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tracer les routes courtes & sûres, qui lui épargneroient tout ensemble un tems précieux, & des erreurs dangereuses. Mais l’on desirera peut-être encore long-tems l’ouvrage utile que je propose ; il faut trouver pour l’exécution un maître de l’art, qui réunisse aux lumieres & au loisir le travail & le goût, ce qui est rare. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.

L’Académie royale de Chirurgie, établie depuis 1731, confirmée par lettres patentes de 1748, est sous la direction du secrétaire d’état de la maison du Roi, ainsi que les autres académies royales établies à Paris.

Le premier Chirurgien du Roi y préside ; les assemblées se tiennent dans la salle du collége de saint Côme, le Jeudi. Le Jeudi d’après la Quasimodo, elle tient une assemblée publique, dans laquelle l’académie déclare le mémoire qui a remporté le prix fondé par feu M. de la Peyronie. Ce prix est une médaille d’or de la valeur de 500 liv. cette médaille représentera, dans quelque tems que la distribution s’en fasse, le buste de Louis le Bien-aimé.

CHIRURGIEN, s. m. celui qui professe & exerce la Chirurgie. Voyez Chirurgie.

L’état des Chirurgiens a été différent, suivant les révolutions différentes que la Chirurgie a éprouvées. On l’a vûe dans trois états différens, & les seuls qui étoient possibles pour elle. De ces trois états, deux ont été communs à toutes les nations étrangeres, & le troisieme a été particulier à la France.

Le premier état de la Chirurgie, celui qui fixe nos yeux, comme le plus éclatant, du moins chez les nations étrangeres, ce fut celui où cet art se trouva après la renaissance des lettres dans l’Europe. Quand les connoissances des langues eurent ou vert les thrésors des Grecs & des Latins, il se forma d’excellens hommes dans toutes les nations & dans tous les genres. Mais ce qu’il y eut de particulier, par rapport à la Chirurgie, sur-tout dans l’Italie & dans l’Allemagne, c’est que cette science fut cultivée & exercée par les mêmes hommes qui cultiverent & qui exercerent la Medecine ; de sorte que l’on vit dans les mêmes savans, & des Chirurgiens admirables, & de très-grands Medecins. Ce furent là les beaux jours de la Chirurgie pour l’Italie & pour l’Allemagne. C’est à ce tems que nous devons rapporter cette foule d’hommes illustres dont les ouvrages feront à jamais le soûtien & l’honneur de l’une & l’autre Medecine.

La disposition des lois avoit favorisé la liberté d’unir dans les mêmes hommes les deux arts ; ce fut cette liberté même qui causa la chûte de la Chirurgie. Il n’est pas difficile de sentir les raisons de cette décadence. Les dehors de la Chirurgie ne sont pas attrayans ; ils rebutent la délicatesse : cet art, hors les tems de guerre, n’exerce presque les fonctions qui lui sont propres que sur le peuple, ce qui n’amorce ni la cupidité ni l’ambition, qui ne trouvent leur avantage que dans le commerce avec les riches & les grands ; de-là les savans, maîtres de l’un & l’autre art, abandonnerent l’exercice de la Chirurgie. Les maladies médicales sont les compagnes ordinaires des richesses & des grandeurs ; & d’ailleurs elles n’offrent rien qui, comme les maladies chirurgicales, en éloigne les personnes trop délicates ou trop sensibles ; ce fut par ces raisons, que ces hommes illustres, Medecins & Chirurgiens tout-à-la-fois, abandonnerent les fonctions de la Chirurgie, pour n’exercer plus que celles de la Medecine.

Cet abandon donna lieu au second état de la Chirurgie. Les Medecins-Chirurgiens, en quittant l’exercice de cet art, retinrent le droit de le diriger, & commirent aux Barbiers les fonctions, les opérations de la Chirurgie, & l’application de tous les remedes extérieurs. Alors le Chirurgien ne fut plus un hom-

me seul & unique : ce fut le composé monstrueux de

deux individus ; du Medecin, qui s’arrogeoit exclusivement le droit de la science, & conséquemment celui de diriger ; & du Chirurgien manœuvre, à qui on abandonnoit le manuel des opérations.

