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avoient chacun un pouce d’épaisseur, & les deux bouts en avoient chacun deux, afin d’y bien attacher les autres avec force clous : on avoit rempli ce vaisseau par une petite ouverture ; les ais furent percés par la balle sans en être brisés : mais l’eau s’en tourmenta de maniere qu’elle fit écarter ces ais les uns des autres, & que la caisse fut rompue.

Il fallut donc pour obtenir un résultat exact sur la réfraction, recommencer les expériences dans un bassin de pierre : on en prit un dont la longueur intérieure étoit de trois piés trois pouces, la largeur d’un pié huit pouces, & la profondeur d’un pié & un pouce ; on fit placer à son côté le plus éloigné un ais pour recevoir les balles ; un autre ais vertical & pareil à celui-là occupoit le milieu du bassin ; & au-dessus du côté le plus voisin du tireur, un carton : l’arquebuse étoit arrêtée fixe à huit piés du bassin. La balle a percé le carton : mais elle est tombée applatie, à peu près comme une piece de douze sols, entre le carton & le premier ais. Au second coup, la balle s’est divisée en trois morceaux applatis, sans avoir atteint le premier ais. On a tiré deux autres coups avec une forte charge, sans trouver de balles dans le fond du bassin ni contre les ais : ces balles avoient près de quatre lignes de diametre ; elles étoient faites exprès pour l’arquebuse, & ne pouvoient entrer dans le canon qu’en les poussant avec une baguette de fer.

On a mis dans un réservoir de 10 piés en quarré deux ais paralleles entre eux & à l’horison, & à un pié de distance l’un de l’autre : celui de dessus ne faisant qu’un même plan avec la surface de l’eau, on a tiré deux coups sur cet ais, sous un angle de 30 degrés, avec une égale charge de poudre ; le premier avec une arquebuse dont le canon avoit trois piés deux pouces six lignes de long, & la balle trois lignes de diametre ; le second avec un fusil dont le canon avoit trois piés dix pouces trois lignes de long, & la balle sept lignes de diametre : la grosse balle a percé les deux ais, & traversé par conséquent toute l’étendue de l’eau qui étoit entre eux ; au lieu que la petite n’a percé que l’ais supérieur, & s’est arrêtée applatie sur l’ais inférieur : d’où l’on a conclu que le fusil étoit plus propre pour l’expérience de la réfraction que l’arquebuse.

On a attaché au-dessus du bassin de pierre qu’on a décrit plus haut, un fusil sur deux appuis fixes, dont l’un étoit à cinq & l’autre à sept piés de distance du bassin : on l’a assûré & rendu immobile sur ces appuis : il faisoit avec l’horison, ou la surface de l’eau ou du bassin, un angle de vingt degrés ; il étoit chargé du poids de trois deniers vingt grains de poudre, avec une balle de sept lignes de diametre, qui pesoit dix-sept deniers six grains. La balle a percé le carton, le premier ais, & s’est arrêtée dans le second : on a vuidé l’eau, & les centres des trois trous se sont trouvés exactement dans la même direction.

La même expérience réitérée a donné la même chose : en augmentant la charge, on a remarqué que la balle entroit moins ; & chassée par sept deniers six grains de poudre, elle s’est applatie d’un côté, & a peu frappé l’ais du milieu.

Chassée de l’arquebuse avec la même charge, elle s’est divisée en deux parties, chacune inégalement applatie, sans avoir touché l’ais du milieu. Chassée de la même arme avec la moitié de la charge, elle n’a point atteint l’ais du milieu, & n’a perdu que peu de sa sphéricité.

Une balle de sept lignes poussée avec une forte charge dans un réservoir de 40 piés de diametre, profond de six piés, contre un linge parallelement étendu à la surface de l’eau, à deux piés de profondeur, est restée sur ce linge applatie, mais fort inégalement.

La balle de même calibre, chassée de la même arme avec un tiers de poudre de plus, s’est divisée en plusieurs petits morceaux de la grosseur d’une lentille, & diversement figurés.

La balle tirée perpendiculairement à la surface de l’eau, s’est applatie assez régulierement.

Quand on tire dans l’eau, il s’en éleve une quantité plus ou moins grande, & plus ou moins haut, selon la charge : quand la charge est forte, l’eau s’éleve jusqu’à vingt piés.

La balle de sept lignes chassée par quatre deniers de poudre ou environ, entre assez avant dans l’eau sans perdre de sa sphéricité ; chassée par huit deniers de poudre, elle en perd la moitié ; par douze deniers, elle la perd entierement ; & par seize, elle se divise en plusieurs parties.

D’où il s’ensuit 1°. que la commotion communiquée à l’eau par la balle est très-considérable ; en effet si l’on tire sur une riviere, on en sentira le rivage ébranlé sous ses piés : 2°. que plus la charge est forte, moins la balle fait de progrès dans l’eau : 3°. qu’il n’y a point de réfraction sensible : 4°. par conséquent qu’il ne faut tirer dans l’eau, ni au-dessous ni au-dessus de l’objet qu’on veut atteindre : 5°. qu’il ne faut employer qu’une petite charge.

Mais on sait qu’une balle qui passe à-travers un morceau de bois mobile sur des gonds, & fort épais, ne se défigure presque pas, & ne lui communique aucune impulsion ; tandis qu’il est constant par les expériences qui précedent, qu’elle s’applatit sur l’eau, & occasionne une grande commotion à tout le rivage. D’où vient, peut-on demander, la difference de ces phénomenes ? l’eau seroit-elle plus difficile à diviser que le bois ?

Voici comment je pense qu’on pourroit répondre à cette objection : qu’un corps mû ne communique du mouvement, au moins de translation, à un autre, qu’autant que cet autre lui résiste ou s’oppose à son mouvement. Ayez un corps, même mou, rendez-le résistant, & aussi-tôt vous lui communiquerez beaucoup de mouvement, & à tout ce qui l’environnera. Si vous enfoncez doucement un bâton dans l’eau, vous la diviserez sans peine, & presque sans l’agiter ; si vous la frappez avec impétuosité, vous donnez lieu à son élasticité, & en même tems à sa résistance ; vous lui communiquez beaucoup de mouvement, mais vous ne la divisez pas : voilà pour le corps fluide. Quant au corps solide, ce corps solide ne peut résister à la balle qui vient le frapper, que par l’adhésion de ses parties : si l’adhésion de ces parties n’est rien relativement à la vîtesse de la balle qui le vient frapper, il est évident qu’il ne peut être mû d’un mouvement de translation, parce que rien ne résiste à la balle. Qu’on suppose une porte ouverte percée d’un trou couvert d’une toile d’araignée ; si j’applique mon doigt contre les endroits solides de la porte, ces endroits résistant à son impulsion, la porte tournera sur les gonds & se fermera : mais elle restera immobile avec quelque vîtesse que je porte mon doigt contre elle, si je l’applique contre la toile d’araignée : or tout le tissu de la porte devient toile d’araignée, relativement à la vîtesse d’une balle chassée par un fusil ; & l’adhésion des parties n’est pas assez grande pour donner lieu à l’élasticité.

Mais on pourra demander encore pourquoi l’élasticité de l’eau frappée avec vîtesse a plûtôt lieu, quoique ses molécules n’ayent presqu’aucune adhérence entr’elles, que l’élasticité du bois dont les molécules tiennent les unes aux autres très-fortement. Il faut, je croi, recourir ici à la densité, à la constitution particuliere des corps ; & de ces deux causes, la derniere & la principale nous est malheureusement très-peu connue.

Balle à feu, est dans l’Artillerie, un amas d’arti-