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d’appliquer nos vûes à la fixation de quelques-unes des principales époques. Notre Dictionnaire étant particulierement philosophique, il est également de notre devoir d’indiquer les vérités découvertes, & les voies qui pourroient conduire à celles qui sont inconnues : c’est la méthode que nous avons suivie à l’art. Canon des saintes Ecritures (v. cet art.), & c’est encore celle que nous allons suivre ici.

Des annales Babyloniennes, Egyptiennes, ou Chaldéennes, réduites à notre chronologie. C’est à M. Gibert que nous aurons l’obligation de ce que nous allons exposer sur cette matiere si importante & si difficile. Voyez une lettre qu’il a publiée en 1743, Amst. Les anciens désignoient par le nom d’année, la révolution d’une planete quelconque autour du ciel. Voyez Macrobe, Eudoxe, Varron, Diodore de Sicile, Pline, Plutarque, S. Augustin, &c. Ainsi l’année eut deux, trois, quatre, six, douze mois ; & selon Palephate & Suidas, d’autres fois un seul jour. Mais quelles sortes de révolutions entendoient les Chaldéens, quand ils s’arrogeoient quatre cents soixante-treize mille ans d’observations ? Quelles ? celles d’un jour solaire, répond M. Gibert ; le jour solaire étoit leur année astronomique : d’où il s’ensuit, selon cette supposition, que les 473 mille années des Chaldéens se réduisent à 473 mille de nos jours, ou à 1297 & environ neuf mois, de nos années solaires. Or c’est-là précisément le nombre d’années qu’Eusebe compte depuis les premieres découvertes d’Atlas en Astronomie, jusqu’au passage d’Alexandre en Asie ; & il place ces découvertes à l’an 384 d’Abraham : mais le passage d’Alexandre est de l’an 1582 ; l’intervalle de l’une à l’autre est donc précisément de 1298 ans, comme nous l’avons trouvé.

Cette rencontre devient d’autant plus frappante, qu’Atlas passe pour l’inventeur même de l’Astrologie, & par conséquent ses observations, comme la date des plus anciennes. L’histoire fournit même des conjectures assez fortes de l’identité des observations d’Atlas, avec les premieres observations des Chaldéens. Mais voyons la suite de cette supposition de M. Gibert.

Berose ajoûtoit 17000 ans aux observations des Chaldéens. L’histoire de cet auteur dédiée à Antiochus Soter, fut vraissemblablement conduite jusqu’aux dernieres années de Seleucus Nicanor, prédécesseur de cet Antiochus. Ce fut à-peu-près dans ce tems que Babylone perdit son nom, & que ses habitans passerent dans la ville nouvelle construite par Seleucus, c’est-à-dire la 293 année avant J. C. ou plûtôt la 289 ; car Eusebe nous apprend que Seleucus peuploit alors la ville qu’il avoit bâtie. Or les 17000 ans de Berose évalués à la maniere de M. Gibert, donnent 46 ans six à sept mois, ou l’intervalle précis du passage d’Alexandre en Asie, jusqu’à la premiere année de la cxxiij. olympiade, c’est-à-dire jusqu’au moment où Berose avoit conduit son histoire.

Les 720000 années qu’Epigene donnoit aux observations conservées à Babylone, ne font pas plus de difficulté : réduites à des années Juliennes, elles font 1971 ans & environ trois mois ; ce qui approche fort des 1903 ans que Callisthene accordoit au même genre d’observations : la différence de 68 ans vient de ce que Callisthene finit son calcul à la prise de Babylone par Alexandre, comme il le devoit, & qu’Epigene conduisit le sien jusque sous Ptolémée Philadelphe, ou jusqu’à son tems.

