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avoir fait le dernier pas, que de ne s’en accuser ni soi-même ni les autres. Il faut convenir que cette insensibilité est assez conforme au bonheur d’une vie, telle que nous sommes condamnés à la mener, où la somme des biens ne compense pas à beaucoup près celle des maux : mais dépend-elle beaucoup de nous ? & est-il permis au moraliste de supposer le cœur de l’homme tel qu’il n’est pas ? Ne nous arrive-t-il pas à tout moment de n’avoir rien à répondre à tous les argumens que nous opposons à nos peines même d’esprit ou de cœur, & de n’en souffrir ni plus ni moins ? Si c’est la perte d’un bien qu’on regrette,

Une si douce fantaisie
Toûjours revient ;
En songeant qu’il faut qu’on l’oublie,
On s’en souvient. M. Moncrif.

S’il s’agit d’émousser la pointe d’un mal, c’est en vain que j’appelle à mon secours, dit Chaulieu :

Raison, philosophie ;
Je n’en reçois, hélas, aucun soulagement !
A leurs belles leçons, insensé qui se fie ;
Elles ne peuvent rien contre le sentiment.
Raison me dit que vainement
Je m’afflige d’un mal qui n’a point de remede :
Mais je verse des pleurs dans ce même moment,
Et sens qu’à ma douleur il vaut mieux que je cede.

* Chagrin, s. m. (Manuf. & Comm.) espece de cuir grainé ou couvert de papilles rondes, serré, solide, qu’on tire de Constantinople, de Tauris, d’Alger, de Tripoli, de quelques endroits de la Syrie, & même de quelques cantons de la Pologne, & que les Gaîniers particulierement employent à couvrir leurs ouvrages les plus précieux.

Il n’y a point d’animal appellé chagrin, comme quelques-uns l’ont crû, les cuirs qui portent ce nom se font avec les peaux de la croupe des chevaux & des mulets. On les tanne & passe bien ; on les rend le plus mince qu’il est possible ; on les expose à l’air ; on les amollit ensuite ; on les étend fortement ; puis on répand dessus de la graine de moutarde la plus fine ; on les laisse encore exposées à l’air pendant quelque tems ; & on finit par les tenir serrées fortement dans une presse : quand la graine prend bien, les peaux sont belles ; sinon il y reste des endroits unis, qu’on appelle miroirs : ces miroirs sont un grand défaut. Voilà tout ce que nous savons de la fabrique du chagrin. Nous devons ce petit détail, selon toute apparence assez inexact, à M. Jaugeon. Voyez les Mémoires de l’Académie des Sciences, ann. 1709.

Le chagrin est très-dur, quand il est sec ; mais il s’amollit dans l’eau ; ce qui en facilite l’emploi aux ouvriers. On lui donne par la teinture toute sorte de couleur. On distingue le vrai chagrin de celui qui se contrefait avec le maroquin, en ce que celui-ci s’écorche, ce qui n’arrive pas à l’autre. Le gris passe pour le meilleur ; & le blanc ou sale, pour le moins bon.

* Chagrin, s. m. (Manuf. & Comm.) espece de taffetas moucheté, appellé chagrin, parce que les mouches exécutées à la surface de ce chagrin taffetas ont une ressemblance éloignée avec les grains ou papilles du chagrin cuir. Voyez plus haut.

CHA-HUANT, ou CHAT-HUANT, s. m. (Hist. nat. Ornith.) On a donné ce nom à plusieurs oiseaux de nuit, comme le duc, le hibou, &c. parce qu’ils prennent des rats comme des chats, & parce qu’ils ont un cri assez semblable à celui qu’on fait en huant. On appelle chat-huants cornus, ceux de ces oiseaux qui ont sur la tête des plumes qui s’élevent en forme de cornes ; tels sont les ducs. Voyez Duc, Hibou. (I)

CHAIBAR, (Géog. mod.) riviere de l’Arabie heureuse, dans le territoire de la Mecque, qui se jette dans la mer Rouge.

* CHAIDEUR, s. m. (Minéralog.) nom que l’on donne dans les mines aux ouvriers qui pilent la mine à bras.

CHAIE ou BELANDRE, (Marine.) voyez Belandre. (Z)

CHAIER, s. m. (Commer.) petite monnoie d’argent qui se fabrique & qui a cours en Perse : elle est ronde, & porte pour écusson le nom des douze imans révérés dans la secte d’Ali, & pour effigie celle du prince régnant, avec des légendes & autres marques relatives à la ville où elle a été fabriquée, & à la croyance du pays. Le chaïer vaut quatre sous sept deniers un tiers argent de France.

CHAIFUNG, (Géog. mod.) ville de la Chine, capitale de la province de Honnang.

* CHAINE, s. f. (Art méchan.) c’est un assemblage de plusieurs pieces de métal appellées chaînons ou anneaux, (Voyez Chaînons) engagés les uns dans les autres, de maniere que l’assemblage entier en est flexible dans toute sa longueur, comme une corde dont il a les mêmes usages en plusieurs occasions, & que les chaînons qui en forment les différentes parties ne peuvent se séparer que par la rupture. On fait de ces assemblages de chaînons, appellés chaînes, avec l’or, l’argent, l’étain, le cuivre, &c. il y en a de ronds, de plats, de quarrés, de doubles, de simples, &c. Ils prennent différens noms, selon les différens usages auxquels on les employe. C’étoit aux maîtres Chaînetiers à qui il appartenoit, privativement à tous autres ouvriers, de les travailler & de les vendre : mais les Orfévres, Metteurs en œuvre, Jouailliers, se sont arrogé le droit de faire celles d’or & d’argent ; ils ont été imités par d’autres ouvriers, & la communauté des Chaînetiers s’est presqu’éteinte. Voyez Chaînetiers.

L’art de faire des chaînes est assez peu de chose en lui-même ; mais il suppose d’autres arts très-importans, tels que celui de tirer les métaux en fils ronds de toute sorte de grosseur. Nous n’expliquerons pas la maniere de fabriquer toutes sortes de chaînes ; nous en allons seulement parcourir quelques especes, d’après lesquelles on pourra juger du travail & du tissu des autres.

Entre les différentes especes de chaînes, une des principales & des plus anciennes est celle qu’on appelle chaîne à la Catalogne : elle est composée de différens anneaux ronds ou elliptiques, enfermés les uns dans les autres, de maniere que chaque anneau en enferme deux, dont les plans sont nécessairement perpendiculaires au sien, si l’on prend la portion de chaîne composée de trois anneaux, & qu’on la laisse pendre librement. Ces anneaux sont soudés, & paroissent d’une seule piece : ce sont eux qui constituent la grosseur de la chaîne. On les appelle mailles, ou maillons. On fait ces chaînes plus ou moins grosses, selon l’usage auquel on les destine. Si les maillons sont ronds, la chaîne s’appelle chaîne à la Catalogne ronde ; s’ils sont elliptiques, elle s’appelle chaîne à la Catalogne longue. Voyez Pl. du Chaînetier, fig. 1. & 2.

Une autre sorte de chaîne composée aussi d’anneaux soudés, & dont on s’est beaucoup servi autrefois pour suspendre les clés des montres à la boîte, est un tissu auquel on a donné le nom de chaîne quarrée. Les anneaux de cette chaîne ne sont point enlacés les uns dans les autres avant que d’être soudés : on commence par les former d’une figure elliptique ; on les ploye en deux ; & dans l’anse que fait un anneau ployé en cet état, on en fait passer un autre ployé de même, dans ce second un troisieme, & ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on ait donné à la chaî-