Les premiers momens de cette division de la science d’avec l’art d’opérer, n’en firent pas sentir tout le danger. Les grands maîtres qui avoient exercé la Médecine comme la Chirurgie vivoient encore ; & l’habileté qu’ils s’étoient acquise suffisoit pour diriger l’automate, ou le Chirurgien opérateur. Mais dès que cette race Hippocratique, comme l’appelle Fallope, fut éteinte, les préjugés de la Chirurgie furent non-seulement arrêtés, mais l’art lui-même fut presque éteint ; il n’en resta pour ainsi dire que le nom. On cessa de voir l’exemple de ces brillantes, de ces efficaces opérations, qui du regne des premiers Medecins avoient sauvé la vie à tant d’hommes. De-là cette peinture si vive que fait Magatus du malheur de tant d’infortunés citoyens, qui se trouvoient abandonnés sans ressource, lorsqu’autrefois l’art auroit pû les sauver ; mais ils ne pouvoient rien en espérer dans cette situation. Le Chirurgien n’osoit se déterminer à opérer, parce qu’il étoit sans lumieres : le Medecin n’osoit prendre sur lui d’ordonner, parce qu’il étoit sans habileté dans ce genre. L’abandon étoit donc le seul parti qui restât, & la prudence elle-même n’en permettoit point d’autre.

La Chirurgie Françoise ne fut point exposée aux mêmes inconvéniens. Une législation dont on ne peut trop loüer la sagesse, avoit donné à la Chirurgie le seul état qui pouvoit la conserver. Cet état est le troisieme où la Chirurgie s’est vûe, & qui jusqu’à nos jours n’a été connue que de la France.

Long-tems avant le regne de François I. la Chirurgie faisoit un corps savant, mais uniquement occupe à la culture de la Chirurgie. Les membres de ce corps possédoient la totalité de la science qui apprend à guérir ; mais ils n’étoient autorisés par la loi qu’à faire l’application des regles de cette science sur les maladies extérieures, & nullement sur les maladies internes, qui faisoient le partage des Physiciens ou Medecins. La science étoit liée à l’art par des nœuds qui sembloient indissolubles. Le Chirurgien savant étoit borné à la culture de son art. La vanité, l’ambition, ou l’intérêt ne pouvoient plus le distraire pour tourner ailleurs son application. Tout sembloit prévû ; toute source de desordre sembloit coupée dans sa racine ; mais la sagesse des lois peut-elle toujours prévenir les effets des passions, & les tours qu’elles peuvent prendre ? Les lettres qui faisoient le partage des Chirurgiens François sembloient mettre un frein éternel aux tentatives de leurs adversaires. Mais enfin les procès & les guerres outrées qu’ils eurent à soûtenir, préparerent l’avilissement de la Chirurgie. La faculté de Medecine appella les Barbiers, pour leur confier les secours de la Chirurgie ministrante ; ensuite elle les initia aux fonctions des grandes opérations de la Chirurgie ; enfin elle parvint à faire unir les Barbiers au corps des Chirurgiens. La Chirurgie ainsi dégradée par son association avec des artisans, fut exposée à tout le mépris qui devoit suivre une aussi indigne alliance : elle fut dépouillée par un arrêt solemnel en 1660 de tous les honneurs littéraires ; & si les lettres ne s’exilerent point de la Chirurgie, du moins ne parurent-elles y rester que dans la honte & dans l’humiliation.

Par une espece de prodige, malgré les lettres presque éteintes dans le nouveau corps, la théorie s’y conserva. On en fut redevable au précieux reste de l’ancien corps de la Chirurgie. Ces grands hommes, malgré leur humiliation, malgré la douleur de se voir confondus avec de vils artisans, espérerent le rétablissement de leur art. Ils conserverent le pré-