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d’Esculape qui revivifie les morts ; de Jupiter transmué en pluie d’or ; du combat d’Hercule & d’Anthée ; des prodiges de la lyre d’Orphée ; de Pirrha & de Deucalion ; de Gorgone qui lapidifie tout ce qui la voit ; de Midas, à qui Bacchus accorda le don fatal de convertir en or tout ce qu’il touchoit ; de Jupiter qui emporte Ganimede au ciel, sous la forme d’une aigle ; de Dedale & d’Icare ; du nuage sous lequel Jupiter enveloppé joüit d’Io, & la dérobe à la colere de Junon ; du Phenix qui renaît de sa cendre ; du rajeunissement d’Æson, &c. Aussi Robert Duval R. Vallensis prétend-il, dans un traité intitulé de veritate & antiquitate artis Chimiæ, imprimé en 1602, qu’il n’y a aucune de ces allégories dont on ne trouve la véritable clé dans les procédés de la Chimie.

En effet, quel est le vrai chimiste, le chimiste un peu jaloux de ce qui appartient à son art, qui pût se dessaisir sans violence de la fable des travaux d’Hercule ; de l’enlevement des pommes du jardin des Hespérides, après la défaite du dragon qui les gardoit ; de la destruction du lion de la forêt de Nemié ; de la biche aux piés d’airain, tuée sur le mont Menale, &c. Oh si les Chimistes avoient été plus érudits, ou plûtôt les érudits (Kircher par exemple) plus chimistes, quelle moisson d’interprétations à faire n’auroient-ils pas trouvé dans les sentences de Zoroastre, les hymnes d’Orphée, les symboles de Pythagore, les emblèmes, les hiéroglyphes, les tables mystiques, les énigmes, les gryphes, les parœmies, & tous les autres instrumens de l’art de voiler la vérité, dont on se servoit dans les tems où elle étoit autant respectée qu’elle mérite de l’être, où le peuple bien apprétié étoit jugé indigne de la connoître, où l’on croyoit que c’étoit la prostituer que de l’exposer toute nue aux yeux du vulgaire, & où le philosophe jaloux d’élever une barriere entre lui & le reste des hommes, étoit moins à blâmer de la manie qu’il avoit de la cacher, que de celle de faire croire qu’il la cachoit ; car on peut regarder la premiere comme infiniment meilleure que cette indiscrétion qui l’a divulguée depuis par tant de colléges, tant de facultés, tant d’académies plantées, comme disoit le moine Bacon, in omni castro & in omni burgo. Les douze classes ou chefs d’explications dans lesquels Kircher a divisé son gymnasium hieroglyphicum, se seroient réduites par quelques connoissances de la Chimie, à la dixieme seule, où il auroit encore été infiniment moins court & plus hardi. Si M. Jablonski avoit été chimiste, il se seroit bien gardé de voir dans la fameuse table d’Isis si heureusement sauvée, par le célebre cardinal Pietro Bembo, du sac de Rome par le connétable de Bourbon, la suite des fêtes célébrées en Egypte durant toute l’année, V. Miscell. Berolin, tome VI. mais bien au lieu d’un almanach de cabinet Egyptien, un tableau du procédé divin de la transmutation hermétique. Au reste, ceux qui seront curieux de savoir comment les Chimistes l’emportent sur les simples érudits, comme interpretes de l’histoire & de la fable, peuvent consulter principalement Majori arcana arcanorum omnium arcanissima, & plusieurs ouvrages de P. J. Fabre de Castelnaudari (Faber Castrinovidariensis), medecin de Montpellier, sur-tout son Panchimicum, son Hercules Piochimicus, & son Alchimista Christianus.

