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aux chanvres qui sont les plus longs : nous croyons cependant que si les chanvres trop courts font de mauvaises cordes, ceux qui sont trop longs occasionnent un déchet inutile, & qu’ils sont ordinairement plus rudes que les chanvres courts ; & c’est encore un défaut.

Quand le chanvre est fin, moëlleux, souple, doux au toucher, peu élastique, & en même tems difficile à rompre, il est certain qu’il doit être regardé comme le meilleur ; mais si le chanvre est rude, dur, & élastique, on peut être certain qu’il donnera toûjours des cordes foibles.

Il est très-avantageux que les matieres qu’on employe pour faire des cordes, soient souples ; & il n’est pas douteux que c’est la roideur de l’écorce du tilleul & du jonc, qui fait principalement la foiblesse des cordes qui sont faites avec ces matieres.

On verra ailleurs, qu’on peut procurer au chanvre cette souplesse si avantageuse, par l’espade, par le peigne, &c.

Nous avons fait remarquer que les chanvres très roüis étoient les plus souples : nous avons prouvé aussi que l’opération de roüir étoit un commencement de pourriture, & que si on laissoit trop longtems le chanvre dans les routoirs, il se pourriroit entierement ; d’où on peut conclure que les chanvres qui n’ont acquis leur souplesse qu’à force de roüir, doivent pourrir plûtôt par le service que ceux qui sont plus durs.

Nous observerons que le chanvre cueilli un peu verd, & dont les fibres de l’écorce n’étoient pas encore devenues très-ligneuses, sont plus souples que les autres ; mais ces chanvres doux, pour être trop herbacés, sont aussi plus aisés à pourrir que les chanvres rudes & très-ligneux. On convient assez généralement de cette proposition dans les corderies : celui de Riga, par exemple, passe pour pourrir plus promptement que les chanvres de Bretagne.

Nous avons dit qu’on mettoit roüir le chanvre principalement pour séparer l’écorce de la chenevotte, à laquelle elle est fort adhérente avant cette opération : quand donc le chanvre n’est pas assez roüi, l’écorce reste trop adhérente à la chenevotte, on a de la peine à l’en séparer, & il en reste toûjours d’attachée au chanvre, sur-tout quand il a été broyé.

Ce défaut est considérable, parce que ces chenevottes rendent le fil d’inégale grosseur, & qu’elles l’affoiblissent dans les endroits où elles se rencontrent ; mais quand les chanvres ont été trop roüis, l’eau qui a agi plus puissamment sur la pointe, qui est tendre, l’a souvent entierement pourrie.

Ainsi quand les chanvres sont bien nets de chenevottes, ou qu’on remarque que les chenevottes qui restent, sont peu adhérentes à la filasse, il faut examiner si les pointes ont encore de la force, & cela sur-tout aux chanvres tillés ; car les pointes des chanvres trop roüis restent ordinairement dans la broye ou macque, & ne se trouvent point dans les queues, qui en sont seulement plus courtes ; ce qui n’est pas un défaut si le chanvre a encore assez de longueur.

Nous observerons que le chanvre femelle qu’on a laissé sur pié pour y mûrir son chenevi, étoit devenu par ce délai plus ligneux, plus dur & plus élastique que le chanvre mâle qu’on avoit arraché plus de trois semaines plûtôt. Nous venons de dire que le chanvre le plus fin & le plus souple est le meilleur ; d’où il faut conclure que le chanvre mâle est de meilleure qualité que le chanvre femelle : les paysans qui le savent bien, essayent de le vendre un peu plus cher, & cela est juste. Une fourniture est réputée bonne quand elle contient autant de chanvre mâle que de femelle ; ce qui sera aisé à distinguer par la dureté & la roideur du chanvre femelle, qui est ordinairement

plus brun que le chanvre mâle, qui a une couleur plus brillante & plus argentine.

On verra ailleurs, que le premier brin est presque la seule partie utile dans le chanvre ; d’un autre côté on sait, après ce qui vient d’être dit, que tous les chanvres ne fournissent pas également du premier brin : il est donc nécessaire, quand on fait une recette un peu considérable de chanvre, de s’assûrer de la quantité de premier & second brin, d’étoupes & de déchet, que pourra produire le chanvre que présente le fournisseur. Or cela se connoît en faisant espader & peigner, en un mot, préparer comme on a coûtume de le faire, un quintal. On pese ensuite le premier, le second, & le troisieme brin qu’on a retirés de ce quintal ; & le manque marque le déchet : d’ailleurs le chanvre qu’on reçoit étant destiné à faire des cordes, celui qui fera les cordes les plus fortes, sera meilleur. Il résulte donc de-là une maniere de l’éprouver. Voyez le détail de cette épreuve dans l’ouvrage de M. Duhamel.

A mesure qu’on fait la recette, on porte les balles de chanvre dans les magasins où elles doivent rester jusqu’à ce qu’on les délivre aux espadeurs ; & comme les consommations ne sont pas toûjours proportionnelles aux recettes, on est obligé de les laisser quelquefois assez long-tems dans les magasins, où il est important de les conserver avec beaucoup d’attention, sans quoi on courroit risque d’en perdre beaucoup ; il est donc avantageux de rapporter en quoi consistent ces précautions.

1°. Les magasins où l’on conserve le chanvre doivent être des greniers fort élevés & spacieux, plafonnés, percés de fenêtres ou de grandes lucarnes de côté & d’autre ; & ces fenêtres doivent fermer avec de bons contrevents qu’on tiendra ouverts quand le tems sera frais & sec, & qu’on fermera soigneusement quand l’air sera humide, & du côté du soleil quand il sera fort chaud ; car la chaleur durcit, roidit le chanvre, & le fait à la longue tomber en poussiere : quand au contraire il est humide, il court risque de s’échauffer. Il est important pour la même raison qu’il ne pleuve point sur le chanvre, ainsi il faudra entretenir les couvertures avec tout le soin possible.

2°. Si le chanvre qu’on reçoit est tant-soit-peu humide, on l’étendra, & on ne le mettra en meulons que quand il fera fort sec, sans quoi il s’échaufferoit & seroit bientôt pourri.

3°. Pour que l’air entre dans les meulons de tous côtés, on ne les fera que de quinze à dix-huit milliers, & on ne les élevera pas jusqu’au toict. Comme dans les recettes il se trouve presque toûjours du chanvre de différente qualité, on aura l’attention, autant que faire se pourra, que tout le chanvre d’un même meulon soit de la même qualité, afin qu’on puisse employer aux manœuvres les plus importantes les chanvres les plus parfaits ; c’est une attention qu’on n’a pas ordinairement, mais qui est des plus essentielles.

4°. On fourrera de tems en tems le bras dans les meulons pour connoître s’ils ne s’échauffent pas ; & s’il y avoit de la chaleur dans quelques-uns, on les déferoit, leur laisseroit prendre l’air, & les transporteroit dans d’autres endroits.

5°. Une ou deux fois l’année on changera les meulons de place, pour mieux connoître en quel état ils sont intérieurement ; d’ailleurs, par cette opération l’on expose le chanvre à l’air, ce qui lui est toûjours avantageux.

6°. Quelquefois les rats & les souris endommagent beaucoup le chanvre qu’ils rongent & qu’ils bouchonnent pour y faire leur nid ; c’est à un homme attentif à leur faire la guerre.

Cependant, malgré toutes ces précautions, le