Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ner un grand évier entre deux auges, élevées à peu près à sa hauteur ; l’auge de derriere reçoit la matiere au sortir du moulin ; celui de devant où travaille le cartonnier s’appelle la cuve. Le cartonnier a une table à droite, & sa presse à gauche. Voyez fig. 2. le Cartonnier travaillant ; AB, est la cuve ; CD, le grand évier, qu’on appelle égouttoir ; G, une forme ; F, le tonneau du bout, (c’est son nom), qui reçoit l’eau & la matiere qui descendent de l’égouttoir par l’ouverture E. On n’a point représenté la table à droite du cartonnier, parce qu’il est facile de l’y supposer, non plus que l’auge de derriere, qui devroit être placée en X, précisément comme on voit en AB, la cuve ou l’auge de devant.

Lorsque la cuve AB est pleine de matiere préparée, comme nous venons de l’expliquer, l’ouvrier prend une forme ; on entend par une forme, un instrument tel que celui que tient l’ouvrier de la fig. 2. dans la vignette, ou qu’on voit en G posé sur l’égouttoir. Ce sont quatre morceaux de bois équarris & assemblés, renfermant un espace de la grandeur du carton qu’on veut faire. Le fond est traversé de plusieurs tringles, qui fortifient l’assemblage de celles des côtés ; ces côtés ont été percés de trous, & on y a travaillé un tissu ou crible fort serré de fils de laiton ; on apperçoit bien ce tissu ou treillis de fils de laiton longitudinaux & transversaux à la forme G. On applique sur cette forme un chassis de bois qui l’embrasse exactement. On plonge dans la cuve la forme garnie de son chassis, qui lui fait un rebord plus ou moins haut à discrétion. La matiere couvre le treillis de laiton, & y est retenue par le chassis. L’ouvrier pose la forme couverte de matiere jusqu’à la hauteur des bords du chassis, sur les barres qui traversent l’égouttoir. L’eau mêlée à la matiere, ou plûtôt la partie la plus fluide de la matiere, s’échappe par les petits trous du treillis, tombe dans l’égouttoir, & se rend dans le tonneau du bout. La partie la plus épaisse & la plus grossiere est arrêtée, & se dépose sur le grillage. Pendant que cette forme égoutte, l’ouvrier en plonge une autre dans la cuve qu’il met ensuite sur l’égouttoir, puis il reprend la premiere, en enleve le chassis, & renverse la matiere déposée sur le grillage, ou plûtôt la feuille de carton, car c’est elle-même, sur un morceau de molleton de sa largeur, placé sur le fond du plateau de la presse. On voit en LHKI, ce plateau chargé en partie. Il étend un nouveau molleton sur cette feuille ; puis il remplit sa forme après avoir remis son chassis, & la met égoutter ; pendant qu’elle égoutte, il reprend celle qui est égouttée, ôte son chassis, & la renverse sur le molleton, qui couvre la premiere feuille de carton. Il couvre cette seconde feuille d’un molleton, & il continue ainsi son travail, versant une forme, tandis qu’une autre s’égoutte, & enfermant les feuilles de carton entre des morceaux de molleton, qui forment sur le plateau de la presse KL, une pille HI, qu’on appelle une pressée, quand elle contient environ cent vingt feuilles doubles, ou deux cents trente feuilles simples, telles que celles dont il s’agit ici. Il faut seulement observer que le cartonnier peut fort bien travailler à deux formes avec un seul chassis ; & qu’il y a même à cela une épargne de manœuvre & de tems. Quand une feuille est égouttée, il peut, en la laissant sur l’égouttoir, ôter son chassis, & le placer sur une autre forme, qu’il remplira, & mettra pareillement égoutter ; tandis que celle-ci égouttera, il renversera la premiere sur le molleton. Le tems qu’il mettra à renverser suffira pour que la seconde forme soit assez égouttée, & puisse se passer de son chassis, qu’il mettra sur celle qui est vuide qu’il remplira & mettra à égoutter. Pendant que cette derniere égouttera, il renversera sur le molleton celle qui est restée sur l’égouttoir sans chassis, & ainsi de suite. Il faut encore observer que le cartonnier a

