchimie, on peut le regarder comme ayant toûjours été accompagné de science, & ne pas séparer le système de la pratique alchimique. Le titre de philosophe, de sage, ambitionné en tout tems par les chercheurs de la pierre divine, le secret, l’étude, la

manie d’écrire, &c. tout cela annonce les savans, les gens à théorie. Les plus anciens livres alchimiques de quelque autenticité, contiennent une théorie commune à la Chimie secrette ou Alchimie, & à la Chimie positive ; & quelque frivole qu’on la suppose, elle n’a pû naître que chez des savans, des philosophes, des raisonneurs, &c.

Que l’Alchimie doive sa naissance à l’Egypte cette mere commune des Sciences, & qu’elle ait été cultivée par les hiérophantes ou prêtres de la nation ; c’est un fait qu’on avoue unanimement. En voici les preuves les plus fortes : 1°. l’étymologie la plus naturelle du mot Chimie, est tirée de celui que l’Egypte portoit en langue sacrée, Chemia, selon Plutarque. Des commentateurs prétendent à la vérité qu’il faut dire Chamia, terre de Cham premier fils de Noé, qui s’établit dans cette contrée après le déluge ; & les Septante l’appellent Chami (psal. 105.) du mot Hébreu ham : mais on lit dans Bochart, que les Cophtes l’appellent encore aujourd’hui Chemi. 2°. Les écrivains les plus anciens que nous ayons sur la Chimie, sont originaires d’Egypte ; tels que Zosime de Chemnis ou Panopolis, Dioscorus, Comarius, Olimpiodore, Etienne, Sinesius, & autres dont nous parlerons ailleurs. 3°. La maniere dont on a écrit de la Chimie, tota scribendi & docendi ratio, est entierement dans le goût Egyptien ; c’est une diction tout-à-fait étrange & éloignée du tour ordinaire, un style énigmatique & annonçant par-tout des mysteres sacrés ; ce sont des caracteres hiéroglyphiques, des images bisarres, des signes ignorés, & une façon de dogmatiser tout-à-fait occulte : or personne ne passe pour avoir gardé plus scrupuleusement cette circonspection que les Egyptiens. Ces peuples se sont plu particulierement à envelopper leurs connoissances dans des voiles ténébreux ; & c’est de-là qu’ils ont passé dans les ouvrages des Chimistes. L’usage des anciens auteurs de Chimie d’apostropher le lecteur comme son propre enfant, fili mi, a bien l’air de venir d’Egypte où les sciences ne se transmettoient que des peres aux enfans.

Mais quand il seroit plus clairement démontré que l’Egypte a été le berceau de la Chimie, il n’en seroit pas plus facile de fixer la date de sa naissance. L’adoption générale chez tous les Chimistes, d’Hermès pour l’inventeur & le pere de la Chimie, est tout-à-fait gratuite. L’existence même d’un Hermès Egyptien, n’est pas encore bien tirée au clair : il y a eû en Egypte dix à douze Taut, Thot, Theut, Thoyt, Thout ; pour tous ces noms, les Phéniciens n’en avoient qu’un, Taaut ; les Grecs, qu’Hermès ; ceux d’Alexandrie, que Thoor ; les Latins, que Mercure ; les Gaulois, que Teautates, qui tire son origine de l’Egyptien Taautes qui étoit très-évidemment Hermès ou Mercure : car selon César, Bell. gal. lib. VII. les druides des Gaulois deum maximè Mercurium colunt, hunc omnium artium autorem ferunt. Les Rabbins l’appellent Adris, les Arabes Idris, un certain Arabe Johanithon, & les Barbares (ainsi qualifiés par un Rabbin) Marcolis. Kircher sort en peine du nom d’Idris, a découvert enfin dans l’Arabe Abenephi que c’étoit le même qu’Osiris, que les Perses appellent Adras. Nous avons parlé plus haut d’Agothodemon.

Ce n’est rien que la confusion de ces noms, en comparaison de celle qui naît de la multiplicité des personnes auxquelles ils ont été appliqués. Sanchoniathon compte deux Taaut ou Hermès ; la plûpart des anciens Mythologistes, trois ; quelques-uns quatre ; & Cïcéron cinq. Kircher observe d’après plusieurs auteurs Grecs, Juifs, & Arabes, qu’un très-ancien Hermès, qu’il regarde comme l’Enoch fils de Jared de la Genese, s’étant illustré parmi les hommes, ceux de ses successeurs qui ambitionnerent la réputation