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dre en écarlate, baphiarii. L’ambition & la politique grossirent encore le corps des célibataires : ces hommes bisarres furent ménagés par les grands mêmes, avides d’avoir place dans leur testament ; & par la raison contraire, les peres de famille dont on n’espéroit rien, furent oubliés, négligés, méprisés.

Nous avons vû jusqu’à présent le célibat interdit, ensuite toléré, puis approuvé, enfin préconisé : il ne tarda pas à devenir une condition essentielle dans la plûpart de ceux qui s’attacherent au service des autels. Melchisedech fut un homme sans famille & sans généalogie. Ceux qui se destinerent au service du temple & au culte de la loi, furent dispensés du mariage. Les filles eurent la même liberté. On assûre que Moyse congédia sa femme quand il eut reçû la loi des mains de Dieu. Il ordonna aux sacrificateurs dont le tour d’officier à l’autel approcheroit, de se séquestrer de leurs femmes pendant quelques jours. Après lui les prophetes Elie, Elisée, Daniel & ses trois compagnons, vécurent dans la continence. Les Nazaréens, & la plus saine partie des Esseniens, nous sont représentés par Josephe comme une nation merveilleuse, qui avoit trouvé le secret que Metellus Numidicus ambitionnoit, de se perpétuer sans mariage, sans accouchement, & sans aucun commerce avec les femmes.

Chez les Egyptiens les prêtres d’Isis, & la plûpart de ceux qui s’attachoient au service de leurs divinités, faisoient profession de chasteté ; & pour plus de sûreté ils y étoient préparés dès leur enfance par des chirurgiens. Les Gymnosophistes, les Brachmanes, les Hiérophantes des Athéniens, une bonne partie des disciples de Pythagore, ceux de Diogene, les vrais Cyniques, & en général tous ceux & toutes celles qui se dévoüoient au service des déesses, en usoient de la même maniere. Il y avoit dans la Thrace une société considérable de religieux célibataires, appellés κτίσται ou créateurs, de la faculté de se produire sans le secours des femmes. L’obligation du célibat étoit imposée chez les Perses aux filles destinées au service du soleil. Les Athéniens ont eu une maison de vierges. Tout le monde connoît les vestales Romaines. Chez nos anciens Gaulois, neuf vierges qui passoient pour avoir reçû du ciel des lumieres & des graces extraordinaires, gardoient un oracle fameux dans une petite île nommée Sené, sur les côtes de l’Armorique. Il y a des auteurs qui prétendent même que l’île entiere n’étoit habitée que par des filles, dont quelques-unes faisoient de tems en tems des voyages sur les côtes voisines, d’où elles rapportoient de petits embryons pour conserver l’espece. Toutes n’y alloient pas : il est à présumer, dit M. Morin, que le sort en décidoit, & que celles qui avoient le malheur de tirer un billet noir, étoient forcées de descendre dans la barque fatale qui les exposoit sur le continent. Ces filles consacrées étoient en grande vénération : leur maison avoit des priviléges singuliers, entre lesquels on peut compter celui de ne pouvoir être châtiées pour un crime, sans avoir avant toute chose perdu la qualité de fille.

Le célibat a eu ses martyrs chez les payens, & leurs histoires & leurs fables sont pleines de filles qui ont généreusement préféré la mort à la perte de l’honneur. L’aventure d’Hippolite est connue, ainsi que sa résurrection par Diane, patrone des célibataires. Tous ces faits, & une infinité d’autres, étoient soûtenus par les principes de la croyance. Les Grecs regardoient la chasteté comme une grace surnaturelle ; les sacrifices n’étoient point censés complets, sans l’intervention d’une vierge : ils pouvoient bien être commencés, libare : mais ils ne pouvoient être consommés sans elles, litare. Ils avoient sur la virginité des propos magnifiques, des idées sublimes, des spéculations d’une grande beauté : mais en approfon-

