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nes ne constitue point un tout dont les parties soient liées par ce rapport : ainsi une liqueur trouble, un morceau d’argille rempli de petits caillous, chacun de ces corps étant pris pour un tout unique, ne sont pas des aggregés, mais de simples mêlanges par confusion, que nous opposons dans ce sens à l’aggrégation.

Il est évident par la définition, que les tas ou amas de parties simplement contiguës, tels que les poudres, ne sont pas des aggregés, mais qu’ils peuvent seulement être des amas d’aggregés.

Quand nous n’aurions pas expressément abandonné les corps organiques, il est clair aussi par la même définition, qu’ils sont absolument exclus de la classe des aggregés.

Les parties de l’aggregé sont appellées par les Physiciens modernes molécules ou masses de la derniere composition ou du dernier ordre, corpuscules dérivés, &c. & beaucoup plus exactement par des Physiciens antérieurs, parties intégrantes ou simplement corpuscules : je dis plus exactement, parce que c’est gratuitement, pour ne rien dire de plus, que les premiers ont soûtenu que les corpuscules, qui par leur réunion forment immédiatement les corps sensibles, étoient toûjours des masses.

Les corpuscules considérés comme matériaux immédiats de l’aggregé, sont censés inaltérables ; c’est-à-dire que l’aggregé ne peut persister dans son être spécifique qu’autant que ses parties intégrantes sont inaltérées : c’est par là que les parties intégrantes de l’étain décomposées par la calcination, ne forment plus de l’étain, lors même que par la fusion on leur procure le rapport de masse, ou qu’on en fait un seul aggregé, le verre d’étain.

J’admets des aggregés parfaits & des aggregés imparfaits. Les premiers sont ceux qui sont assez exactement dans les termes de la définition, pour qu’on ne puisse découvrir par aucun moyen physique s’ils s’en écartent ou non. Les imparfaits sont ceux dans lesquels on peut découvrir quelque imperfection par des moyens physiques. Mon aggregé parfait est la masse similaire, que M. Wolff a définie (cosm. §. 249), dont il a nié l’existence dans la nature (§. suiv.), & que le même philosophe paroît admettre sous le nom de textura. Cosmolog. nat. §. 75.

L’imperfection de l’aggregé est toûjours dans le défaut de densité uniforme.

Les liquides purs, les vapeurs homogenes, l’air, les corps figés, comme les régules métalliques, les verres ; quelques substances végétales & animales non-organisées, telles que les huiles végétales & animales, les beurres végétaux & animaux, les baumes liquides, &c. les crystaux des sels, les corps mous affaissés d’eux-mêmes, &c. sont des aggregés parfaits. Les pierres dures, les terres cuites, les concrétions pierreuses compactes, les corps mous inégalement pressés, les métaux battus, tirés ; les extraits, les graisses, &c. sont des aggregés imparfaits.

Je me forme de tout aggregé parfait, l’idée par laquelle Newton a voulu qu’on se représentât l’expansibilité & la compressibilité de l’air (voyez Opt. quest. xxxj.) : idée que M. Desaguliers a plus précisément exprimée (voyez sa deuxieme dissertation sur l’élévation des vapeurs, dans son cours de physique, leç. xj.) ; c’est-à-dire que je regarde tout aggregé parfait, excepté la masse absolument dense, si elle existe dans la nature, comme un amas de corpuscules non-contigus, disposés à des distances égales. Je ne m’arrêterai point à établir ici ce paradoxe physique, parce qu’il peut aussi bien me servir comme supposition que comme vérité démontrée ; & que je prétens moins déterminer la disposition intérieure ou la composition de mon aggre-

gé, que représenter son état par une image sensible.

Les parties intégrantes d’un aggregé considérées en elles-mêmes & solitairement, peuvent être des corps simples, élémentaires, des atomes ; ou des corps formés par l’union de deux ou plusieurs corps simples de nature différente, ce que les Chimistes appellent des mixtes ; ou des corps formés par l’union de deux ou de plusieurs différens mixtes, corps que les Chimistes appellent composés ; ou enfin par quelqu’autre ordre de combinaison, qu’il est inutile de détailler ici.

Une masse d’eau est un aggregé de corps simples semblables ; une masse d’or est un aggregé de mixtes semblables ; une amalgame est un aggregé de composés semblables. Nous disons à dessein semblables, pour énoncer que l’homogénéité de l’aggregé subsiste avec la non-simplicité de ses parties intégrantes, & qu’elle est absolument indépendante de l’homogénéité de celles-ci, de même que sa densité uniforme est indépendante du degré de densité, ou de la diverse porosité de ces parties.

Ce n’est pas ici le lieu de démontrer toutes les vérités que ceci suppose ; par exemple, qu’il y a plusieurs élémens essentiellement différens, ou que l’homogénéité de la matiere est une chimere ; que les corps inaltérables, l’eau, par exemple, sont immédiatement composés d’élémens ; & que le petit édifice sous l’image duquel les Corpusculaires & les Newtoniens veulent nous faire concevoir une particule d’eau, porte sur le fondement le plus ruineux, sur une logique très-vicieuse. Aussi ne proposons-nous ici que par voie de demande ces vérités, que nous déduirions par voie de conclusion, si au lieu d’en composer un article de dictionnaire, nous avions à en faire les derniers chapitres d’un traité général & scientifique de Chimie. Les faits, les opérations, les procédés, les vérités de détail qui remplissent tant d’ouvrages élémentaires, serviroient de fondement à ces notions universelles & à celles qui suivront, & qui perdant alors le nom de suppositions, prendroient celui d’axiomes.

Ce petit nombre de notions peut servir d’abord à distinguer exactement dans un corps quelconque ce qui appartient à la masse, de ce qui appartient à la partie intégrante.

Il est évident, par exemple, par le seul énoncé que les propriétés méchaniques des corps leur appartiennent comme masse, que c’est par leur masse qu’ils poussent, qu’ils pesent, qu’ils résistent, qu’ils exercent, dis-je, ces actions avec une force déterminée (car il ne s’agit pas ici des propriétés communes ou essentielles des corps, de leur mobilité, de leur gravité, ou de leur inertie absolue) ; en un mot que leur figure, leur grandeur, leur mouvement, & leur situation, considérés comme principes méchaniques, appartiennent à la masse. Car quant au mouvement, quoique les Physiciens estiment celui d’un tout par la somme des mouvemens de toutes ses parties, ils n’en conviennent pas moins que dans le mouvement dont nous parlons toutes ces parties sont en repos les unes par rapport aux autres.

Tous les changemens qu’éprouve un aggregé dans la disposition & dans la vicinité de ses parties, est aussi, par la force des termes, une affection de l’aggregé. Que la rarescibilité, l’élasticité, la divisibilité, la ductilité, &c. ne dépendent uniquement que de l’aptitude à ces changemens, sans que les molécules intégrantes éprouvent aucun changement intérieur ; du moins qu’il y ait des corps dont les parties intégrantes sont à l’abri de ces changemens, & quels sont ces corps ; ce sont des questions particulieres qu’il n’est pas possible d’examiner ici. Que toutes ces propriétés puissent avoir entierement leur