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cendre jusqu’au fond du moule : c’est pourquoi l’on ne se contente pas seulement d’enduire le jet d’ocre délayé, on en enduit même toute sa surface intérieure, d’une couche à la vérité la plus légere qu’on peut : mais revenons à la fonte des caracteres.

Tout étant dans cet état, le Fondeur puise avec la cuilliere à verser qu’on voit fig. 13. une quantité de métal fondu qu’il jette par l’espece d’entonnoir que nous avons dit avoir été formé par les jets. Le métal fluide descend dans le prisme vuide que laissent entre elles les faces des longues pieces & des blancs, & se répand sur la surface de la matrice dont il prend toutes les formes ; de maniere que quand on l’en tire, il est parfaitement semblable au poinçon qui a servi à la former. Il rapporte aussi en creux l’impression du demi-cylindre ab, fixé à une des longues pieces, & dont nous avons parlé plus haut. Ce creux qu’on appelle cran, doit toûjours être à la face qui répond à la partie supérieure de la lettre : il sert aux Imprimeurs à connoître si la lettre est du sens dont elle doit être, ou si elle est renversée. Voyez l’article Imprimerie. Les deux opérations de puiser dans le moule avec la cuilliere & de verser dans le moule, sont représentées fig. 5. & 6. de la vignette.

Il y a ici une chose importante à observer ; c’est que dans le même instant que l’on verse la matiere dans le moule, on doit donner à celui-ci une secousse en-haut, afin que la matiere qui descend en sens contraire, frappe avec plus de force le fond de la matrice, & en prenne mieux l’empreinte.

Après que l’ouvrier a versé son métal, il remet sa cuilliere sur le fourneau, & il se dispose à ouvrir le moule : pour cet effet, il commence par déplacer l’arc ou archet, ou le ressort de l’entaille de la matrice, & le placer dans un cran fait au bois sous le heurtoir. Il ouvre le moule en séparant les deux moitiés ; & s’il arrive que la lettre reste adhérente à l’une des moitiés, il la détache avec le crochet qui est fixé sur l’autre, ce qui s’appelle décrocher. C’est ce qu’exécute la fig. 8. de la vignette : après quoi il referme le moule, replace l’arc sous la matrice, verse de la matiere, & recommence la même opération jusqu’à trois ou quatre mille fois dans un seul jour.

Il ne faut pas s’imaginer que la lettre au sortir du moule soit achevée, du moins quant à ce qui regarde son corps ; car pour le caractere il est parfait ; il est beau ou laid, selon que le poinçon qui a servi à former la matrice a été bien ou mal gravé.

Quelle que soit la figure d’un caractere, les contre-poinçons, les poinçons, les matrices, &c. la fonte en est la même ; & il n’y a dans toutes ces opérations aucune différence de l’Arabe, au Grec, au François, à l’Hébreu, &c.

La lettre apporte avec elle au sortir du moule une éminence de matiere de forme pyramidale, adhérente par son sommet au pié de la lettre. Cette partie de matiere qu’on appelle jet, est formée de l’excédent de la matiere nécessaire à former les caracteres, qu’on a versée dans le moule. On la sépare facilement du corps de la lettre, au moyen de l’étranglement que les plans inclinés des parties du moule appellées jets, y ont formé, ainsi que nous avons dit plus haut, & qu’on voit fig. 2. Planche II. D’ailleurs la composition que l’addition de l’antimoine rend cassante, presque comme de l’acier trempé, facilite cette séparation ; le jet séparé de la lettre s’appelle rompure.