soin de remuer sa cuve, & de la rebrouiller de trois en trois formes, ce qui s’appelle cocher. L’instrument avec lequel on coche, est une espece de rateau à griffe de fer, qu’on voit, fig. 5. l’ouvrier le prend par son manche, & le promene cinq ou six fois d’un bout de sa cuve à l’autre, afin de ramener à la surface la matiere qui se sera déposée au fond. On se doute bien qu’il n’a garde de jetter les matieres qui se rendent de l’égouttoir dans le tonneau F. c’est proprement la gomme & la colle dissoutes, & par conséquent les parties les plus propres à lier celles du carton, & à le fortifier : aussi le cartonnier verse-t-il dans sa cuve avec un seau la matiere qui se rend dans ce tonneau, lorsqu’il en est trop plein.

L’épaisseur de la feuille de carton dépend de deux choses ; de l’épaisseur de la matiere, & de la hauteur du chassis : plus la matiere sera épaisse, le chassis restant le même, plus il y aura de matiere contenue sur la forme : plus le chassis sera haut, la matiere restant la même, plus on en puisera à la fois.

La grandeur de la feuille dépend de la grandeur de la forme ; cela est évident : mais il est bon de savoir qu’avec une grande forme capable, par exemple, de former un carton de l’étendue de la feuille in-folio de papier, on fait aisément à la fois & sans augmenter la manœuvre, deux feuilles de carton égales à la demi-feuille. Pour cet effet, on se sert d’un chassis, divisé du haut en bas par une tringle de bois qui entre & se fixe par ses extrémités dans les côtés d’en-haut & d’en-bas de la forme ; de maniere qu’il ne s’en manque presque rien qu’elle ne s’applique exactement sur le grillage. Qu’arrive-t-il de là ? c’est que la matiere puisée dans la cuve se trouve partagée sur la forme en deux espaces différens, dont chacun donne une feuille qui n’est que la moitié de ce que seroit la feuille totale, sans la tringle qui divise la forme, ou plûtôt le chassis de haut en bas, & qui s’applique presque sur le grillage.

Je dis, qui s’applique presque sur le grillage : c’est qu’en effet la tringle, ou ne s’applique pas exactement sur le grillage ; ou le grillage fléchissant un peu sous le poids de la matiere dont il est chargé, se sépare de la tringle, & laisse échapper entre la tringle & lui, un peu de matiere qui lie les deux feuilles, & n’en forme qu’une apparente : mais la jointure est si mince, c’est une pellicule de carton si déliée, qu’on la rompt facilement ; elle se rompt même en partie, tout en renversant la forme sur le lange.

Mais ce qu’on pourroit regarder comme un inconvénient, devient par hasard une espece d’avantage : cette pellicule de carton qui ne joint pas assez les deux feuilles pour n’en faire qu’une, suffit pourtant pour qu’elles se séparent en même tems de la forme quand on les renverse sur le lange. Les langes sont les mêmes, soit qu’on fasse une seule feuille à la fois, soit qu’on en fasse deux.

Quand on ne veut pas que la feuille se trouve séparée en deux parties égales, mais qu’on souhaite que la feuille soit de toute la grandeur de la forme, il n’y a d’autre chose à faire qu’ôter du chassis la tringle qu’on y avoit arrêtée.

Quand le cartonnier a fait sa pressée, il met des morceaux de bois sur les bords de la presse, & fait monter son plateau par ce plan incliné, entre les montans, comme on le voit en AB. C’est pour cet effet qu’on a mis au plateau KL des anneaux. Lorsque la pressée est entre les montans, on la couvre de planches de chêne ; on place sur ces planches une rangée de madriers ; sur ces madriers des planches ; sur ces planches une autre rangée de madriers plus forts que les précédens ; & sur ces derniers madriers s’applique l’ais supérieur de la presse qui en fait partie, qui se meut à coulisse le long de ses montans, & qui agit également sur toute la pressée par le moyen