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Fonderie en caractere, étoit redevable de sa naissance parmi-nous, & de ses progrès, à Simon de Colines, Claude Garamond, Robert Grandjean, Guillaume le Bé ; Jacques de Sanlecque, pour les 15, 16, & 17e siecles, & pour le 18e à MM. Grandjean & Alexandre, qui ont consacré leurs travaux à l’Imprimerie du Roi.

L’équité & la reconnoissance ne nous permettent pas de passer sous silence ce que M. Fournier le jeune a fait pour le même art, depuis ces habiles Artistes. Il a commencé par l’article important de la table des rapports, dont nous avons fait mention plus haut. Cherchant ensuite ce qui pourroit être innové d’ailleurs avec avantage, il a remarqué que l’Imprimerie manquoit de grandes lettres majuscules pour les placards, affiches, & frontispices. Celles dont on se servoit avant lui étoient trop petites & d’un goût suranné ; les lettres de bois étoient communément mal formées, sujettes à se déjetter, à se pourrir, &c. Il en a gravé de quinze lignes géométriques de haut ; & par conséquent une fois plus grandes que celles de fonte, dont on usoit auparavant : il en a continué la collection complette depuis cette hauteur, jusqu’aux plus petites.

Il a redoublé ce travail, en exécutant des caracteres italiques de la même grandeur ; cette sorte de lettre n’existoit point dans l’Imprimerie. Les plus grosses qu’on y avoit eues étoient de deux points de Saint-Augustin, ou Gros-Romain, encore maigres & mal taillées. Il ne faut pourtant pas celer qu’on en employe de fort belles à l’Imprimerie royale, mais jusqu’à une certaine hauteur seulement ; & c’est d’ailleurs comme si elles n’existoient pas pour les autres Imprimeries du royaume.

Ces grandes majuscules ont presqu’éteint l’usage d’imprimer les affiches & frontispices en rouge & noir. Les mots que l’on veut rendre plus sensibles se remarquant assez par le mêlange des lignes de romain & d’italique dont les figures tranchent assez l’une sur l’autre ; on a évité par ce moyen le double tirage du rouge & du noir, & l’on a formé de plus beaux titres.

L’Imprimerie étoit aussi comme dénuée de ces petits ornemens de fonte qu’on appelle vignettes. Le peu qu’on en avoit étoit si vieux & d’un goût si suranné, qu’on n’en pouvoit presque faire aucun usage. M. Fournier, à l’imitation des sieurs Grandjean & Alexandre, qui en ont exécuté de fort belles pour l’Imprimerie du Roi, en a inventé de plus de cent cinquante sortes, qu’il a gravées relativement à la proportion qu’il a donnée aux corps. Une figure, par exemple, gravée pour être fondue sur un corps de Cicéro de la moitié de son épaisseur, n’a qu’à être renversée pour s’ajuster à la nompareille ; une autre sera quarrée, & représentera le Cicéro en tout sens ; une autre sera de la largeur d’un Cicéro & demi, & viendra au corps de Gros Romain ; une autre de deux Cicéros fera le corps de Palestine : ainsi du reste, qui fondu sur un corps fixe, forme par les largeurs, tels ou tels autres corps, de maniere que de quelque sens qu’on les retourne, elles présentent des grandeurs déterminées, dont les interstices seront exactement remplis par des corps plus ou moins forts.

C’est ainsi qu’en combinant ces petits objets, on compose facilement des ornemens de fonte plus ou moins grands, selon le besoin, & plus ou moins bien entendus, selon le goût du compositeur de l’Imprimerie. Voyez quelques-uns de ces ornemens dans les planches des caracteres qui sont à la fin de cet article.

Dans la gravure des poinçons des notes de Plein-chant, M. Fournier a fait des changemens dont lui ont su gré les Imprimeurs des différens dioceses qu’il a fournis. Les notes béquarres, bémols, &c. étoient gravées & fondues de différentes épaisseurs, suivant

leurs figures ; de maniere que pour composer ces notes, & justifier les lignes, il falloit fondre des espaces d’épaisseurs indéterminées, parmi lesquels il y en avoit de très-fins. Ces espaces portoient quatre filets ; multipliés ils formoient autant de hachures dans les filets de la note, parce que la jonction ne se faisoit jamais si bien qu’on n’en vît l’endroit, sur-tout lorsque la note avoit un peu servi ; ces hachures devenant plus sensibles, n’en étoient que plus desagréables. D’ailleurs, l’ouvrier étoit toûjours obligé de justifier sa ligne en tâtonnant, comme on tâtonne une ligne de caracteres avec les espaces ordinaires. Pour éviter ces inconvéniens, M. Fournier a gravé des poinçons de notes, béquarres, bémols, guidons, poses, &c. précisément d’une même largeur, & des espaces portant quatre filets de la même épaisseur, ou deux, trois, quatre, cinq fois plus large ; les plus minces sont moitié d’épaisseur de la note : or toutes ces épaisseurs étant égales & déterminées, quand l’Imprimeur a décidé la longueur de sa ligne, toutes les autres se trouvent justifiées comme d’elles-mêmes ; il ne s’agit que d’employer le même nombre de notes, ou leur équivalent en espace, ce qui se fait sans soin. Arrivé au bout de la ligne, on y placera une demi-note, ou son équivalent, ou l’équivalent d’une note, ou un espace équivalent à plusieurs notes, suivant le vuide à remplir, & la ligne se trouvera justifiée. Les fautes qui seront survenues dans la composition, ne seront pas difficiles à corriger, puisqu’on aura toûjours précisément l’équivalent de ce qu’on deplacera. Comme on ne sera plus obligé de justifier avec des espaces fins, il y aura moins de hachures, & l’ouvrage sera plus parfait.

Pour cet effet, il a suffi de graver les filets qui portent la note tous de la même largeur, & de laisser sur ces filets la note, ou telle autre figure, suivant la grandeur qu’elles doivent avoir, suivant l’exemple qu’on voit.

M. Fournier a rétranché de la note dont on se servoit avant lui, une multiplication inutile de huit sortes, dont l’effet étoit desagréable, comme on voit, par l’usage où l’on étoit de mettre les queues de ces notes en-bas, elles se trouvoient mêlées avec les caracteres qui étoient dessous. Pour éviter cet inconvénient, de quoi s’agissoit-il ? De retourner en-haut la queue de ces notes, ainsi qu’on le pratique en Musique. Cet expédient a été d’autant plus avantageux, qu’on trouve dans le reste de la note de quoi former celle-ci, sans qu’il soit besoin d’en faire exprès. Exemple : retournez ces caracteres à la composition, & vous aurez, c’est-à-dire l’effet desiré, à moins de frais, sans embarras, & avec plus de propreté. Voyez l’exemple dans les tables des caracteres qui suivent.

On se sert dans l’Imprimerie beaucoup plus fréquemment de reglets simples, doubles ou triples, qu’on ne faisoit il y a dix ans, grace à M. Fournier qui a inventé un moule pour les fondre. On les exécutoit ci-devant en cuivre rouge ou laiton ; ils étoient chers, & jamais justes. Il eût été trop long, & peut-être impossible de bien planir les lames de laiton, de l’épaisseur déterminée de quelques corps de caracteres. On n’avoit d’autre ressource que dans différentes lames d’épaisseurs inégales, qu’on ajustoit avec le moins d’inconvénient que l’on pouvoit. Le moule de M. Fournier remédie à tout cela : c’est une ma-