Après que toutes les lettres sont rompues, c’est-à-dire, qu’on en a séparé les jets, qui se remettent à la fonte ; on les frotte sur une meule de grès qu’on voit fig. 7. Pl. III. & qu’on appelle pierre à frotter. Cette meule a depuis quinze jusqu’à vingt-cinq pouces de diametre ; elle est de la même sorte que celles dont se servent les Coûteliers pour émoudre. Pour la rendre propre à l’opération du Fondeur en caractere, on

en prend deux qu’on met à plat l’une sur l’autre ; on répand entre elles du sable de riviere, puis on les meut circulairement, répandant de tems en tems de nouveau sable, jusqu’à ce que les petites éminences qui sont à ces pierres soient grugées, & qu’on ait rendu leurs surfaces planes & unies. Le sable en dressant les grès ou meules, ne les polit pas ; il y laisse toûjours de petits grains qui servent à enlever aux caracteres les bavûres qui leur viennent de la fonte.

On ne peut pas frotter toutes les lettres ; il y en a, mais en plus grand nombre dans l’italique que dans le romain, dont une partie de la figure excede le corps du côté qu’on frotte. Il est évident que si on les frottoit, la pierre emporteroit cette partie, & estropieroit la lettre : c’est pourquoi on commence par la dégager légerement, & par en enlever un peu de matiere avec un canif, afin qu’elle puisse se loger facilement dans l’espace vuide que lui présentera une lettre voisine. Cette operation par laquelle on dégage la partie saillante au canif, s’appelle crener.

Après que la lettre est crenée, on la ratisse & on emporte avec le canif tout ce qu’il y a d’étranger au corps depuis l’œil jusqu’au pié. Ces deux opérations suppléent au frottement ; les lettres crenées & ratissées s’accolent & se joignent aussi-bien que si elles avoient été frottées. Les deux faces du caractere que l’on frotte sur la meule, sont celles qui s’appliquent aux blancs du moule, quand on y verse le métal ; on donne cette façon à ces faces pour en enlever le morfil ou la vive arrête occasionnée tant par la face du blanc d’une des moitiés, que par celle de la longue piece de l’autre moitié.

Lorsque les lettres ont été frottées ou crenées & ratissées, on les arrange sur un composteur ; le composteur qu’on voit fig. 5. Pl. III. de la Fonderie des caracteres, est une regle de bois entaillée, comme on voit, sur laquelle on arrange les caracteres la lettre en-haut, & tous les crans tournés du même côté ; ensorte qu’on a tous les a, rangés en cette maniere, a, a, a, a, a, a, & non en celle-ci ava, vav, & ainsi des autres lettres : c’est ce que l’inspection des crans indiquera facilement. Les caracteres ainsi rangés dans le composteur sont transportés sur la regle de fer AB du justifieur, fig. 3. même Planche ; on les y place de maniere que leur pié soit en-haut, & que le caractere porte sur la face horisontale du justifieur, qui n’est lui-même, comme on voit, qu’un composteur de fer. A cette regle, on en applique une autre CD, qui a un épaulement en C, comme celui que l’on voit en B de la premiere piece fig. 3. cette regle a de plus en C & D, de petites languettes qui entrent dans les mortoises a & b de la figure 3, ensorte que, quand les deux regles fig. 3. & 4. sont appliquées l’une sur l’autre, elles enferment exactement la rangée de caracteres placée sur la premiere regle ; ainsi il n’y a que les piés des lettres qui excedent d’environ une ligne au-dessus des regles de fer, qui forment le justifieur.

Le justifieur ainsi garni d’une rangée de caracteres, est placé entre les deux jumelles A B, C D du coupoir qu’on voit fig. 1. Planche III. Le coupoir est une sorte d’établi très-solide : sur sa table sont fortement fixées la jumelle AB, qui est une planche d’un bon pouce d’épaisseur, & la barre de fer FE, qui a un crochet E & un crochet F à chacune de ses extrémités. Le crochet F est taraudé & reçoit une vis, au moyen de laquelle on peut faire avancer la seconde regle du justifieur, que nous avons décrite ci-dessus.

Les deux regles du justifieur sont serrées l’une contre l’autre par l’autre jumelle CD, représentée par sa partie inférieure dans la fig. 2. AB, CD sont deux fortes barres de fer, dont les crochets A, C, entrent dans la table du coupoir, BD est une autre