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sieurs mondes, & que ces mondes sont sortis de Dieu par voie d’émanation. Ils sont composés de lumiere. Cette lumiere divine étoit fort subtile dans sa source : mais elle s’est épaissie peu-à-peu à proportion qu’elle s’est éloignée de l’Être souverain, auquel elle étoit originairement attachée.

Dieu voulant donc créer l’univers, il y trouva deux grandes difficultés. Premierement tout étoit plein, car la lumiere éclatante & subtile (Introduct. ad lib. Zohar. sect. I. Cab. denud. tom. III.) qui émanoit de l’Essence divine, remplissoit toutes choses : il falloit donc former un vuide pour placer les émanations & l’univers. Pour cet effet, Dieu pressa un peu la lumiere qui l’environnoit, & cette lumiere comprimée se retira aux côtés, & laissa au milieu un grand cercle vuide, dans lequel on pouvoit situer le monde. On explique cela par la comparaison d’un homme qui se trouvant chargé d’une robe longue la retrousse. On allegue l’exemple de Dieu qui changea de figure, ou la maniere de sa présence sur le mont Sinaï, & dans le buisson ardent. Mais toutes ces comparaisons n’empêchent pas qu’il ne reste une idée de substance sensible en Dieu. Il n’y a que les corps qui puissent remplir un lieu, & qui puissent être comprimés.

On ajoûte que ce fut pour l’amour des justes & du peuple saint, que Dieu fit ce resserrement de lumiere. Ils n’étoient pas encore nés, mais Dieu ne laissoit pas de les avoir dans son idée. Cette idée le réjoüissoit ; & ils comparent la joie de Dieu qui produisit les points, & ensuite les lettres de l’alphabet, & enfin les récompenses & les peines, au mouvement d’un homme qui rit de joie.

La lumiere qui émanoit de l’Essence divine, faisoit une autre difficulté, car elle étoit trop abondante & trop subtile pour former les créatures. Afin de prévenir ce mal, Dieu tira une longue ligne, qui descendant dans les parties basses, tantôt d’une maniere droite, & tantôt en se recourbant, pour faire dix cercles ou dix séphirots, servit de canal à la lumiere. Elle se communiqua d’une maniere moins abondante ; & s’épaississant à proportion qu’elle s’éloignoit de son centre, & descendant par le canal, elle devenoit plus propre à former les esprits & les corps.

La premiere émanation, plus parfaite que les autres, s’appelle Adam Kadmon, le premier de tout ce qui a été créé au commencement. Son nom est tiré de la Genese, où Dieu dit : faisons l’homme ou Adam à notre image ; & on lui a donné ce nom, parce que comme l’Adam terrestre est un petit monde, celui du ciel est un grand monde ; comme l’homme tient le premier rang sur la terre, l’Adam céleste l’occupe dans le ciel ; comme c’est pour l’homme que Dieu a créé toutes choses, l’Eternel a possedé l’autre dès le commencement, avant qu’il fît aucune de ses œuvres, & dès les tems anciens. (Prov. ch. viij. vers. 22.) Enfin, au lieu qu’en commençant par l’homme (Abraham Cohen Iriræ philosoph. Cab. dissert. VI. cap. vij.) on remonte par degrés aux intelligences supérieures jusqu’à Dieu ; au contraire, en commençant par l’Adam céleste qui est souverainement élevé, on descend jusqu’aux créatures les plus viles & les plus basses. On le représente comme un homme qui a un crane, un cerveau, des yeux, & des mains ; & chacune de ses parties renferme des mysteres profonds. La sagesse (Apparatus in lib. Zohar. figurâ primâ, pag. 195.) est le crane du premier Adam, & s’étend jusqu’aux oreilles ; l’intelligence est son oreille droite ; la prudence fait son oreille gauche ; ses piés ne s’allongent pas au-delà d’un certain monde inférieur, de peur que s’ils s’étendoient jusqu’au dernier ils ne touchassent à l’infini, & qu’il ne devînt lui-même in fini. Sur son diaphragme est un amas de lumiere qu’il y a condensée : mais une autre partie s’est échappée par les yeux & par les oreilles. La

ligne qui a servi de canal à la lumiere, lui a communiqué avec l’intelligence & la bonté, le pouvoir de produire d’autres mondes. Le monde de cet Adam premier est plus grand que tous les autres ; ils reçoivent de lui leurs influences, & en dépendent. Les cercles qui forment sa couronne, marquent sa vie & sa durée, que Plotin & les Egyptiens ont représentée par un cercle, ou par une couronne.

