des lumieres de notre sainte religion, a fait passer dans ces grandes & riches contrées.
Il est vrai que Budée, Thomasius, Gundling, Heumann, & d’autres écrivains dont les lumieres sont de quelques poids, ne nous peignent pas les Chinois en beau ; que les autres missionnaires ne sont pas d’accord sur la grande sagesse de ces peuples, avec les missionnaires de la compagnie de Jesus, & que ces derniers ne les ont pas même regardé tous d’un œil également favorable.
Au milieu de tant de témoignages opposés, il sembleroit que le seul moyen qu’on eût de découvrir la vérité, ce seroit de juger du mérite des Chinois par celui de leurs productions les plus vantées. Nous en avons plusieurs collections ; mais malheureusement on est peu d’accord sur l’authenticité des livres qui composent ces collections : on dispute sur l’exactitude des traductions qu’on en a faites, & l’on ne rencontre que des ténebres encore fort épaisses, du côté même d’où l’on étoit en droit d’attendre quelques traits de lumiere.
La collection publiée à Paris en 1687 par les PP. Intorcetta, Hendrick, Rougemont, & Couplet, nous présente d’abord le ta-hio ou le scientia magna, ouvrage de Confucius publié par Cemçu un de ses disciples. Le philosophe Chinois s’y est proposé d’instruire les maîtres de la terre dans l’art de bien gouverner, qu’il renferme dans celui de connoître & d’acquérir les qualités nécessaires à un souverain, de se commander à soi-même, de savoir former son conseil & sa cour, & d’élever sa famille.
Le second ouvrage de la collection, intitulé chumyum, ou de medio sempiterno, ou de mediocritate in rebus omnibus tenenda, n’a rien de si fort sur cet objet qu’on ne pût aisément renfermer dans quelques maximes de Séneque.
Le troisieme est un recueil de dialogues & d’apophtegmes sur les vices, les vertus, les devoirs, & la bonne conduite : il est intitulé lun-yu. On trouvera a la fin de cet article, les plus frappans de ces apophtegmes, sur lesquels on pourra apprétier ce troisieme ouvrage de Confucius.
Les savans éditeurs avoient promis les écrits de Mencius, philosophe Chinois ; & François Noel, missionnaire de la même compagnie, a satisfait en 1711 à cette promesse en publiant six livres classiques Chinois, entre lesquels on trouve quelques morceaux de Mencius. Nous n’entrerons point dans les différentes contestations que cette collection & la précédente ont excitées entre les érudits. Si quelques faits hasardés par les éditeurs de ces collections, & démontrés faux par des savans Européens, tel, par exemple, que celui des tables astronomiques données pour authentiquement Chinoises, & convaincues d’une correction faite sur celles de Ticho, sont capables de jetter des soupçons dans les esprits sans partialité ; les moins impartiaux ne peuvent non plus se cacher que les adversaires de ces pénibles collections ont mis bien de l’humeur & de la passion dans leur critique.
La chronologie Chinoise ne peut être incertaine, sans que la premiere origine de la philosophie chez les Chinois ne le soit aussi. Fohi est le fondateur de l’empire de la Chine, & passe pour son premier philosophe. Il regna en l’an 2954 avant la naissance de Jesus-Christ. Le cycle Chinois commence l’an 2647 avant Jesus-Christ, la huitieme année du regne de Hoangti. Hoangti eut pour prédécesseurs Fohi & Xinung. Celui-ci regna 110, celui-là 140 ; mais en suivant le système du P. Petau, la naissance de Jesus-Christ tombe l’an du monde 3889, & le déluge l’an du monde 1656 : d’où il s’ensuit que Fohi a regné quelques siecles avant le déluge ; & qu’il faut ou abandonner la chronologie des livres sacrés, ou celle des Chinois. Je ne crois pas qu’il ait à choisir
ni pour un Chrétien, ni pour un Européen sensé, qui, lisant dans l’histoire de Fohi que sa mere en devint enceinte par l’arc-en-ciel, & une infinité de contes de cette force, ne peut guere regarder son regne comme une époque certaine, malgré le témoignage unanime d’une nation.
