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ses concomitantes, & saisir avec succès la principale dans leur méthode curative.

Qu’il me soit permis d’ajoûter une réflexion que j’ai souvent faite sur la différente conduite que tiennent la plûpart des hommes dans leurs maladies aiguës & chroniques. Dans les premieres ils s’adressent à un medecin, dont il suivent exactement les ordonnances, & gardent ce medecin jusqu’à la terminaison heureuse ou funeste de la maladie : l’accablement, le danger imminent, les symptomes urgens, le prognostic fâcheux, la crainte des évenemens prochains, tout engage de suivre un plan fixe, uniforme, & d’abandonner les choses à leur destinée. Dans les maladies chroniques on n’est point agité par des intérêts aussi vifs, aussi pressans ; la vûe du danger est incertaine, éloignée ; le malade va, vient, souffre plus foiblement ; comme le medecin ne le voit que par intervalles de tems à autres, il peut perdre insensiblement par les variations qui se succedent le fil du mal, & de-là confondre dans sa méthode curative le principal avec l’accessoire : soit faute d’attention ou de lumieres, soit complication de symptomes, il manquera quelquefois de boussole pour se diriger dans le traitement de la maladie, il ne retirera pas de ses remedes tout le succès qu’il se promettoit ; dès-lors le malade impatient, inquiet, découragé, appelle successivement d’autres medecins, qu’il quitte de même, bien ou mal à propos ; ensuite il écoute avec avidité tous les mauvais conseils de ses amis, de ses parens, de ses voisins ; enfin il se livre aveuglément aux remedes de bonnes femmes, aux secrets de paysans, de moines, de chimistes, d’empyriques, de charlatans de toute espece, qui ne guérissent son mal que par la mort.

Cette scene de la vie humaine est si bien dépeinte par Montfleury, que je crois devoir ici copier le tableau qu’il en fait : ceux qui le connoissent m’en sauront gré, comme ceux qui ne le connoissent pas. Il est dans la piece intitulée la Fille Medecin : un charlatan arrive pour traiter la fille de Géronte ; & trouvant sur sa route la femme-de-chambre nommée Lise, il lui demande quels medecins on a vûs. Lise répond :

Je peux vous assûrer, sans en savoir les noms,
Que nous en avons vû de toutes les façons :
Sur ce chapitre-là tout le monde raffine ;
Il n’est point de voisin, il n’est point de voisine,
Qui donnant là-dessus dedans quelque panneau,
Ne nous ait envoyé quelque docteur nouveau.
Nous avons vû céans un plumet qui gasconne,
Un abbé qui guérit par des poudres qu’il donne ;
Un diseur de grands mots, jadis musicien,
Qui fait un dissolvant, lequel ne dissout rien ;
Six medecins crasseux qui venoient sur des mules ;
Un arracheur de dents qui donnoit des pilules ;
La veuve d’un chimiste, & la sœur d’un curé,
Qui font à frais communs d’un baume coloré ;
Un chevalier de Malthe, une dévote, un moine ;
Le chevalier pratique avec de l’antimoine,
Le moine avec des eaux de diverses façons ;
La dévote guérit avec des oraisons.
Que vous dirai-je enfin, monsieur ? de chaque espece
Il est venu quelqu’un pour traiter ma maîtresse ;
Chacun à la guérir s’étoit bien defendu :
Cependant, vous voyez, c’est de l’argent perdu,
On l’enterre aujourd’hui . . . . . . .

C’est-là en effet le dénouement simple, naturel, & vraissemblable, que prépare la folle conduite des hommes dans le genre des maladies dont je termine ici l’article. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

CHRONOGRAMME, s. m. (Belles-Lett.) composition technique, soit en vers soit en prose, dans laquelle les lettres numérales jointes ensemble mar-

quent une époque ou la date d’un évenement : nous

en avons donné un exemple au mot anagramme. Voyez Anagramme. Ce terme est composé du Grec χρονος, tems, & de γραμμα, lettre ou caractere, c’est-à-dire caractere qui marque le tems. (G)

CHRONOLOGIE, s. f. La chronologie en général est proprement l’histoire des tems. Ce mot est dérivé de deux mots Grecs, χρονος, tems, & λογος, discours.