Comme tout ce qu’on dit de cet Adam premier semble convenir à une personne, quelques Chrétiens interprétant la Cabale, ont cru qu’on désignoit par là Jesus-Christ, la seconde personne de la Trinité. Ils se sont trompés ; car les Cabalistes (Abraham Cohen Iriræ philosoph. Cab. dissert. IV. cap. vij.) donnent à cet Adam un commencement : ils ont même placé un espace entre lui & l’infini, pour marquer qu’il étoit d’une essence différente, & fort éloigné de la perfection de la cause qui l’avoit produit ; & malgré l’empire qu’on lui attribue pour la production des autres mondes, il ne laisse pas d’approcher du néant, & d’être composé de qualités contraires : d’ailleurs les Juifs qui donnent souvent le titre de fils à leur Seir-Anpin, ne l’attribuent jamais à Adam Kadmon qu’ils élevent beaucoup au-dessus de lui.

On distingue quatre sortes de mondes, & quatre manieres de création.

1.o Il y a une production par voie d’émanation ; & ce sont les séphirots & les grandes lumieres qui ont émané de Dieu, & qui composent le monde Azileutique : c’est le nom qu’on lui donne. Ces lumieres sont sorties de l’Être infini, comme la chaleur sort du feu, la lumiere du soleil, & l’effet de la cause qui le produit. Ces émanations sont toûjours proche de Dieu, où elles conservent une lumiere plus vive & plus subtile ; car la lumiere se condense & s’épaissit à proportion qu’on s’éloigne de l’Être infini.

Le second monde s’appelle Briathique, d’un terme qui signifie dehors, ou détacher. On entend par là le monde ou la création des ames qui ont été détachées de la premiere cause, qui en sont plus éloignées que les sephirots, & qui par conséquent sont plus épaisses & plus ténébreuses. On appelle ce monde le throne de la gloire, & les séphirots du monde supérieur y versent leurs influences.

Le troisieme degré de la création regarde les anges. On assûre (Philos. Cabb. diss. I. cap. xvij.) qu’ils ont été tirés du néant dans le dessein d’être placés dans des corps célestes, d’air ou de feu ; c’est pourquoi on appelle leur formation Jesirah, parce que ces esprits purs ont été formés pour une substance qui leur étoit destinée. Il y avoit dix troupes de ces anges. A leur tête étoit un chef nommé Métraton, élevé au-dessus d’eux, contemplant incessamment la face de Dieu, leur distribuant tous les jours le pain de leur ordinaire. Ils tirent de lui leur vie & leurs autres avantages ; c’est pourquoi tout l’ordre angélique a pris son nom.

Enfin Dieu créa les corps qui ne subsistent point par eux-mêmes comme les ames, ni dans un autre sujet, comme les anges. Ils sont composés d’une matiere divisible, changeante ; ils peuvent se détruire, & c’est cette création du monde qu’ils appellent Asiah. Voilà l’idée des Cabalistes, dont le sens est que Dieu a formé différemment les ames, les anges, & les corps ; car pour les émanations, ou le monde Azileutique, ce sont les attributs de la divinité qu’ils habillent en personnes créées, ou des lumieres qui découlent de l’Etre infini.

Quelques bisarres que soient toutes ces imaginations, on a tâché de justifier les visionnaires qui les ont enfantées, & ce sont les Chrétiens qui se chargent souvent de ce travail pour les Juifs. Mais il faut avoüer qu’ils ne sont pas toûjours les meilleurs interpretes de la Cabale. Ils pensent toûjours à la Tri-