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plusieurs especes, & tiennent pour la plûpart de l’histoire & de la fable.

On exprime par les uns les choses naturelles, comme les ballets de la nuit, des saisons, des tems, des âges, &c. d’autres sont des allégories qui renferment un sens moral, comme le ballet des proverbes, celui des plaisirs troublés, celui de la mode, des aveugles, de la curiosité, &c.

Il y en a eu quelques-uns de pur caprice, comme le ballet des postures, & celui de bicêtre ; quelques autres n’ont été que des expressions naïves de certains évenemens communs, ou de certaines choses ordinaires. De ce nombre étoient les ballets des cris de Paris, de la foire S. Germain, des passe-tems, du carnaval, &c. Enfin l’histoire, la fable, l’allégorie, les romans, le caprice, l’imagination, sont les sources dans lesquelles on a puisé les sujets des grands ballets. On en a vû de tous ces genres différens réussir, & faire honneur à leurs différens inventeurs.

Ce spectacle avoit des regles particulieres, & des parties essentielles & intégrantes, comme le poëme épique & dramatique.

La premiere regle est l’unité de dessein. En faveur de la difficulté infinie qu’il y avoit à s’assujettir à une contrainte pareille, dans un ouvrage de ce genre, il fut toûjours dispensé de l’unité de tems & de l’unité de lieu. L’invention ou la forme du ballet est la premiere de ses parties essentielles : les figures sont la seconde : les mouvemens la troisieme : la Musique qui comprend les chants, les ritournelles, & les symphonies, est la quatrieme : la décoration & les machines sont la cinquieme : la Poësie est la derniere ; elle n’étoit chargée que de donner par quelques récits les premieres notions de l’action qu’on représentoit.

Leur division ordinaire étoit en cinq actes, & chaque acte étoit divisé en 3, 6, 9, & quelquefois 12 entrées.

On appelle entrée une ou plusieurs quadrilles de danseurs, qui par leur danse représentent la partie de l’action dont ils sont chargés. Voyez Entrée.

On entend par quadrille, 4, 6, 8, & jusqu’à 12 danseurs vêtus uniformément, ou de caracteres différens, suivant l’exigence des cas. Voyez Quadrille. Chaque entrée étoit composée d’une ou plusieurs quadrilles, selon que l’exigeoit le sujet.

Il n’est point de genre de danse, de sorte d’instrumens, ni de caractere de symphonie, qu’on n’ait fait entrer dans les ballets. Les anciens avoient une singuliere attention à employer des instrumens différens à mesure qu’ils introduisoient sur la scene de nouveaux caracteres ; ils prenoient un soin extrème à peindre les âges, les mœurs, les passions des personnages qu’ils mettoient devant les yeux.

A leur exemple dans les grands ballets exécutés dans les différentes cours de l’Europe, on a eu l’attention de mêler dans les orchestres, les instrumens convenables aux divers caracteres qu’on a voulu peindre ; & on s’est attaché plus ou moins à cette partie, selon le plus ou le moins de goût de ceux qui en ont été les inventeurs, ou des souverains pour lesquels on les a exécutés.

On croit devoir rapporter ici en abrégé deux de ces grands ballets, l’un pour faire connoître les fonds, l’autre pour faire appercevoir la marche théatrale de ces sortes de spectacles. C’est du savant traité du P. Ménétrier Jésuite, qu’on a extrait le peu de mots qu’on va lire.

Le gris de lin étoit le sujet du premier ; c’étoit la couleur de Madame Chrétienne de France, duchesse de Savoie, à laquelle la fête étoit donnée.

Au lever de la toile l’Amour déchire son bandeau ; il appelle la lumiere, & l’engage par ses chants à se répandre sur les astres, le ciel, l’air, la terre, & l’eau, afin qu’en leur donnant par la variété des cou-

leurs mille beautés différentes, il puisse choisir la plus

agréable.

Junon entend les vœux de l’Amour, & les remplit ; Iris vole par ses ordres dans les airs, elle y étale l’éclat des plus vives couleurs. L’Amour frappé de ce brillant spectacle, après l’avoir consideré, se décide pour le gris de lin, comme la couleur la plus douce & la plus parfaite ; il veut qu’à l’avenir il soit le symbole de l’amour sans fin. Il ordonne que les campagnes en ornent les fleurs, qu’elle brille dans les pierres les plus précieuses, que les oiseaux les plus beaux en parent leur plumage, & qu’elle serve d’ornement aux habits les plus galans des mortels.

Toutes ces choses différentes animées par la danse, embellies par les plus éclatantes décorations, soûtenues d’un nombre fort considérable de machines surprenantes, formerent le fonds de ce ballet, un des plus ingénieux & des plus galans qui ayent été représentés en Europe.

On donna le second à la même cour en 1634, pour la naissance du cardinal de Savoie. Le sujet de ce ballet étoit la Verita nemica della apparenza sollevata dal tempo.

Au lever de la toile on voyoit un chœur de Faux Bruits & de Soupçons, qui précedoient l’Apparence & le Mensonge.

Le fond du théatre s’ouvrit. Sur un grand nuage porté par les vents, on vit l’Apparence vêtue d’un habit de couleurs changeantes, & parsemé de glaces de miroir, avec des aîles, & une queue de paon ; elle paroissoit comme dans une espece de nid d’où sortirent en foule les Mensonges pernicieux, les Fraudes, les Tromperies, les Mensonges agréables, les Flatteries, les Intrigues, les Mensonges bouffons, les Plaisanteries, les jolis petits Contes.

Ces personnages formerent les différentes entrées, après lesquelles le Tems parut. Il chassa l’Apparence, il fit ouvrir le nuage sur lequel elle s’étoit montrée. On vit alors une grande horloge à sable, de laquelle sortirent la Vérité, & les Heures. Ces derniers personnages, après différens récits analogues au sujet, formerent les dernieres entrées, qu’on nomme le grand ballet.

Par ce court détail, on voit que ce genre de spectacle réunissoit toutes les parties qui peuvent faire éclater la magnificence & le goût d’un souverain ; il exigeoit beaucoup de richesse dans les habits, & un grand soin pour qu’ils fussent toûjours du caractere convenable. Il falloit des décorations en grand nombre, & des machines surprenantes. Voyez Décoration, & Machine.

Les personnages d’ailleurs du chant & de la danse en étoient presque toûjours remplis par les souverains eux-mêmes, les seigneurs & les dames les plus aimables de leur cour ; & souvent à tout ce qu’on vient d’expliquer, les princes qui donnoient ces sortes de fêtes ajoûtoient des présens magnifiques pour toutes les personnes qui y représentoient des rôles ; ces présens étoient donnés d’une maniere d’autant plus galante, qu’ils paroissoient faire partie de l’action du ballet. Voyez Sapate.

En France, en Italie, en Angleterre, on a représenté une très-grande quantité de ballets de ce genre : mais la cour de Savoie semble l’avoir emporté dans ces grands spectacles sur toutes les cours de l’Europe. Elle avoit le fameux comte d’Aglié, le génie du monde le plus fécond en inventions théatrales & galantes. Le grand art des souverains en toutes choses est de savoir choisir ; la gloire d’un regne dépend presque toûjours d’un homme mis à sa place, ou d’un homme oublié.

Les ballets représentés en France jusqu’en l’année 1671, furent tous de ce grand genre. Louis XIV. en fit exécuter plusieurs pendant sa jeunesse, dans lesquels