Autre preuve de la vérité des calculs & de la supposition de M. Gibert. Alexandre Polyhistor dit, d’après Berose, que l’on conservoit à Babylone depuis plus de 150000 ans des mémoires historiques de tout ce qui s’étoit passé pendant un si long intervalle. Il

n’est personne qui sur ce passage n’accuse Berose d’imposture, en se rappellant que Nabonassar, qui ne vivoit que 410 à 411 ans avant Alexandre, détruisit tous les monumens historiques des tems qui l’avoient précédé ; cependant en réduisant ces 150000 ans à autant de jours, on trouve 410 ans huit mois & trois jours, & les 150000 de Berose ne sont plus qu’une affectation puérile de sa part. Les 410 ans huit mois & trois jours qu’on trouve par la supposition de M. Gibert, se sont précisément écoulés depuis le 26 Février de l’an 747 avant J. C. où commence l’ere de Nabonassar, jusqu’au premier Novembre de l’an 337, c’est-à-dire jusqu’à l’année & au mois d’où les Babyloniens datoient le regne d’Alexandre, après la mort de son pere. Cette réduction ramene donc toûjours à des époques vraies ; les 30000 ans que les Egyptiens donnoient au regne du Soleil, le même que Joseph, se réduisent aux 80 ans que l’Ecriture accorde au ministere de ce patriarche ; les 1300 ans & plus que quelques-uns comptent depuis Menès jusqu’à Neithocris, ne sont que des années de six mois, qui se réduisent à 668 années Juliennes que le canon des rois Thébains d’Eratosthene met entre les deux mêmes regnes ; les 2936 ans que Dicearque compte depuis Sésostris jusqu’à la premiere olympiade, ne sont que des années de trois mois, qui se réduisent aux 734 que les marbres de Paros comptent entre Danaüs frere de Sésostris & les olympiades, &c. Voyez la lettre de M. Gibert.

De la chronologie Chinoise rappellée à notre chronologie. Nous avons fait voir à l’article Chinois, que le regne de Fohi fut un tems fabuleux, peu propre à fonder une véritable époque chronologique. Le pere Longobardi convient lui-même que la chronologie des Chinois est très-incertaine ; & si l’on s’en rapporte à la table chronologique de Nien, auteur très estimé à la Chine, dont Jean François Fouquet nous a fait connoître l’ouvrage, l’histoire de la Chine n’a point d’époque certaine plus ancienne que l’an 400 avant J. C. Kortholt qui avoit bien examiné cette chronologie de Nien, ajoûte que Fouquet disoit des tems antérieurs de l’ere Chinoise, que les lettrés n’en disputoient pas avec moins de fureur & de fruit, que les nôtres des dynasties Egyptiennes & des origines Assyriennes & Chaldéennes ; & qu’il étoit permis à chacun de croire des premiers tems de cette nation tout ce qu’il en jugeroit à propos. Mais si suivant les dissertations de M. Freret, il faut rapporter l’époque d’Yao, un des premiers empereurs de la Chine, à l’an 2145 ou 7 avant J. C. les Chinois plaçant leur premiere observation astronomique, & la composition d’un calendrier célebre dans leurs livres 150 ans avant Yao, l’époque des premieres observations Chinoises & celle des premieres observations Chaldéennes coïncideront. C’est une observation singuliere.

Y auroit-il donc quelque rapport, quelque connexion, entre l’astronomie Chinoise & celle des Chaldéens ? Les Chinois sont certainement sortis, ainsi que tous les autres peuples, des plaines de Sennaar ; & l’on ne pourroit guere en avoir un indice plus fort que cette identité d’époque, dans leurs observations astronomiques les plus anciennes.

Plus on examine l’origine des peuples, plus on les rapproche de ces fameuses plaines ; plus on examine leur chronologie & plus on y démêle d’erreurs, plus on la rapproche de quelqu’un de nos systèmes de chronologie sacrée. Cette chronologie est donc la vraie ; le plus ancien peuple est donc celui qui en est possesseur ; tenons-nous en donc aux fastes de ce peuple.

Nous en avons trois exemplaires différens : ce