Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’occupation journaliere que la Chasse. L’Ecriture sainte qui nous transmet l’histoire réelle du genre humain, s’accorde avec la fable, pour nous constater l’ancienneté de la Chasse : elle dit que Nemrod fut un grand chasseur aux yeux du Seigneur, qui le rejetta. C’est une occupation proscrite dans le livre de Moyse ; c’est une occupation divinisée dans la théologie payenne. Diane étoit la patrone des chasseurs ; on l’invoquoit en partant pour la Chasse ; on lui sacrifioit au retour l’arc, les fleches, & le carquois. Apollon partageoit avec elle l’encens des chasseurs. On leur attribuoit à l’un & à l’autre, l’art de dresser des chiens, qu’ils communiquerent à Chiron, pour honorer sa justice. Chiron eut pour éleves, tant dans cette discipline qu’en d’autres, la plupart des héros de l’antiquité.

Voilà ce que la Mythologie & l’Histoire sainte, c’est-à-dire le mensonge & la vérité, nous racontent de l’ancienneté de la Chasse. Voici ce que le bon sens suggere sur son origine. Il fallut garantir les troupeaux des loups & autres animaux carnaciers ; il fallut empêcher tous les animaux sauvages de ravager les moissons : on trouva dans la chair de quelques-uns un aliment sain ; dans les peaux de presque tous une ressource très-prompte pour le vêtement : on fut intéressé de plus d’une maniere à la destruction des bêtes malfaisantes : on n’examina guere quel droit on avoit sur les autres ; & on les tua toutes indistinctement, excepté celles dont on espéra de grands services en les conservant.

L’homme devint donc un animal très-redoutable pour tous les autres animaux. Les especes se dévorerent les unes les autres, après que le péché d’Adam eut répandu entre elles les semences de la dissention. L’homme les dévora toutes. Il étudia leur maniere de vivre, pour les surprendre plus facilement ; il varia ses embûches, selon la variété de leur caractere & de leurs allures ; il instruisit le chien, il monta sur le cheval, il s’arma du dard, il aiguisa la fleche ; & bientôt il fit tomber sous ses coups le lion, le tigre, l’ours, le léopard : il perça de sa main depuis l’animal terrible qui rugit dans les forêts, jusqu’à celui qui fait retentir les airs de ses chants innocens ; & l’art de les détruire fut un art très-étendu, très-exercé, très-utile, & par conséquent fort honoré.

Nous ne suivrons pas les progrès de cet art depuis les premiers tems jusqu’aux nôtres ; les mémoires nous manquent ; & ce qu’ils nous apprendroient, quand nous en aurions, ne feroit pas assez d’honneur au genre humain pour le regretter. On voit en général que l’exercice de la Chasse a été dans tous les siecles & chez toutes les nations d’autant plus commun, qu’elles étoient moins civilisées. Nos peres beaucoup plus ignorans que nous, étoient beaucoup plus grands chasseurs.

Les anciens ont eu la chasse aux quadrupedes & la chasse aux oiseaux ; ils ont fait l’une & l’autre avec l’arme, le chien, & le faucon. Ils surprenoient des animaux dans des embûches, ils en forçoient à la course, ils en tuoient avec la fleche & le dard ; ils alloient au fond des forêts chercher les plus farouches, ils en enfermoient dans des parcs, & ils en poursuivoient dans les campagnes & les plaines. On voit dans les antiques, des empereurs même le venabulum à la main. Le venabulum étoit une espece de pique. Ils dressoient des chiens avec soin ; ils en faisoient venir de toutes les contrées, qu’ils appliquoient à différentes chasses, selon leurs différentes aptitudes naturelles. L’ardeur de la proie établit entre le chien, l’homme, le cheval, & le vautour, une espece de société, qui a commencé de très-bonne heure, qui n’a jamais cessé, & qui durera toûjours.