En quelque tems que Fohi ait regné, il paroît avoir fait dans la Chine plûtôt le rôle d’un Hermès ou d’un Orphée, que celui d’un grand philosophe ou d’un savant théologien. On raconte de lui qu’il inventa l’alphabet & deux instrumens de musique, l’un à vingt-sept cordes & l’autre à trente-six. On a prétendu que le livre ye-kim qu’on lui attribue, contenoit les secrets les plus profonds ; & que les peuples qu’il avoit rassemblés & civilisés avoient appris de lui qu’il existoit un Dieu, & la maniere dont il vouloit être adoré.
Cet ye-kim est le troisieme de l’u-kim ou du recueil des livres les plus anciens de la Chine. C’est un composé de lignes entieres & de lignes ponctuées, dont la combinaison donne soixante-quatre figures différentes. Les Chinois ont regardé ces figures comme une histoire emblématique de la nature, des causes de ses phénomenes, des secrets de la divination, & de je ne sai combien d’autres belles connoissances, jusqu’à ce que Leibnitz ait déchiffré l’énigme, & montré à toute cette Chine si pénétrante, que les deux lignes de Fohi n’étoient autre chose que les élémens de l’arithmétique binaire. V. Binaire. Il n’en faut pas pour cela mépriser davantage les Chinois ; une nation très-éclairée a pû sans succès & sans deshonneur chercher pendant des siecles entiers, ce qu’il étoit reserve à Leibnitz de découvrir.
L’empereur Fohi transmit à ses successeurs sa maniere de philosopher. Ils s’attacherent tous à perfectionner ce qu’il passe pour avoir commencé, la science de civiliser les peuples, d’adoucir leurs mœurs, & de les accoûtumer aux chaînes utiles de la société. Xin-num fit un pas de plus. On reçut de lui des préceptes d’agriculture, quelques connoissances des plantes, les premiers essais de la medecine. Il est très incertain si les Chinois étoient alors idolatres, athées, ou déistes. Ceux qui prétendent démontrer qu’ils admettoient l’existence d’un Dieu tel que nous l’adorons, par le sacrifice que fit Ching-tang dans un tems de famine, n’y regardent pas d’assez près.
La philosophie des souverains de la Chine paroît avoir été long-tems toute politique & morale, à en juger par le recueil des plus belles maximes des rois Yao, Xum, & Yu : ce recueil est intitulé u-kim ; il ne contient pas seulement ces maximes : elles ne forment que la matiere du premier livre qui s’appelle xu-kim. Le second livre ou le xy-kim est une collection de poëmes & d’odes morales. Le troisieme est l’ouvrage linéaire de Fohi dont nous avons parlé. Le quatrieme ou le chum-cieu, ou le printems & l’automne, est un abregé historique de la vie de plusieurs princes, où leurs vices ne sont pas déguisés. Le cinquieme ou le li-ki est une espece de rituel où l’on a joint à l’explication de ce qui doit être observé dans les cérémonies profanes & sacrées, les devoirs des hommes en tout état, au tems des trois familles impériales, Hia, Xam, & Cheu. Confucius se vantoit d’avoir puisé ce qu’il connoissoit de plus sage dans les écrits des anciens rois Yao & Xun.
L’u-kim est à la Chine le monument littéraire le plus saint, le plus sacré, le plus authentique, le plus respecté. Cela ne l’a pas mis à l’abri des commentaires ; ces hommes dans aucun tems, chez aucune nation, n’ont rien laissé d’intact. Le commentaire de l’u-kim a formé la collection su-xu. Le su-xu est très-estimé des Chinois : il contient le scientia magna, le medium sempiternum, les ratiotinantium sermones, & l’ouvrage de Mencius de natura, moribus, ritibus, & officiis.