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ainsi subtilisée, se consumant perpétuellement par les circulations réitérées, demande semblablement à être réparée. Il est donc nécessaire pour cette réparation de renouveller le chyle, & par conséquent de reprendre de nouveaux alimens & de nouvelles boissons.

On conçoit bien que les humeurs qu’on a perdues se réparent, quant à la matiere, par les alimens, la boisson, & l’air ; mais quant aux qualités requises, cette opération s’exécute par le concours des actions naturelles du corps, dont l’exposition fait une des grandes & des belles parties de la Physiologie.

Fausses hypotheses sur la chylification. Comme par le détail qu’on vient de lire, tout ce qui arrive aux alimens depuis leur préparation dans la bouche jusqu’à leur derniere subtilisation, qui produit la nutrition des parties du corps humain, est une suite évidente de la fabrique & de l’action des vaisseaux, de la nature connue des humeurs, démontrée par des raisonnemens méchaniques ; falloit-il, pour en donner l’explication, avoir recours à des suppositions obscures ou douteuses, & également contraires à la raison & à l’expérience ? falloit-il enfanter tous ces systèmes extravagans en Medecine, si long-tems à la mode, & si justement méprisés aujourd’hui ? Je parle des systèmes de la chaleur coctrice du ventricule, de son acreté naturelle & vitale, de l’archée de Vanhelmont, de la bile alkaline qui change le chyle acide en alkalescent salé & volatil, d’une précipitation qui purifie le chyle, des fermentations, des effervescences du sang dans le ventricule droit, du nitre aérien qui le change en rouge dans le poumon ? que sai-je, d’une infinité d’autres hypotheses chimériques, qui pour comble de maux, ont eu une influence pernicieuse sur la pratique de leurs auteurs. Cet article est de M. le Chevalier de Jaucourt.

CHYLIFERE, adj. en Anatomie, se dit des vaisseaux qui portent le chyle, & qu’on nomme aussi chylidoques ou veines lactées. Voyez Chyle & Veines lactées.

CHYLOSE, s. f. en Medecine, l’action par laquelle les alimens se tournent en chyle ou chyme dans l’estomac, &c. soit que cela arrive par une fermentation qui se passe dans l’estomac, soit par la force de contraction de ce viscere, soit par ces deux moyens tout à la fois. Voyez Chylification & Digestion. (L)

CHYME, s. m. (Anat. Physiolog.) suc animal qui est le même que celui qu’on appelle ordinairement chyle. Voyez Chyle.

Il y a cependant des auteurs qui distinguent entre le chyme & le chyle, & qui restreignent le mot chyme à signifier la masse de nourriture telle qu’elle est dans l’estomac, avant qu’elle soit assez attenuée & liquéfiée pour pouvoir franchir le pylore, passer dans le duodenum, & de là dans les veines lactées, pour s’y dissoudre davantage & s’y impregner du suc pancréatique ; après quoi elle commence à être dans l’état de chyle. D’autres prétendent tout le contraire.

CHYMIE ou CHIMIE, s. f. (Ord. encyc. Entend. Raison. Philos. ou Science. Science de la nat. Physique. Physiq. générale. Physiq. particul. ou des grands corps & des petits corps. Physiq. des petits corps ou Chimie.) La Chimie est peu cultivée parmi nous ; cette science n’est que très-médiocrement répandue, même parmi les savans, malgré la prétention à l’universalité de connoissances qui fait aujourd’hui le goût dominant. Les Chimistes forment encore un peuple distinct, très-peu nombreux, ayant sa langue, ses lois, ses mysteres, & vivant presque isolé au milieu d’un grand peuple peu curieux de son commerce n’attendant presque rien de son industrie. Cette incuriosité, soit réelle, soit simulée, est toûjours

peu philosophique, puisqu’elle porte tout-au-plus sur un jugement hasardé ; car il est au moins possible de se tromper quand on prononce sur des objets qu’on ne connoît que superficiellement. Or comme il est précisément arrivé qu’on s’est trompé, & même qu’on a conçu plus d’un préjugé sur la nature & l’étendue des connoissances chimiques, ce ne sera pas une affaire aisée & de légere discussion, que de déterminer d’une maniere incontestable & précise ce que c’est que la Chimie.

D’abord les personnes les moins instruites ne distinguent pas le chimiste du souffleur ; l’un & l’autre de ces noms est également mal-sonnant pour leurs oreilles. Ce préjugé a plus nui aux progrès, du moins à la propagation de l’art, que des imputations plus graves prises dans le fond même de la chose, parce qu’on a plus craint le ridicule que l’erreur.

Parmi ces personnes peu instruites, il en est pour qui avoir un laboratoire, y préparer des parfums, des phosphores, des couleurs, des émaux, connoître le gros du manuel chimique & les procédés les plus curieux & les moins divulgués, en un mot être ouvrier d’opérations & possesseur d’arcanes, c’est être chimiste.

Quelques autres, en bien plus grand nombre, restreignent l’idée de la Chimie à ses usages medicinaux : ce sont ceux qui demandent du produit d’une opération, dequoi cela guérit-il ? Ils ne connoissent la Chimie que par les remedes que lui doit la Medecine pratique, ou tout au plus par ce côté & par les hypotheses qu’elle a fournies à la Medecine théorique des écoles.

Ces reproches tant de fois repétés : les principes des corps assignés par les Chimistes sont des êtres très composés ; les produits de leurs analyses sont des créatures du feu ; ce premier agent des Chimistes altere les matieres auxquelles on l’applique, & confond les principes de leur composition, ignis mutat res : ces reproches, dis-je, n’ont d’autre source que les méprises dont je viens de parler, quoiqu’ils semblent supposer la connoissance de la doctrine & des faits chimiques.

On peut avancer assez généralement que les ouvrages des Chimistes, des maîtres de l’art, sont presque absolument ignorés. Quel physicien nomme seulement Becher ou Stahl ? Les ouvrages chimiques (ou plûtôt les ouvrages sur des sujets chimiques) de savans, illustres d’ailleurs, sont bien autrement célébrés. C’est ainsi, par exemple, que le traité de la fermentation de Jean Bernoulli, & la docte compilation du célébre Boerhaave sur le feu, sont connus, cités, & loüés ; tandis que les vûes supérieures, & les choses uniques que Stahl a publiées sur l’une & l’autre de ces matieres, n’existent que pour quelques chimistes.

Ce qu’on trouve de chimique chez les physiciens proprement dits, car on en trouve chez plusieurs, & même jusqu’à des systèmes généraux, des principes fondamentaux de doctrine ; tout ce chimique, dis-je, qui est le plus répandu, a le grand défaut de n’avoir pas été discuté ou vérifié sur le détail & la comparaison des faits ; ce qu’ont écrit de ces matieres, Boyle, Newton, Keill, Freind, Boerhaave, &c. est manifestement marqué au coin de cette inexpérience. Ce n’est donc pas encore par ces derniers secours qu’il faut chercher à se former une idée de la Chimie.

On pourroit la puiser dans plusieurs des anciens chimistes ; ils sont riches en faits, en connoissances vraiment chimiques ; ils sont Chimistes : mais leur obscurité est réellement effrayante, & leur enthousiasme déconcerte le sage & grave maintien de la philosophie des sens. Ainsi il est au moins très pénible d’appercevoir la saine Chimie (dans l’art