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lis volatils, & d’être réciproquement précipitée par ces sels. Cette réciprocité d’action dérange l’ordre de rapport des substances alkalines avec les acides, établi dans la premiere colonne de la table des rapports de M. Geoffroi ; elle a fourni matiere à une des premieres objections faites contre cette table, auxquelles son célebre auteur a répondu dans un mémoire imprimé dans les mém. de l’acad. royale des Sciences, an 1720. M. Geoffroi répond à celle dont il s’agit ici, que la chaux doit moins être regardée comme une simple terre que comme un sel, & il prouve cette assertion par l’énumération de toutes les qualités communes à la chaux & aux alkalis fixes, parmi lesquelles il compte celle qui est en question.

« La chaux, dit M. Geoffroi, de même que les alkalis fixes, absorbe l’acide dans le sel ammoniac, & détache le sel volatil urineux, ce que ne font point les terres absorbantes ». Mais il n’est pas possible d’admettre le dernier membre de la proposition ; car des expériences sans doute peu répandues du tems de M. Geoffroi, nous ont appris que non-seulement les terres absorbantes, telles que la craie, &c. mais même des chaux métalliques, telles que le minium, décomposent le sel ammoniac. On ne sauroit soûtenir non plus que l’affinité des alkalis volatils avec les acides soit un peu plus grande que celle des terres absorbantes, sur ce qu’on prétendroit que les alkalis volatils décomposent les sels à base terreuse sans le secours du feu ; au lieu que les terres absorbantes ne précipitent les sels ammoniacaux qu’à l’aide d’un certain degré de chaleur car tous les artistes savent que la chaux décompose le sel ammoniac à froid : les petits flacons pleins d’un mêlange de sel ammoniac & de chaux, qu’on vend au peuple pour du sel d’Angleterre, exhalent pendant assez long-tems, sans être échauffés, un alkali volatil très-vif ; ce qui détruit évidemment la prétention que nous combattons. L’objection subsiste donc dans son entier, & cela ne doit pas nous faire juger que l’affinité de ces matieres avec l’acide est à-peu-près la même ; car cette proposition, au lieu d’exprimer que les alkalis volatils & la chaux se précipitent réciproquement, porteroit à croire au contraire que l’une de ces substances ne devroit point séparer l’autre d’avec un acide. Nous devons donc nous en tenir encore à la seule exposition du phénomene, dont l’explication présente aux Chimistes un objet curieux & intéressant, quoiqu’il ne soit pas unique. Voyez Rapport & Précipitation.

Au reste, il y a apparence que c’est à cette propriété de précipiter les sels ammoniacaux dont jouit la chaux, qu’est dûe l’élevation des alkalis volatils, dès le commencement de la distillation des substances animales exécutées avec cet intermede, qu’il ne faut regarder par conséquent que comme la suite d’un simple dégagement, contre l’opinion de plusieurs Chimistes, qui pensent que ce produit de l’analyse animale est réellement formé, qu’il est une créature du feu. Voyez Substance animale.

Les propriétés communes à la chaux & aux alkalis fixes salins sont : la saveur vive & brûlante, l’attraction de l’eau de l’atmosphere, la vertu caustique, ou la propriété d’attaquer les matieres animales, voyez Caustique ; l’action sur les matieres sulphureuses, huileuses, graisseuses, résineuses, bitumineuses ; la précipitation en jaune du sublimé corrosif, &c. C’est précisément cette analogie avec les sels alkalis qui a donné naissance au problème chimique sur l’existence du sel de la chaux, dont nous parlerons dans la suite de cet article ; problème qui a exercé tant de Chimistes.

Les qualités spéciales de la chaux, sont son effervescence avec l’eau ; la propriété d’animer les alkalis salins, dont jouissent aussi quelques chaux métalliques,

ce qu’il est bon d’observer en passant, voyez Chaux métallique ; celle de fournir cette matiere assez peu connue que nous appellons creme de chaux ; l’espece d’union qu’elle contracte avec l’eau & le sable dans la formation du mortier ; l’endurcissement du blanc-d’œuf, des laitages, & des corps muqueux procurés par son mêlange à ces matieres ; & enfin cette odeur que nous avons appellée phlogistique.

Ce sont sur-tout ces propriétés spéciales qui méritent une considération particuliere, & sur lesquelles nous allons entrer dans quelque détail.

Extinction de la chaux. 1°. La chaux fait avec l’eau une effervescence violente, accompagnée d’un sifflement considérable, d’une fumée épaisse, de l’éruption d’un principe actif & volatil, sensible par une odeur piquante, & par l’impression vive qu’il fait sur les yeux, & d’une chaleur si grande qu’elle est capable de mettre le feu à des corps combustibles, comme cela est arrivé à des bateaux chargés de chaux.

La chaux se réduit avec l’eau, lorsqu’on n’en a employée que ce qu’il faut pour la saturer, en un état pulvérulent, parfaitement friable, ou sans la moindre liaison de parties. Elle attire de l’air paisiblement & sans effervescence la quantité d’eau suffisante pour la réduire précisément dans le même état. La chaux ainsi unie à l’eau est connue sous le nom de chaux éteinte.

Si l’on employe à l’extinction de la chaux une quantité d’eau plus que suffisante pour opérer cette extinction, ou qu’on verse une certaine quantité de nouvelle eau sur de la chaux simplement éteinte, cette eau surabondante réduit la chaux en une consistance pultacée, ou en une espece de boue que quelques Chimistes appellent chaux fondue.

Lait de chaux. Une quantité d’eau plus considérable encore est capable de dissoudre les parties les plus tenues de la chaux, d’en tenir quelques autres suspendues, mais sans dissolution, & de former avec ces parties une liqueur blanche & opaque, appellée lait de chaux.

Eau de chaux. Le lait de chaux débarrassé par la résidence ou par le filtre des parties grossieres & non dissoutes qui causoient son opacité, & chargé seulement de celles qui sont réellement dissoutes, est connu dans les laboratoires des Chimistes & dans les boutiques des Apoticaires, sous le nom d’eau de chaux ; & la résidence du lait de chaux, sous le nom de chaux lavée.

L’union que les parties les plus subtiles de la chaux ont subi avec l’eau, dans la formation de l’eau de chaux, doit être regardée comme une mixtion vraiment saline ; cette union est si intime qu’elle ne se dérange pas par l’évaporation, & que le mixte entier est volatil. L’eau de chaux a d’ailleurs tous les caracteres d’une dissolution saline ; cette dissolution est transparente, elle découvre plus particulierement son caractere salin par son action corrosive sur le soufre, les graisses, les huiles, &c. & même par son goût. Sthal, spec. becher. part. I. sect. 11. memb. 11. thes. 11. 8.

Ce mixte terro-aqueux, dont M. Stahl a reconnu la volatilité, peut pourtant être concentré selon lui sous la forme de crystaux salins. Si ces crystaux étoient formés par le mixte salin essentiel à l’eau de chaux, ils seroient évidemment le véritable sel de chaux, sur l’existence & la nature duquel les Chimistes ont tant disputé ; mais on va voir que M. Stahl s’en est laissé imposer par ce résidu crystallisé de l’eau de chaux.

Le fond du problème sur le fameux sel de chaux, exactement déterminé, a roulé sur ce point ; savoir, si la chaux produisoit ses effets d’alkali par un sel, par conséquent alkali, ou par sa substance terreuse.