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dont il étoit seigneur : cette découverte donna lieu à plusieurs autres de même espece, dans les mêmes bois de la Capestere de cette île ; & c’est apparemment aux graines qu’on en tira que les cacaoyeres qu’on y a depuis plantées doivent leur origine. Un Juif nommé Benjamin y planta la premiere vers l’année 1660 : mais ce ne fut que vingt ou vingt-cinq ans après, que les habitans de la Martinique commencerent à s’appliquer à la culture du cacao, & à planter des cacaoyeres.

On appelle une cacaoyere, une espece de verger d’arbres de cacao plantés au cordeau, à peu près comme nous disons en France une cerisaie, une pommeraie, une prunelaie, une figuerie, &c.

Lorsqu’on veut planter une cacaoyere, il faut surtout choisir la situation du lieu, & la nature du terroir qui lui conviennent.

Le cacaoyer demande un lieu plat, humide, & à l’abri des vents ; une terre neuve, & pour ainsi dire vierge, médiocrement grasse, meuble & profonde ; c’est pourquoi les fonds nouvellement défrichés, dont la terre est noire & sabloneuse, qu’une riviere tient frais, & que les côteaux ou mornes d’alentour (pour parler le langage du pays) mettent à couvert des vents, sur-tout du côté de la mer, sont préférables à toute autre situation ; & l’on ne manque guere de les mettre à cet usage, quand on est assez heureux pour en avoir de semblables.

J’entends par fonds nouvellement défrichés, ceux dont le bois vient d’être abattu exprès pour cela ; car il faut remarquer qu’on place encore aujourd’hui toutes les cacaoyeres au milieu des bois, de même qu’on a fait depuis la création du monde ; & cela pour deux raisons très-essentielles ; la premiere, afin que le bois debout qui reste autour leur serve d’abri ; & la seconde, afin qu’elles donnent moins de peine à sarcler, la terre qui n’a jamais produit d’herbe n’en poussant que peu faute de graines.

Aux cacaoyeres plantées sur des éminences, la terre n’a ni assez d’humidité ni assez de profondeur, & ordinairement le pivot ou la maîtresse racine, qui seule s’enfonce à plomb dans la terre, ne peut percer le tuf qu’elle rencontre bien-tôt : les vents d’ailleurs y ont plus de prise, font couler les fleurs noüées, & pour peu qu’ils soient forts, abattent les arbres dont presque toutes les racines sont superficielles.

C’est encore pis aux côteaux dont la pente est un peu rude ; car outre les mêmes inconvéniens, les avalaisons en entraînent la bonne terre, & découvrent insensiblement toutes les racines.

On peut donc conclurre que toutes ces sortes de cacaoyeres sont long-tems à porter, qu’elles ne sont jamais abondantes, & qu’elles se ruinent en peu de tems.

Il est bon aussi (autant qu’il est possible) qu’une cacaoyere soit entourée de bois debout ; ou s’il y a quelque côté d’ouvert, on doit y remédier de bonne heure par une lisiere à plusieurs rangs de bananiers.

Il faut encore qu’une cacaoyere soit d’une grandeur médiocre ; car les petites, surtout dans les fonds, n’ont pas assez d’air, & sont comme étouffées ; & les grandes jusqu’à l’excès sont trop exposées à la secheresse & aux grands vents qu’on nomme ouragans en Amérique.

La place de la cacaoyere étant choisie, & les dimensions déterminées, on se met à abattre le bois : on commence par arracher les petites plantes, & à couper les arbrisseaux & le menu bois ; puis on tronçonne les tiges & les grosses branches des petits arbres, & des médiocres ; on fait des bûchers & on allume des feux de toutes parts ; on brûle même sur pié les plus gros arbres, pour s’épargner la peine de les couper.

Lorsque tout est brûlé, qu’il ne reste plus sur la terre que les troncs des plus grands arbres qu’on néglige de faire consumer, & que l’abattis se trouve parfaitement nettoyé, on dresse au cordeau des allées équidistantes & paralleles, où l’on plante en quinconce des piquets de deux à trois piés de long, à l’intervalle de 5. 6. 7. 8. 9. ou 10 piés, en un mot, à telle distance qu’on a résolu de donner aux cacaoyers qu’ils représentent. Enfin on fait une piece de manioc de tout l’espace défriché, prenant garde de n’en planter aucun pié trop près des piquets.

On observera que les cacaoyeres plantées à grandes distances de 8. 9. & 10 piés donnent bien plus de peine à tenir nettes dans les premieres années (comme nous dirons dans la suite) : mais aussi quand elles sont dans de bons fonds, elles réussissent mieux de cette sorte, rapportent & durent beaucoup plus.

Les habitans qui sont pressés de leurs besoins, plantent plus près les arbres, parce que cela augmente considérablement le nombre des piés, & diminue en même tems le travail de les tenir nets. Quand dans la suite les arbres viennent à se nuire réciproquement par leur proximité, ils ont déja recueilli quelques levées de cacao, qui ont pourvû à leurs nécessités les plus urgentes ; & au pis aller ils coupent alors une partie des arbres pour donner de l’air au reste.

A la côte de Caraque, on plante les cacaoyers à 12 & 15 piés d’intervalle, & l’on pratique des rigoles de tems en tems pour les arroser dans les grandes sécheresses : on a fait aussi une heureuse expérience de cette pratique à la Martinique depuis quelques années.

Au reste le manioc est un arbuste dont les racines gragées & cuites sur le feu, fournissent la cassave & la farine qui servent de pain à tous les habitans naturels de l’Amérique. On en plante dans les nouveaux abattis, non-seulement parce qu’il en faut nécessairement à un habitant pour la nourriture de ses negres, mais aussi pour diminuer la production des mauvaises herbes, & pour mettre à l’ombre les piés de cacao qui levent, dont la plume tendre ni même les secondes feuilles ne pourroient résister à l’ardeur excessive du soleil : c’est pourquoi on attend que le manioc puisse ombrager le pié des piquets, avant que de planter le cacao.

De la maniere de planter une cacaoyere, & de la cultiver jusqu’à la maturité des fruits. Tout le cacao se plante de graine, le bois de cet arbre ne prenant point de bouture. On ouvre une cosse de cacao, & à mesure qu’on en a besoin, on en tire les amandes, & on les plante une à une, commençant, par exemple, par le premier piquet, on l’arrache & avec une sorte de houlette de fer bien affilée, ayant fait une espece de petit labour, & coupé, en béquillant tout autour, les petites racines qui pourroient nuire, on plante la graine à trois ou quatre pouces de profondeur, & l’on remet le piquet un peu à côté pour servir de marque ; & ainsi de piquet en piquet, & de rang en rang, on parcourt toute la cacaoyere.

Il faut observer, 1o. de ne point planter dans les tems secs ; on le peut à la vérité tous les mois, & toutes les lunes vieilles ou nouvelles ; lorsque la saison est fraiche, & que la place est prête : mais on croit communément que plantant depuis le mois de Septembre jusqu’aux fêtes de Noël, les arbres rapportent plûtôt de quelques mois.

2o. De ne planter que de grosses amandes, & bien nourries ; car, puisque dans les plus belles cosses il se trouve des graines avortées, il y auroit de l’imprudence de les employer.

3o. De planter le gros bout des graines en bas, c’est celui-là qui tient par un petit filet au centre de la cosse quand on tire l’amande en dehors. Si on plan-