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me une propriété que l’on peut produire méchaniquement dans un corps.

Bacon, dans un traité exprès, intitulé de formà calidi, où il entre dans le détail des différens phénomenes & effets de la chaleur, soûtient 1°. que la chaleur est une sorte de mouvement ; non que le mouvement produise la chaleur, ou la chaleur le mouvement, quoique l’un & l’autre arrivent en plusieurs cas ; mais, selon lui, ce qu’on appelle chaleur n’est autre chose qu’une espece de mouvement accompagné de plusieurs circonstances particulieres.

2°. Que c’est un mouvement d’extension, par lequel un corps s’efforce de se dilater, ou de se donner une plus grande dimension qu’il n’avoit auparavant.

3°. Que ce mouvement d’extension est dirigé du centre vers la circonférence, & en même tems de bas en haut ; ce qui paroît par l’expérience d’une baguette de fer, laquelle étant posée perpendiculairement dans le feu, brûlera la main qui la tient beaucoup plus vîte que si elle y étoit posée horisontalement.

4°. Que ce mouvement d’extension n’est point égal ou uniforme ni dans tout le corps, mais qu’il existe dans ses plus petites parties seulement, comme il paroît par le tremblotement ou la trépidation alternative des particules des liqueurs chaudes, du fer rouge, &c. & enfin que ce mouvement est extrèmement rapide. C’est ce qui le porte à définir la chaleur un mouvement d’extension & d’ondulation dans les petites parties d’un corps, qui les oblige de tendre avec une certaine rapidité vers la circonférence, & de s’élever un peu en même tems.

A quoi il ajoûte que si vous pouvez exciter dans quelque corps naturel un mouvement qui l’oblige de s’étendre & de se dilater, ou donner à ce mouvement une telle direction dans ce même corps, que la dilatation ne s’y fasse point d’une maniere uniforme, mais qu’elle n’en affecte que certaines parties, sans agir sur les autres, vous y produirez de la chaleur. Toute cette doctrine est bien vague.

Descartes & ses sectateurs adherent à cette doctrine, à quelques changemens près. Selon eux, la chaleur consiste dans un certain mouvement ou agitation des parties d’un corps, semblable au mouvement dont les diverses parties de notre corps sont agitées par le mouvement du cœur & du sang. Voyez les principes de Descartes.

M. Boyle, dans son Traité de l’origine méchanique du chaud & du froid, soûtient avec force l’opinion de la producibilité du chaud ; & il la confirme par des réflexions & des expériences. Nous en insérerons ici une ou deux.

Il dit que dans la production du chaud, l’agent ni le patient ne mettent rien du leur, si ce n’est le mouvement & ses effets naturels. Quand un maréchal bat vivement un morceau de fer, le métal devient excessivement chaud ; cependant il n’y a là rien qui puisse le rendre tel, si ce n’est la force du mouvement du marteau, qui imprime dans les petites parties du fer une agitation violente & diversement déterminée ; de sorte que ce fer qui étoit d’abord un corps froid, reçoit de la chaleur par l’agitation imprimée dans ses petites parties : ce fer devient chaud d’abord relativement à quelques autres corps en comparaison desquels il étoit froid auparavant : ensuite il devient chaud d’une maniere sensible, parce que cette agitation est plus forte que celle des parties de nos doigts ; & dans ce cas il arrive souvent que le marteau & l’enclume continuent d’être froids après l’opération. Ce qui fait voir, selon Boyle, que la chaleur acquise par le fer ne lui étoit point communiquée par aucun de ces deux instrumens comme chauds, mais que la

chaleur est produite en lui par un mouvement assez considérable pour agiter violemment les parties d’un corps aussi petit que la piece de fer en question, sans que ce mouvement soit capable de faire le même effet sur des masses de métal aussi considérables que celles du marteau & de l’enclume. Cependant si l’on répétoit souvent & promptement les coups, & que le marteau fût petit, celui-ci pourroit s’échauffer également ; d’où il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire qu’un corps, pour donner de la chaleur, soit chaud lui-même.

Si l’on enfonce avec un marteau un gros clou dans une planche de bois, on donnera plusieurs coups sur la tête avant qu’elle s’échauffe : mais dès que le clou est une fois enfoncé jusqu’à sa tête, un petit nombre de coups suffiroit pour lui donner une chaleur considérable : car pendant qu’à chaque coup de marteau le clou s’enfonce de plus en plus dans le bois, le mouvement produit dans le bois est principalement progressif, & agit sur le clou entier dirigé vers un seul & même côté : mais quand ce mouvement progressif vient à cesser, la secousse imprimée par les coups de marteau étant incapable de chasser le clou plus avant, ou de le casser, il faut qu’elle produise son effet, en imprimant aux parties du clou une agitation violente & intérieure, dans laquelle consiste la nature de la chaleur.

Une preuve, dit le même auteur, que la chaleur peut être produite méchaniquement, c’est qu’il n’y a qu’à réfléchir sur sa nature, qui semble consister principalement dans cette proprieté méchanique de la matiere, que l’on appelle mouvement : mais il faut pour cela que le mouvement soit accompagné de plusieurs conditions ou modifications.

En premier lieu, il faut que l’agitation des parties du corps soit violente ; car c’est-là ce qui distingue les corps qu’on appelle chauds, de ceux qui sont simplement fluides : ainsi les particules d’eau qui sont dans leur état naturel, se meuvent si lentement qu’elles nous paroissent destituées de toute chaleur ; & cependant l’eau ne seroit point une liqueur, si ses parties n’étoient point dans un mouvement continuel : mais quand l’eau devient chaude, on voit clairement que son mouvement augmente à proportion, puisque non-seulement elle frappe vivement nos organes, mais qu’elle produit aussi une quantité de petites bouteilles, qu’elle fond l’huile coagulée qu’on fait tomber sur elle, & qu’elle exhale des vapeurs qui montent en l’air. Et si le degré de chaleur peut faire bouillir l’eau, l’agitation devient encore plus visible par les mouvemens confus, par les ondulations, par le bruit, & par d’autres effets qui tombent sous les sens : ainsi le mouvement & sifflement des gouttes d’eau qui tombent sur un fer rouge, nous permettent de conclure que les parties de ce fer sont dans une agitation très violente. Mais outre l’agitation violente, il faut encore, pour rendre un corps chaud, que toutes les particules agitées, ou du moins la plûpart, soient assez petites, dit M. Boyle, pour qu’aucune d’elles ne puisse tomber sous les sens.

Une autre condition est que la détermination du mouvement soit diversifiée, & qu’elle soit dirigée en tout sens. Il paroît que cette variété de direction se trouve dans les corps chauds, tant par quelques-uns des exemples ci-dessus rapportés, que par la flamme que jettent ces corps, & qui est un corps elle-même, par la dilatation des métaux quand ils sont fondus, & par les effets que les corps chauds font sur les autres corps, en quelque maniere que se puisse faire l’application du corps chaud au corps que l’on veut échauffer. Ainsi un charbon bien allumé paroîtra rouge de tous côtés, fondra la cire, & allumera du soufre quelque part qu’on l’applique