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692, confirma dans son xiii. canon l’usage de l’Eglise Greque, & l’Eglise Latine n’exigea point au concile de Florence qu’elle y renonçât. Cependant il ne faut pas celer que plusieurs des prêtres Grecs sont moines, & gardent le célibat ; & que l’on oblige ordinairement les patriarches & les évêques de faire profession de la vie monastique, avant que d’être ordonnés. Il est encore à propos de dire qu’en Occident le célibat fut prescrit aux clercs par les decrets des papes Sirice & Innocent ; que celui du premier est de l’an 385 ; que S. Léon étendit cette loi aux soûdiacres ; que S. Gregoire l’avoit imposée aux diacres de Sicile ; & qu’elle fut confirmée par les conciles d’Elvire sur la fin du iiie siecle, canon xxxiii. de Tolede, en l’an 400 ; de Carthage, en 419, canon iii. & iv. d’Orange, en 441, canon xxii. & xxiii. d’Arles, en 452 ; de Touis, en 461 ; d’Agde, en 506 ; d’Orléans, en 538 ; par les capitulaires de nos rois, & divers conciles tenus en Occident ; mais principalement par le concile de Trente ; quoique sur les représentations de l’Empereur, du duc de Baviere, des Allemands, & même du roi de France, on n’ait pas laissé d’y proposer le mariage des prêtres, & de le solliciter auprès du pape, après la tenue du concile. Leur célibat avoit eu long-tems auparavant des adversaires : Vigilance & Jovien s’étoient élevés contre sous S. Jérôme : Wiclef, les Hussites, les Bohémiens, Luther, Calvin, & les Anglicans, en ont secoüé le joug ; & dans le tems de nos guerres de religion, le cardinal de Chatillon, Spifame, évêque de Nevers, & quelques ecclésiastiques du second ordre, oserent se marier publiquement ; mais ces exemples n’eurent point de suite.

Lorsque l’obligation du célibat fut générale dans l’Eglise catholique, ceux d’entre les ecclésiastiques qui la violerent, furent d’abord interdits pour la vie des fonctions de leur ordre, & mis au rang des laïques. Justinien, leg. 45. cod. de episcop. & cler. voulut ensuite que leurs enfans fussent illégitimes, & incapables de succéder & de recevoir des legs : enfin il fut ordonné que ces mariages seroient cassés, & les parties mises en pénitence ; d’où l’on voit comment l’infraction est devenue plus grave, à mesure que la loi s’est invétérée. Dans le commencement s’il arrivoit qu’un prêtre se mariât, il étoit déposé, & le mariage subsistoit ; à la longue, les ordres furent considérés comme un empéchement dirimant au mariage : aujourd’hui un clerc simple tonsuré qui se marie, ne joüit plus des priviléges des ecclésiastiques, pour la jurisdiction & l’exemption des charges publiques. Il est censé avoir renoncé par le mariage à la cléricature & à ses droits. Fleury, Inst. au Droit ecclés. tom. I. Anc. & nouv. discipline de l’Eglise du P. Thomassin.

Il s’ensuit de cet historique, dit feu M. l’abbé de S. Pierre, pour parler non en controversiste, mais en simple politique chrétien, & en simple citoyen d’une société chrétienne, que le célibat des prêtres n’est qu’un point de discipline ; qu’il n’est point essentiel à la religion chrétienne ; qu’il n’a jamais été regardé comme un des fondemens du schisme que nous avons avec les Grecs & les Protestans ; qu’il a été libre dans l’Eglise Latine : que l’Eglise ayant le pouvoir de changer tous les points de discipline d’institution humaine ; si les états de l’Eglise catholique recevoient de grands avantages de rentrer dans cette ancienne liberté, sans en recevoir aucun dommage effectif, il seroit à souhaiter que cela fût ; & que la question de ces avantages est moins théologique que politique, & regarde plus les souverains que l’Eglise, qui n’aura plus qu’à prononcer.