Nous ne chassons plus guere que des animaux

innocens, si l’on en excepte l’ours, le sanglier & le loup. On chassoit autrefois le lion, le tigre, la panthere, &c. Cet exercice ne pouvoit être que très-dangereux. Voyez aux différens articles de ces animaux, la maniere dont on s’y prenoit. Observons seulement ici, 1°. qu’en recueillant avec exactitude tout ce que les anciens & les modernes ont dit pour ou contre la Chasse, & la trouvant presqu’aussi souvent loüée que blâmée, on en concluroit que c’est une chose assez indifférente. 2°. Que le même peuple ne l’a pas également loüée ou blâmée en tout tems. Sous Salluste, la Chasse étoit tombée dans un souverain mépris ; & les Romains, ces peuples guerriers, loin de croire que cet exercice fût une image de la guerre, capable d’entretenir l’humeur martiale, & de produire tous les grands effets en conséquence desquels on le croit justement réservé à la noblesse & aux grands : les Romains, dis-je, n’y employoient plus que des esclaves. 3°. Qu’il n’y a aucun peuple chez qui l’on n’ait été contraint de réprimer la fureur de cet exercice par des lois : or la nécessité de faire des lois est toûjours une chose fâcheuse ; elle suppose des actions ou mauvaises en elles-mêmes, ou regardées comme telles, & donne lieu à une infinité d’infractions & de châtimens. 4°. Qu’il est venu des tems où l’on en a fait un apanage si particulier à la noblesse ; qu’ayant négligé toute autre étude, elle ne s’est plus connue qu’en chevaux, qu’en chiens & en oiseaux. 5°. Que ce droit a été la source d’une infinité de jalousies & de dissentions, même entre les nobles ; & d’une infinité de lésions envers leurs vassaux, dont les champs ont été abandonnés au ravage des animaux reservés pour la chasse. L’agriculteur a vû ses moissons consommées par des cerfs, des sangliers, des daims, des oiseaux de toute espece ; le fruit de ses travaux perdu, sans qu’il lui fût permis d’y obvier, & sans qu’on lui accordât de dédommagement. 6°. Que l’injustice a été portée dans certains pays au point de forcer le paysan à chasser, & à acheter ensuite de son argent le gibier qu’il avoit pris. C’est dans la même contrée qu’un homme fut condamné à être attaché vif sur un cerf, pour avoir chassé un de ces animaux. Si c’est quelque chose de si précieux que la vie d’un cerf, pourquoi en tuer ? si ce n’est rien, si la vie d’un homme vaut mieux que celle de tous les cerfs, pourquoi punir un homme de mort pour avoir attenté à la vie d’un cerf ? 7°. Que le goût pour la chasse dégénere presque toûjours en passion ; qu’alors il absorbe un tems précieux, nuit à la santé, & occasionne des dépenses qui dérangent la fortune des grands, & qui ruinent les particuliers. 8°. Enfin que les lois qu’on a été obligé de faire pour en restraindre les abus, se sont multipliées au point qu’elles ont formé un code très-étendu : ce qui n’a pas été le moindre de ses inconvéniens. Voyez dans l’article suivant la satyre de la Chasse continuée dans l’exposition des points principaux de ce code.

Chasse, (Jurisprud.) suivant le droit naturel, la chasse étoit libre à tous les hommes. C’est un des plus anciens moyens d’acquérir suivant le droit naturel. L’usage de la chasse étoit encore libre à tous les hommes suivant le droit des gens.

Le droit civil de chaque nation apporta quelques restrictions à cette liberté indéfinie.

Solon voyant que le peuple d’Athenes négligeoit les arts méchaniques pour s’adonner à la chasse, la défendit au peuple, défense qui fut depuis méprisée.

Chez les Romains, chacun pouvoit chasser, soit dans son fonds, soit dans celui d’autrui ; mais il étoit libre au propriétaire de chaque héritage d’empêcher qu’un autre particulier n’entrât dans son fonds, soit pour chasser, ou autrement. Instit. Lib. II. tit. 1. §. xij.