Au lieu de ce détail, voici une de ces explications qui pourra recréer quelques lecteurs : elle est du célebre Blaise Vigenere. Cet auteur prétend qu’il faut entendre, par la fable de Promethée puni pour avoir dérobé le feu du ciel, que « les dieux envierent le feu aux hommes, pource que par le moyen d’icelui ils sont venus à pénétrer dans les plus profonds & cachés secrets de la nature, de laquelle on ne peut bonnement découvrir & connoître les manieres de procéder, tant elle opere ratierement, sinon

que par son contre-pié, que les Grecs appellent διάλυσις, la résolution & séparation des parties élémentaires qui se fait par le feu, dont procede l’exécution de tous les artifices presque que l’esprit de l’homme s’est inventé. Si que les premiers n’avoient autre instrument & outil que le feu, comme on a pu voir modernement ès découvertes des Indes occidentales ; Homere, en l’hymne de Vulcain, met qu’icelui assisté de Minerve, enseignerent aux humains leurs artifices & beaux ouvrages, ayant auparavant accoûtumé d’habiter en des cavernes & rochers creux à guise des bêtes sauvages. Voulant inférer par Minerve la déesse des Arts & Sciences, l’entendement & industrie, & le feu par Vulcain qui les met à exécution. Par quoi les Egyptiens avoient coûtume de marier ces deux déités ensemble (mariage respectable), ne voulant par là dénoter autre chose, sinon que de l’entendement procede l’invention de tous les Arts & Métiers ; que le feu puis après effectue, & met de puissance en action ; nam agens in toto hoc mundo, dit Johancius, non est aliud quam ignis & calor,

Ὃν Ἥφαιστος δέδαεν, καὶ Παλλὰς Ἀθήνη,


» que Pallas & Vulcain allumerent, exciterent, dit Homere ; qui fut la cause, comme on peut voir dans Philostrate, en la naissance de Minerve, qu’elle quitta les Rhodiens, parce qu’ils lui sacrifioient sans feu, pour aller aux Athéniens ».

Le chimiste le moins curieux des antiquités de son art, ne pourra s’empêcher de recourir à Philostrate sur la citation de Vigenere, & le moins enthousiaste ne pourra se refuser à l’application qui se présentera à son esprit de l’allégorie de Minerve quittant les Rhodiens pour les Athéniens, parce que ceux-là lui sacrifioient sans feu. Sacrifier à Minerve sans feu, dira-t-il avec transport, c’est évidemment s’appliquer aux recherches physiques, en négligeant les secours de la Chimie : & combien en effet, continuera-t-il, de sacrifices modernes faits sans feu à Minerve physicienne, portent le caractere d’offrandes rejettées par la déesse.

Quelques auteurs (à la tête desquels on peut placer ce Fabre de Castelnaudari que nous avons cité plus haut) dont la manie de voir en tout & par-tout les hiéroglyphes de la Chimie, ne s’est pas épuisée sur les fables Greques, Egyptiennes, & Phéniciennes, se sont encore jettés & sur les ouvrages allégoriques de l’ancien & du nouveau Testament, comme le Cantique des cantiques, & l’Apocalypse ; & sur les livres de l’historique le plus positif, tels que le Pentateuque, & les Evangélistes : travers dans lequel on ne sait s’il y a plus d’irréligion que de folie. Au reste, si c’est folie plûtôt qu’irréligion, il faut avoüer que la maniere figurée propre aux Orientaux ne pouvoit guere manquer de mettre en jeu des imaginations si voisines du déréglement.

Mais de tous les auteurs qui ont écrit en faveur de l’antiquité de la Chimie, nul ne s’est montré plus profond, plus sérieux, plus avide de témoignages, & plus adroit à ourdir ces longs tissus, ou à accrocher entr’eux ces atomes de preuves dont nous avons fait mention au commencement de ces considérations historiques, que le célebre chimiste Olaüs Borrichius, dans son traité de ortu & progressu Chimiæ. Il se déclare, sans hésiter, pour l’opinion de ceux qui font remonter l’origine de l’art jusqu’aux tems qui ont précédé le déluge. Il est dit au quatrieme chapitre de la Genese, de Tubalcain qu’il fut malleator & faber in cuncta genera æris & ferri. Tubalcain fut donc un chimiste ; « car Tubalcain n’a pu inventer, forger, perfectionner ces ouvrages, sans l’art de trouver les mines, de les trier, de les griller, de les fondre ;