Mais y a-t-il des avantages à restituer les ecclésiastiques dans l’ancienne liberté du mariage ? C’est un fait dont le Czar fut tellement frappé, lorsqu’il parcourut la France incognito, qu’il ne concevoit pas

que dans un état où il rencontroit de si bonnes lois & de si sages établissemens, on y eût laissé subsister depuis tant de siecles une pratique, qui d’un côté n’importoit en rien à la religion, & qui de l’autre préjudicioit si fort à la société chrétienne. Nous ne déciderons point si l’étonnement du Czar étoit bien fondé ; mais il n’est pas inutile d’analyser le mémoire de M. l’abbé de S. Pierre, & c’est ce que nous allons faire.

Avantages du mariage des prêtres. 1°. Si quarante mille curés avoient en France quatre-vingt mille enfans, ces enfans étant sans contredit mieux élevés, l’état y gagneroit des sujets & d’honnêtes gens, & l’église des fideles. 2°. Les ecclésiastiques étant par leur état meilleurs maris que les autres hommes, il y auroit quarante mille femmes plus heureuses & plus vertueuses. 3°. Il n’y a guere d’hommes pour qui le célibat ne soit difficile à observer ; d’où il peut arriver que l’église souffre un grand scandale par un prêtre qui manque à la continence, tandis qu’il ne revient aucune utilité aux autres Chrétiens de celui qui vit continent. 4°. Un prêtre ne mériteroit guere moins devant Dieu en supportant les défauts de sa femme & de ses enfans, qu’en résistant aux tentations de la chair. 5°. Les embarras du mariage sont utiles à celui qui les supporte ; & les difficultés du célibat ne le sont à personne. 6°. Le curé pere de famille vertueux, seroit utile à plus de monde que celui qui pratique le célibat. 7°. Quelques ecclésiastiques pour qui l’observation du célibat est très-pénible, ne croiroient pas avoir satisfait à tout, quand ils n’ont rien à se reprocher de ce côté. 8°. Cent mille prêtres mariés formeroient cent mille familles ; ce qui donneroit plus de dix mille habitans de plus par an ; quand on n’en compteroit que cinq mille, ce calcul produiroit encore un million de François en deux cens ans. D’où il s’ensuit que sans le célibat des prêtres, on auroit aujourd’hui quatre millions de Catholiques de plus, à prendre seulement depuis François I. ce qui formeroit une somme considérable d’argent ; s’il est vrai, ainsi qu’un Anglois l’a supputé, qu’un homme vaut à l’état plus de neuf livres sterling. 9°. Les maisons nobles trouveroient dans les familles des évêques, des rejettons qui prolongeroient leur durée, &c. Voyez les ouvrages politiq. de M. l’abbé de S. Pierre, tome II. p. 146.

Moyens de rendre aux ecclésiastiques la liberté du mariage. Il faudroit 1°. former une compagnie qui méditât sur les obstacles & qui travaillât à les lever. 2°. Négotier avec les princes de la communion Romaine, & former avec eux une confédération. 3°. Négotier avec la cour de Rome ; car M. l’abbé de S. Pierre prétend qu’il vaut mieux user de l’intervention du pape, que de l’autorité d’un concile national ; quoique, selon lui, le concile national abrégeât sans doute les procédures, & que selon bien des Théologiens, ce tribunal fût suffisant pour une affaire de cette nature. Voici maintenant les objections que M. l’abbé de S. Pierre se propose lui-même contre son projet, avec les réponses qu’il y fait.

Premiere objection. Les évêques d’Italie pourroient donc être mariés, comme S. Ambroise ; & les cardinaux & le pape, comme S. Pierre.

Réponse. Assûrément : M. l’abbé de S. Pierre ne voit ni mal à suivre ces exemples, ni inconvénient à ce que le pape & les cardinaux ayent d’honnêtes femmes, des enfans vertueux, & une famille bien reglée.

Seconde objection. Le peuple a une vénération d’habitude pour ceux qui gardent le célibat, & qu’il est à propos qu’il conserve.

Réponse. Ceux d’entre les pasteurs Hollandois & Anglois qui sont vertueux, n’en sont pas moins respectés du peuple, pour être mariés.