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ponius Mela, d’animer le courage de leurs compatriotes, & de leur inspirer le mépris de la mort, quand il s’agiroit de remplir leur devoir.

Les Celtes étoient plongés dans l’idolatrie ainsi que les autres peuples de la terre. Les druides leurs prêtres, dont les idées sur la divinité étoient sans doute plus épurées que celles du peuple, les nourrissoient dans cette folle superstition. C’est un reproche qu’on peut faire à tous les législateurs. Au lieu de détromper le peuple sur cette multitude de dieux qui s’accorde si mal avec la saine raison, ils s’appliquoient au contraire à fortifier cette erreur dans les esprits grossiers, prévenus de cette fausse maxime, qu’on ne peut introduire de changement dans la religion d’un pays, quand même ce seroit pour la réformer, qu’on n’y excite des séditions capables d’ébranler l’état jusque dans ses plus fermes fondemens. Les dieux qu’adoroient les Celtes étoient Theutates, Hesus, & Taranès. Si l’on en croit les Romains, c’étoit Mercure qu’ils adoroient sous le nom de Theutates, Mars sous celui d’Hesus, & Jupiter sous celui de Taranès. Ce sentiment est combattu par de savans modernes ; les uns voulant que Theutates ait été la premiere divinité des Celtes ; les autres attribuant cet honneur à Hesus, dans lequel cas Theutates ne seroit plus le Mercure des Romains, ni Hesus leur dieu Mars, puisque ni l’un ni l’autre n’a été chez les Romains la principale divinité. Quoi qu’il en soit de cette diversité d’opinions, qui par elles-mêmes n’intéressent guere, nous sommes assûrés par le témoignage de toute l’antiquité, que la barbare coûtume de teindre de sang humain les autels de ces trois dieux, s’étoit introduite de tout tems chez les Celtes, & que les druides étoient les prêtres qui égorgeoient en l’honneur de ces dieux infames des victimes humaines. Voici comme Lucain parle de ces sacrifices.

Quibus immitis placatur sanguine diro
Theutates, horrensque feris altaribus Hesus,
Et Taranis Scythicæ non mitior ara Dianæ.

S’il est permis de se livrer à des conjectures où la certitude manque, nous croyons pouvoir avancer que l’opinion de cette ame universelle qui se répand dans toutes les parties du monde & qui en est la divinité (opinion qui a infecté presque tout l’univers), avoit pénétré jusque chez les Gaulois. En effet, le culte qu’ils rendoient aux astres, aux arbres, aux pierres, aux fontaines, en un mot à toutes les parties de cet univers ; l’opinion ridicule où ils étoient que les pierres même rendoient des oracles ; le mépris & l’horreur qu’ils avoient pour les images & les statues des dieux : toutes ces choses réunies prouvent évidemment qu’ils regardoient le monde comme étant animé par la divinité dans toutes ses parties. C’est donc bien inutilement que quelques modernes ont voulu nous persuader, après se l’être persuadé à eux-mêmes, que les premiers Gaulois avoient une idée saine de la divinité ; idée qui ne s’étoit altérée & corrompue que par leur commerce avec les autres nations. Après cela je ne vois pas surquoi tombe le reproche injurieux qu’on fait aux anciens Celtes d’avoir été des Athées : ils ont été bien plûtôt superstitieux qu’Athées. Si les Romains les ont regardés comme les ennemis des dieux, ce n’est que parce qu’ils refusoient d’adorer la divinité dans des statues fabriquées de la main des hommes. Ils n’avoient point des temples comme les Romains, parce qu’ils ne croyoient pas qu’on pût y renfermer la divinité. Tout l’univers étoit pour eux un temple, ou plûtôt la divinité se peignoit à eux dans tous les êtres qui le composent. Ce n’est pas qu’ils n’eussent des lieux affectés comme les bois les plus sombres & les plus reculés, pour y adorer d’une maniere particuliere la divinité. Ces lieux étoient propres à frapper d’une sainte horreur les peuples, qui se représentoient

quelque chose de terrible, appellant Dieu ce qu’ils ne voyoient point, ce qu’ils ne pouvoient voir.