In tempore, dit Newton, quoad ordinem successionis, in spatio quoad ordinem situs locantur universa. Ce magnifique tableau, qui prouve que les Géometres savent quelquefois peindre, revient en quelque maniere à l’idée de Leibnitz, qui définit le tems, l’ordre des êtres successifs, & l’espace, l’ordre des coexistans. Mais ce n’est pas ici le lieu de considérer métaphysiquement le tems, ni de le comparer avec l’espace. Voyez Espace, Tems, &c. Nous ne parlerons point non plus de la mesure du tems présent & qui s’écoule ; c’est à l’Astronomie & à l’Horlogerie à fixer cette mesure. V. Mouvement. Il n’est question ici que de la science des tems passés, de l’art de mesurer ces tems, de fixer des époques &c. & c’est cette science qu’on appelle chronologie. V. Époque.

Plus les tems sont reculés, plus aussi la mesure en est incertaine : aussi est-ce principalement à la chronologie des premiers tems que les plus savans hommes se sont appliqués. M. de Fontenelle, éloge de M. Bianchini, compare ces premiers tems à un vaste palais ruiné, dont les débris sont entassés pêle-mêle, & dont la plûpart même des matériaux ont disparu. Plus il manque de ces matériaux, plus il est possible d’imaginer & de former avec les matériaux qui restent, différens plans qui n’auroient rien de commun entre eux. Tel est l’état où nous trouvons l’histoire ancienne. Il y a plus ; non-seulement les matériaux manquent en grand nombre, par la quantité d’auteurs qui ont péri : les auteurs même qui nous restent sont souvent contradictoires les uns aux autres.

Il faut alors, ou les concilier tant bien que mal, ou se résoudre à faire un choix qu’on peut toûjours soupçonner d’être un peu arbitraire. Toutes les recherches chronologiques que nous avons eûes jusqu’ici, ne sont que des combinaisons plus ou moins heureuses de ces matériaux informes. Et qui peut nous répondre que le nombre de ces combinaisons soit épuisé ? Aussi voyons-nous presque tous les jours paroître de nouveaux systèmes de chronologie. Il y a, dit le dictionnaire de Moreri, soixante-dix opinions différentes sur la chronologie, depuis le commencement du monde jusqu’à J. C. Nous nous contenterons de nommer ici les auteurs les plus célebres. Ce sont, Jules Africain, Denis le Petit, Eusebe, S. Cyrille, Bede, Scaliger, le P. Petau, Usserius, Marsham, Vossius, Pagi, Pezron, M. Desvignoles, M. Freret, & M. Newton : quæ nomina ! Et de quelle difficulté la chronologie ancienne n’est-elle pas ! puisqu’après les travaux de tant de grands hommes, elle reste encore si obscure qu’on a plûtôt vû que résolu les difficultés. C’est une espece de perspective immense & à perte de vûe, dont le fond est parsemé de nuages épais, à travers lesquels on apperçoit de distance en distance un peu de lumiere.

S’il ne s’agissoit, dit un auteur moderne, que de quelques évenemens particuliers, on ne seroit pas surpris de voir ces grands hommes différer si fort les uns des autres ; mais il est question des points les plus essentiels de l’histoire sacrée & profane ; tels que le nombre des années qui se sont écoulées depuis la création ; la distinction des années sacrées & civiles parmi les Juifs ; le séjour des Israélites en Egypte ; la chronologie des juges, celle des rois de Juda & d’Israel ; le commencement des années de la captivité, celui des septante semaines de Daniel ; l’histoire de Judith, celle d’Esther ; la naissance, la