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fouetté, délayé, & peut-être mêlé avec les esprits des nerfs qui s’y distribuent.

Après que le chyle a passé par ces glandes, il en sort par les vaisseaux lactés du second genre, qui sont moins nombreux, mais plus gros & plus unis : ces vaisseaux vont se rendre à la citerne lactée, ou au reservoir chyleux, si connu sous le nom de reservoir de Pecquet, qui l’a mis en évidence en 1651 : là se décharge une grande quantité de lymphe qui vient de presque toutes les parties situées sous le diaphragme, & qui y est apportée de toutes parts par les vaisseaux lymphatiques. En effet les valvules, les ligatures, les maladies de la lymphe, nous apprennent que telle est la route de cette humeur.

Ce n’est pas ici le lieu de décrire le reservoir du chyle, qui est une vésicule dont la figure & la grandeur varient beaucoup dans l’homme même : nous dirons seulement que le concours des veines lactées qui sont en grand nombre, demandoit qu’il y eût un reservoir qui reçût le chyle ; sans cela ce fluide auroit souffert des retardemens dans le mesentere, ou bien il auroit fallu qu’il marchât avec une grande rapidité dans le canal thorachique, lequel n’a pas une structure propre à résister à un fluide poussé avec force, & qui coule avec beaucoup de vîtesse.

Le chyle ayant été délayé par la lymphe dans le reservoir de Pecquet, est porté au haut de ce reservoir qui forme un canal particulier connu sous le nom de canal thorachique (Voyez Canal thorachique), & les valvules dont ce canal est rempli facilitent la progression de cette liqueur.

Le chyle est déterminé de ce canal dans la soûclaviere par le secours de deux valvules, qui en se rapprochant forment une si petite sente, qu’il ne peut entrer dans cette veine qu’une petite quantité de chyle à la fois, & qu’il n’en peut refluer dans le canal thorachique.

On ne sauroit donc douter que la plus grande partie du chyle ne monte à la veine soûclaviere ; mais on peut douter s’il n’y en a pas une portion, savoir la plus tenue, qui se rende au foie par les veines méséraïques, après avoir été pompée par les tuyaux absorbans qui s’ouvrent dans la tunique veloutée des intestins.

Cependant tout semble lever ce doute. 1°. Le nombre, la grandeur de ces tuyaux absorbans, leur structure, leur nature qui n’est pas différente de celles que les veines ont communément, le sang veineux qui de-là coule dans la veine-porte comme dans une artere, la nature de ce sang, la grande quantité d’humeurs qui abordent aux intestins, tout cela fait soupçonner que la partie la plus lymphatique du chyle est portée dans la veine-porte, où elle est délayée pour servir ensuite de nouvelle matiere à la secrétion de la bile. 2°. On peut apporter une autre raison de cette opinion, tirée de l’anatomie comparée des ovipares, qui n’ont point de vaisseaux lactés, mais dans lesquels il se trouve un passage de la cavité des intestins aux vaisseaux méséraïques. Bilsius a fait voir que si on lie les arteres du mesentere dans un chien qui vient de manger beaucoup, on trouve les veines méséraïques remplies d’une liqueur cendrée. On s’est plaint que Bilsius n’avoit pas détaillé la maniere dont il faisoit son expérience ; mais Glisson ne s’est pas dispensé de la donner. Swammerdam a confirmé l’opinion de Bilsius par d’autres exemples de l’anatomie comparée ; il est certain que dans les oiseaux il y a un passage aux veines méséraïques.

Mais si l’on doit soupçonner que le chyle le plus tenu passe du mesentere dans les veines méséraïques, ne doit-on pas penser la même chose au sujet du ventricule ? les parties les plus subtiles des alimens ne peuvent-elles pas être absorbées par des tuyaux

veineux ? l’action des cordiaux ne paroît-elle pas en être une preuve ?

On demandera présentement quelles sont les causes qui concourent à pousser le chyle de bas en haut, qui le sont monter si aisément, même lorsqu’on est debout, dans des tuyaux tels que le reservoir de Pecquet & le canal thorachique, tuyaux grêles, comprimés, perpendiculaires, & qui s’affaissent aisément.

Je réponds que ces causes sont en grand nombre, & se présentent d’elles-mêmes, pour peu qu’on fasse attention 1° à la force avec laquelle les intestins se contractent, & aux causes qui concourent à chasser le chyle des intestins : 2° aux valvules des vaisseaux lactés & à celles du reservoir thorachique, qui facilitent beaucoup la progression du chyle : 3° aux battemens des arteres méséraiques, qui sont paralleles aux vaisseaux lactés, ou les croisent : 4° à la forte action du diaphragme sur le réservoir : 5° aux puissantes causes qui compriment le péritoine, lequel forme cette fine membrane du mesentere où les vaisseaux lactés sont refermés : 6° à la propre contraction des membranes qui forment le paroi & le canal de Pecquet ; contraction qui est encore forte après la mort : 7° aux fortes pulsations de l’aorte, qui est voisine du canal thorachique : 8° au mouvement même des poumons & du thorax.

Tandis que toutes ces forces agissent, le chyle monte donc nécessairement dans le reservoir, dans le canal thorachique, & se jette dans la veine soûclaviere gauche ; car les liqueurs se portent vers les lieux où elles trouvent moins de résistance : or les valvules des veines lactées offrent un obstacle insurmontable ; le chyle doit donc se déterminer vers la veine soûclaviere ; là il souleve l’espece de valvule, ou pour mieux dire la digue qui ferme le canal thorachique, empêche que le sang n’entre dans le canal, & permet le passage au chyle : dès qu’il est entré dans la veine soûclaviere, il passe par son conduit dans la veine cave, dans le sinus veineux, dans l’oreillette droite, & dans le premier ventricule du cœur, où ayant été mêlé avec le sang, divisé, fouetté par l’action de ce viscere, il est poussé dans l’artere pulmonaire, & y acquiert toutes les qualités du sang.

Résumons en peu de mots ces merveilles. Le chyle qui a été préparé dans la bouche, broyé, atténue dans l’estomac, élaboré dans les intestins, séparé dans les vaisseaux lactés, délayé dans les glandes du mesentere, plus délayé encore & plus mêlé dans le canal thorachique, mêlé au sang dans les veines, dans l’oreillette, & dans l’antre droit ; là plus exactement mêlé encore, dissout, broyé, atténué, étant fort pressé postérieurement, & latéralement repoussé dans les vaisseaux coniques & cylindriques artériels du poumon, doit prendre la forme des parties solides & fluides qu’il y a dans tout le corps.

Il est encore très-exactement mêlé dans les veines pulmonaires ; peut-être est-il délayé dans les mêmes veines par la lymphe. Il acquiert principalement dans le poumon la couleur rouge, qui est la marque essentielle d’un sang bien conditionné : sa fluidité & sa chaleur se conservent par la circulation, & c’est ainsi qu’il paroît prendre la forme qui est propre à nourrir. Cet effet est produit par l’action continuelle du poumon, des visceres, & des vaisseaux. Cette action change insensiblement le sang chyleux en sérum, lui procure divers changemens semblables à ceux que la chaleur de l’incubation opere sur le blanc-d’œuf ; car c’est la même chaleur dans l’état sain, & cela continue jusqu’à ce qu’une partie du sérum soit subtilisée autant qu’il le faut pour produire la nutrition : cependant cette partie du sérum