dissant la conduite secrete de tous ces célibataires, & de tous ces virtuoses du paganisme, on n’y découvre, dit M. Morin, que desordres, que forfanterie, & qu’hypocrisie. A commencer par leurs déesses, Vesta la plus ancienne étoit représentée avec un enfant ; où l’avoit-elle pris ? Minerve avoit par-devers elle Erichtonius, une aventure avec Vulcain, & des temples en qualité de mere. Diane avoit son chevalier Virbius, & son Endimion : le plaisir qu’elle prenoit à contempler celui-ci endormi, en dit beaucoup, & trop pour une vierge. Myrtilus accuse les muse de complaisances fortes pour un certain Mégalion, & leur donne à toutes des enfans qu’il nomme nom par nom. C’est peut-être pour cette raison que l’abbé Cartaud les appelle, les filles de l’opéra de Jupiter. Les dieux vierges ne valoient guere mieux que les déesses, témoins Apollon & Mercure.

Les prêtres, sans en excepter ceux de Cybele, ne passoient pas dans le monde pour des gens d’une conduite bien réguliere : on n’enterroit pas vives toutes les vestales qui péchoient. Pour l’honneur de leurs philosophes, M. Morin s’en taît, & finit ainsi l’histoire du célibat, tel qu’il étoit au berceau, dans l’enfance, entre les bras de la nature ; état bien différent du haut degré de perfection où nous le voyons aujourd’hui : changement qui n’est pas étonnant ; celui-ci est l’ouvrage de la grace & du Saint-Esprit ; celui-là n’étoit que l’avorton imparfait d’une nature déréglée, dépravée, débauchée, triste rebut du mariage & de la virginité. Voyez les Mémoires de l’Académie des Inscriptions, tome IV. page 308. Hist. critiq. du célibat. Tout ce qui précede n’est absolument que l’analyse de ce mémoire : nous en avons retranché quelques endroits longs ; mais à peine nous sommes-nous accordé la liberté de changer une seule expression dans ce que nous en avons employé : il en sera de même dans la suite de cet article : nous ne prenons rien sur nous ; nous nous contentons seulement de rapporter fidelement, non-seulement les opinions ; mais les discours même des auteurs, & de ne puiser ici que dans des sources approuvées de tous les honnêtes gens. Après avoir montré ce que l’histoire nous apprend du célibat, nous allons maintenant envisager cet état avec les yeux de la Philosophie, & exposer ce que différens écrivains ont pensé sur ce sujet.

Du célibat considéré en lui-même. 1°. Eû égard à l’espece humaine. Si un historien ou quelque voyageur nous faisoit la description d’un être pensant, parfaitement isolé, sans supérieur, sans égal, sans inférieur, à l’abri de tout ce qui pourroit émouvoir les passions, seul en un mot de son espece ; nous dirions sans hésiter que cet être singulier doit être plongé dans la mélancholie : car quelle consolation pourroit-il rencontrer dans un monde qui ne seroit pour lui qu’une vaste solitude ? Si l’on ajoûtoit que malgré les apparences il joüit de la vie, sent le bonheur d’exister, & trouve en lui-même quelque félicité ; alors nous pourrions convenir que ce n’est pas tout-à-fait un monstre, & que relativement à lui-même sa constitution n’est pas entierement absurde : mais nous n’irions jamais jusqu’à dire qu’il est bon. Cependant si l’on insistoit, & qu’on objectât qu’il est parfait dans son genre, & conséquemment que nous lui refusons à tort l’épithete de bon ; car qu’importe qu’il ait quelque chose ou qu’il n’ait rien à démêler avec d’autres ? il faudroit bien franchir le mot, & reconnoître que cet être est bon, s’il est possible toutefois qu’il soit parfait en lui-même, sans avoir aucun rapport, aucune liaison avec l’univers dans lequel il est placé.

Mais si l’on venoit à découvrir à la longue quelque système dans la nature dont l’espece d’automate en question pût être considéré comme faisant partie ; si l’on entrevoyoit dans sa structure des liens qui