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qui étoient dans la bibliotheque du cardinal Mazarin. Dans le nombre de ces manuscrits, qui étoit de 2156, il y en avoit 102 en langue Hébraïque, 343 en Arabe, Samaritain, Persan, Turc, & autres langues Orientales ; le reste étoit en langue Greque, Latine, Italienne, Françoise, Espagnole, &c. Les livres imprimés étoient au nombre de 3678. La bibliotheque du Roi s’enrichit encore peu après par l’acquisition que l’on fit à Leyde d’une partie des livres du savant Jacques Golius, & par celle de plus de 1200 volumes manuscrits ou imprimés de la bibliotheque de M. Gilbert Gaumin, doyen des maîtres des requêtes, qui s’étoit particulicrement appliqué à l’étude & à la recherche des livres Orientaux.

Ce n’étoit pas seulement à Paris & chez nos voisins que M. Colbert faisoit faire des achats de livres pour le Roi ; il fit rechercher dans le Levant les meilleurs manuscrits anciens en Grec, en Arabe, en Persan, & autres langues Orientales. Il établit dans les différentes cours de l’Europe des correspondances, au moyen desquelles ce ministre vigilant procura à la bibliotheque du Roi des thresors de toute espece.

L’année 1670 vit établir dans la bibliotheque Royale un fonds nouveau, bien capable de la décorer & d’éterniser la magnificence de Louis XIV : ce sont les belles estampes que sa Majesté fit graver, & qui servent encore aujourd’hui aux présens d’estampes que le Roi fait aux princes, aux ministres étrangers, & aux personnes de distinction qu’il lui plaît d’en gratifier. La bibliotheque du Roi perdit M. Colbert en 1683. M. de Louvois, comme surintendant des bâtimens, y exerça la même autorité que son prédécesseur, & acheta de M. Bignon, conseiller d’état, la charge de maître de la Librairie, à laquelle fut réunie celle de garde de la Librairie, dont s’étoient démis volontairement MM. Colbert. Les provisions de ces deux charges réunies furent expédiées en 1684, en faveur de Camille le Tellier, qu’on a appellé l’abbé de Louvois.

M. de Louvois fit, pour procurer à la bibliotheque du Roi de nouvelles richesses, ce qu’avoit fait M. Colbert. Il y employa nos ministres dans les cours étrangeres ; & en effet on en reçut dans les années 1685, 1686, 1687, pour des sommes considérables. Le pere Mabillon qui voyageoit en Italie, fut chargé par le Roi d’y rassembler tout ce qu’il pourroit de livres : il s’acquitta de sa commission avec tant de zele & d’exactitude, qu’en moins de deux ans il procura à la bibliotheque Royale près de 4000 volumes imprimés.

La mort de M. de Louvois arrivée en 1691, apporta quelque changement à l’administration de la bibliotheque du Roi. La charge de maitre de la Librairie avoit été exercée jusqu’alors sous l’autorité & la direction du surintendant des bâtimens : mais le Roi fit un reglement en Juillet 1691, par lequel il ordonna que M. l’abbé de Louvois joüiroit & feroit les fonctions de maitre de la Librairie, intendant & garde du cabinet des livres, manuscrits, médailles, &c. & garde de la bibliotheque Royale, sous l’autorité de sa Majesté seulement.

En 1697, le P. Bouvet, Jésuite-Missionnaire, apporta 49 volumes Chinois, que l’empereur de la Chine envoyoit en présent au Roi. C’est ce petit nombre de volumes qui a donné lieu au peu de littérature Chinoise que l’on a cultivée en France : mais il s’est depuis considérablement multiplié. Nous ne finirions pas si nous voulions entrer dans le détail de toutes les acquisitions de la bibliotheque Royale, & des présens sans nombre qui lui ont été faits. A l’avenement de Louis XIV. à la couronne, sa bibliotheque étoit tout au plus de 5000 volumes ; & à sa mort, il s’y en trouva plus de 70000, sans compter le fonds des planches gravées & des estampes : accroissement immense & qui étonneroit si l’on n’avoit vû depuis la même

bibliotheque recevoir à proportion des augmentations plus considérables.