Tant aux foibles mortels, il est bon d’ignorer
Les dieux qu’il leur faut craindre, & qu’il faut adorer.

Brebœuf.

Ou comme le dit plus énergiquement l’original :

Tantùm terroribus addit,
Quos timeant, non nosse deos.

Les Gaules ayant été subjuguées par les Romains qui vouloient tout envahir, & qui opprimoient au lieu de vaincre, ce fut une nécessité pour les peuples qui les habitoient, de se soûmettre à la religion de leurs vainqueurs. Ce n’est que depuis ce tems qu’on vit chez eux des temples & des autels consacrés aux dieux à l’imitation des Romains. Les druides perdirent insensiblement leur crédit : ils furent enfin tous abattus sous les regnes de Tibere & de Claude. Il y eut même un decret du sénat qui ordonnoit leur entiere abolition, soit parce qu’ils vouloient perpétuer parmi les peuples qui leur étoient soûmis l’usage cruel des victimes humaines, soit parce qu’ils ne cessoient de les exciter à conspirer contre les tyrans de Rome, à rentrer dans leurs priviléges injustement perdus, & à se choisir des rois de leur nation.

Les druides se rendirent sur-tout recommendables par la divination, soit chez les Gaulois, soit chez les Germains. Mais ce qu’il y a ici de remarquable, c’est que la divination étoit principalement affectée aux femmes : de là le respect extrème qu’on avoit pour elles ; respect qui quelquefois alloit jusqu’à l’adoration ; témoin l’exemple de Velleda & d’Aurinia qui furent mises au nombre des déesses, selon le rapport de Tacite.

C’est assez l’usage des anciens de ne parler de l’origine des choses qu’en les personifiant. Voilà pourquoi leur cosmogonie n’est autre chose qu’une théogonie. C’est aussi ce que nous voyons chez les anciens Celtes. A-travers les fables, dont ils ont défiguré la tradition qui leur étoit venue de la plus haute antiquité, il est aisé de reconnoître quelques traces de la création & du déluge de Moyse. Ils reconnoissoient un être qui existoit avant que rien de ce qui existe aujourd’hui eût été créé. Qu’il me soit permis de passer sous silence toutes les fables qui s’étoient mêlées à leur cosmogonie : elles ne sont par elles-mêmes ni assez curieuses, ni assez instructives pour mériter de trouver ici leur place. Il ne paroît pas que la métempsycose ait été une opinion universellement reçûe chez les druides. Si les uns faisoient rouler perpétuellement les ames d’un corps dans un autre, il y en avoit d’autres qui leur assignoient une demeure fixe parmi les manes ; soit dans le tartare, où elles étoient précipitées lorsqu’elles s’étoient souillées par des parjures, des assassinats, & des adulteres ; soit dans un séjour bienheureux, lorsqu’elles étoient exemptes de ces crimes. Ils n’avoient point imaginé d’autre supplice pour ceux qui étoient dans le tartare, que celui d’être plongés dans un fleuve dont les eaux étoient empoisonnées, & de renaître sans cesse pour être éternellement en proie aux cruelles morsures d’un serpent. Ils distinguoient deux séjours de félicité. Ceux qui n’avoient que bien vécu, c’est-à-dire ceux qui n’avoient été que justes & tempérans pendant cette vie, habitoient un palais plus brillant que le soleil, où ils nageoient dans un torrent de voluptés : mais ceux qui étoient morts généreusement les armes à la main pour défendre leur patrie, ceux-là avoient une place dans le valhalla avec Odin, auquel ils donnoient le nom d’Hésus, & qui étoit pour eux ce que le dieu Mars étoit pour les Latins. On diroit que Mahomet a imaginé son paradis d’après le valhalla des Celtes septentrionaux, tant il a de ressemblance avec lui. Solin, Mela, & d’autres auteurs rapportent que les nations hyperborées