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Plusieurs personnes ont pensé que les articles de Géographie étoient de trop dans ce Livre : on a crû devoir les y faire entrer, parce qu’il se trouve à chaque instant dans l’Encyclopédie des noms de lieux relatifs, soit au commerce, soit à d’autres objets, & qu’on est bien-aise de ne pas aller chercher ailleurs. De plus, ces articles extraits pour la plûpart fort en abregé du dictionnaire in-douze de Laurent Echard, ne feroient pas vraisemblablement la dixieme partie de l’in-douze, & peut-être pas la deux centiéme de l’Encyclopédie. Notre guide pour la Géographie dans les volumes suivans, & dans celui-ci, est le Dictionnaire Géographique Allemand de Hubner ; ouvrage fort complet & plus exact que nos Dictionnaires François.

Après l’avis que nous avons donné, que chacun de ceux qui ont travaillé à cette Encyclopédie, soit Auteurs, soit Editeurs, est ici garant de son ouvrage & de son ouvrage seul ; nous ajouterons que ceux d’entre nos Collegues qui jugeront à propos de répondre aux critiques que l’on pourra faire de leurs articles, seront les maîtres de publier leurs réponses au commencement de chaque volume. A l’égard des critiques qui nous regarderont personnellement l’un ou l’autre, ou qui tomberont sur l’Encyclopédie en général, nous en distinguerons de trois especes.

Dans la premiere classe sont les critiques purement littéraires. Nous en profiterons si elles sont bonnes, & nous les laisserons dans l’oubli si elles sont mauvaises. Presque toutes celles qu’on nous a faites jusqu’ici, ont été par malheur de cette derniere espece, sur-tout quand elles ont eu pour objet des matieres de raisonnement ou de Belles-lettres, dans lesquelles nous n’avions fait que suivre & qu’exposer le sentiment unanime des vrais Philosophes & des véritables gens de goût. Mais il est des préjugés que la Philosophie & le goût ne sçauroient guérir, & nous ne devons pas nous flatter de parvenir à ce que ni l’un ni l’autre ne peuvent faire.

Au reste, nous croyons que la démocratie de la république des Lettres doit s’étendre à tout, jusqu’à permettre & souffrir les plus mauvaises critiques quand elles n’ont rien de personnel. Il suffit que cette liberté puisse en produire de bonnes. Celles-ci seront aussi utiles aux ouvrages, que les mauvaises sont nuisibles à ceux qui les font. Les Ecrivains profonds & éclairés, qui par des critiques judicieuses ont rendu ou rendent encore un véritable service aux Lettres, doivent faire supporter patiemment ces censeurs subalternes, dont nous ne prétendons désigner aucun, mais dont le nombre se multiplie chaque jour en Europe ; qui, sans que personne l’exige, rendent compte de leurs lectures, ou plutôt de ce qu’ils n’ont pas lû ; qui semblables aux grands Seigneurs, qu’a si bien peints Moliere, savent tout sans avoir rien appris, et raisonnent presque aussi bien de ce qu’ils ignorent que de ce qu’ils croyent connoître ; qui s’érigeant sans droit & sans titre un tribunal où tout le monde est appellé sans que personne y comparoisse, prononcent d’un ton de maître & d’un stile qui n’en est pas, des arrêts que la voix publique n’a point dictés ; qui dévorés enfin par cette jalousie basse, l’opprobre des grands talens et la compagne ordinaire des médiocres, avilissent leur état & leur plume à décrier des travaux utiles.

Mais qu’une critique soit bien ou mal fondée, le parti le plus sage que les Auteurs intéressés ayent à prendre, c’est de ne pas citer leurs adversaires devant le Public. La meilleure maniere de répondre aux critiques littéraires qu’on pourra faire de l’Encyclopédie en général, seroit de prouver qu’on auroit pû encore y en ajouter d’autres. Personne peut-être ne seroit plus en état que nous de faire l’examen de cet ouvrage, & de montrer que la malignité auroit pû être beaucoup plus heureuse. Qu’on ne s’imagine pas qu’il y ait aucune vanité dans cette déclaration. Si jamais critique fut facile, c’est celle d’un ouvrage aussi considérable & aussi varié ; & nous connoissons assez intimement l’Encyclopédie pour ne pas ignorer ce qui lui manque : peut-être le prouverons nous un jour, si nous parvenons à la finir ; ce sera pour lors le tems & le lieu d’exposer ce qui reste à faire, soit pour la perfectionner, soit pour empêcher qu’elle ne soit détériorée par d’autres. Mais en attendant que nous puissions entrer dans ce détail, nous laisserons la critique dire tout le bien & tout le mal qu’elle voudra de nous ; ou s’il nous arrive quelquefois de la relever, ce sera rarement, en peu de mots, dans le corps même de l’ouvrage, & pour entrer dans des discussions vraiment nécessaires, ou pour désavouer des éloges qu’on nous aura donnés mal à propos.

Nous placerons dans la seconde classe les imputations odieuses contre nos sentimens & notre personne ; sur lesquelles c’est à l’Encyclopédie elle-même à nous défendre, & aux honnêtes gens à nous venger.

L’Auteur du Discours préliminaire n’a pas eu besoin d’efforts pour y parler de la Religion avec le respect qu’elle mérite, & pour y traiter les matieres les plus importantes avec une exactitude dont il ose dire que tout le monde lui a sçu gré. Aussi les honnêtes gens ont-ils été fort surpris, pour ne rien dire de plus, de la critique de ce Discours, qu’on a inserée dans le Journal des Savans, sans l’avoir communiquée, comme elle devoit l’être,