L’heureuse inclination du Roi à protéger les lettres & les sciences, à l’exemple de son bisayeul ; l’empressement des ministres à se conformer aux vûes de sa Majesté ; l’attention du bibliothécaire & de ceux qui sont sous ses ordres à profiter des circonstances, en ne laissant, autant qu’il est en eux, échapper aucune occasion d’acquérir ; enfin la longue durée de la paix, tout semble avoir conspiré dans le cours du présent regne à accumuler richesses sur richesses dans un thresor, qui déjà du tems du feu Roi n’avoit rien qui lui fût comparable.

Parmi les livres du cabinet de Gaston d’Orléans, légués au Roi en 1660, il s’étoit trouvé quelques volumes de plante & d’animaux que ce prince avoit fait peindre en mignature sur des feuilles détachées de vélin par Nicolas Robert, dont personne n’a égalé le pinceau pour ces sortes de sujets : ce travail a été continué sous M. Colbert & jusqu’en 1728, tems auquel on a cessé d’augmenter ce magnifique recueil. Depuis quelques années il a été repris avec beaucoup de succès, & forme aujourd’hui une suite de plus de deux mille cinq cens feuilles, représentant des fleurs, des oiseaux, des animaux, & des papillons.

La bibliotheque du Roi perdit en 1718 M. l’abbé de Louvois, & M. l’abbé Bignon lui succéda. Les sciences & les lettres ne virent pas sans espérance un homme qu’elles regardoient comme leur protecteur, élevé à un poste si brillant. M. l’abbé Bignon presqu’aussi-tôt après sa nomination, se défit de sa bibliotheque particuliere pour ne s’occuper plus que de celle du Roi, à laquelle il donna une collection assez ample & fort curieuse de livres Chinois, Tartares & Indiens qu’il avoit. Il signala son zele pour la bibliotheque du Roi dès les premiers jours de son exercice, par l’acquisition des manuscrits de M. de la Marre, & ceux de M. Baluse, au nombre de plus de mille. Le grand nombre de livres dont se trouvoit composée la bibliotheque du Roi, rendoit comme impossible l’ordre qu’on auroit voulu leur donner dans les deux maisons de la rue Vivienne : M. l’abbé de Louvois l’avoit représenté plusieurs fois ; & dès le commencement de la régence il avoit été arrêté de mettre la bibliotheque dans la grande galerie du Louvre : mais l’arrivée de l’Infante dérangea ce projet, parce qu’elle devoit occuper le Louvre.

M. l’abbé Bignon en 1721 profita de la décadence de ce qu’on appelloit alors le système, pour engager M. le régent à ordonner que la bibliotheque du Roi fût placée à l’hôtel de Nevers rue de Richelieu, où avoit été la banque. Sur les ordres du prince, on y transporta sans délai tout ce que l’on pût de livres : mais les différentes difficultés qui se présenterent, furent cause qu’on ne pût obtenir qu’en 1724 des lettres patentes, par lesquelles sa Majesté affecta à perpétuité cet hôtel au logement de sa bibliotheque. Personne n’ignore la magnificence avec laquelle ont été décorés les vastes appartemens qu’occupent aujourd’hui les livres du Roi : c’est le spectacle le plus noble & le plus brillant que l’Europe offre en ce genre. M. l’abbé Sallier, professeur royal en langue Hébraïque, de l’Académie Royale des Inscriptions & Belles-lettres, l’un des quarante de l’Académie Françoise, & nommé en 1726 commis à la garde des livres & manuscrits, ainsi que M. Melot, aussi membre de l’Académie des Belles-lettres, sont de tous les hommes de lettres attachés à la bibliotheque du Roi, ceux qui lui ont rendu les plus grands services. La magnificence des bâtimens est dûe, pour la plus grande partie, à leurs sollicitations : le bel ordre que l’on admire dans l’arrangement des livres, ainsi que dans l’excellent catalogue qui on a été fait, est dû à leurs connoissan-