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nelle attachée à ces mérites étoit de même ordre, c’est-à-dire une pure rétribution, où la libéralité gratuite de Dieu n’entroit pour rien ; en un mot qu’elle étoit une récompense & non pas une grace. Dans ce système, les dons divins gratuits n’avoient donc point de lieu dans l’économie du salut des anges & du premier homme, puisque tout y étoit dû & un apanage nécessaire de la nature innocente. 5°. Enfin, par rapport à cet état Baïus & ses disciples ont erré sur ce qui concerne la connoissance des devoirs, l’exemption des souffrances, & l’immortalité, en soûtenant que l’homme innocent étoit à l’abri de l’ignorance, des peines & de la mort en vertu de sa création, & que l’exemption de tous ces maux étoit une dette que Dieu payoit à l’état d’innocence ou un ordre établi par la loi naturelle toujours invariable, parce qu’elle a pour objet ce qui est essentiellement bon & juste. C’est la doctrine expresse des propositions 53, 69, 70, & 75 de Baïus. Voyez le P. Duchesne, hist. du Baïanisme, liv. II. pag. 177. 180. & liv. IV. pag. 356. & 361. & le traité historique & dogmatique sur la doctrine de Baïus, par l’abbé de la Chambre, tom. I. chap. ij. pag. 49. & suiv.

II°. Quant à l’état de nature tombée, voici les erreurs de Baïus & de ses sectateurs sur la nature du péché originel, sa transfusion, & ses suites. 1°. Dans leur système le peché originel n’est autre chose que la concupiscence habituelle dominante. 2°. Cette idée supposée, la transfusion du péché d’Adam n’est plus un mystere qui révolte la raison ; ce n’est plus l’effet du violement d’une loi de Dieu qui ait attaché le sort des hommes à la fidélité de leur premier pere. Ce péché se transmet de la même maniere que l’aveuglement, la goutte, & les autres mauvaises qualités physiques de ceux dont on tient la naissance : cette communication se fait indépendamment de tout arrangement arbitraire de la part de Dieu ; tout péché par sa nature ayant la force d’infecter le transgresseur & toute sa postérité, comme a fait le péché originel, prop. 50. & cependant ce dernier est en nous sans aucun rapport à la volonté du premier pere, prop. 46. Sur les suites du péché originel Baïus dit, 1°. que le libre arbitre sans la grace n’a de forces que pour pécher, prop. 28. 2°. qu’il ne peut éviter aucun péché, prop. 29. que tout ce qui en sort, même l’infidélité négative, est un péché ; que l’esclave du péché obéit toûjours à la cupidité dominante ; que jusqu’à ce qu’il agisse par l’impression de la charité, toutes ses actions partent de la cupidité & sont des péchés. Prop. 34. 36. 64. 68. &c. 3°. qu’il ne peut y avoir en lui aucun amour légitime dans l’ordre naturel, pas même de Dieu, aucun acte de justice, aucun bon usage du libre arbitre, ce qui paroît dans les infideles, dont toutes les actions sont des péchés, comme les vertus des philosophes sont des vices. Prop. 25. & 26. Ainsi, selon Baïus, la nature tombée & destituée de la grace est dans une impuissance générale à tout bien, & toûjours déterminée au mal que sa cupidité dominante lui propose. Il ne lui reste ni liberté de contrariété, ni liberté de contradiction exempte de nécessité : incapable d’aucun bien, elle ne peut produire d’action qui ne soit un péché ; & nécessitée au mal, elle s’y porte au gré du penchant qui la domine, & n’en est ni moins criminelle ni moins punissable devant Dieu. Voyez le P. Duchesne, hist. du Baïanisme, liv. II pag. 180. 182. & liv. IV. pag. 361. & 367. & le traité historique & dogmatique déjà cité, pag. 54. & suiv.

III°. Les erreurs de Baïus, d’Hessels, & de leurs sectateurs, ne sont pas moins frappantes quant à l’état de nature réparée par le rédempteur : ils disent formellement, que la rétribution de la vie éternelle s’accorde aux bonnes actions, sans avoir égard aux mérites de Jesus-Christ ; qu’elle n’est pas même, à proprement parler, une grace de Dieu, mais l’effet & la suite de la loi

naturelle, par laquelle il a été établi par un juste jugement

de Dieu, dès la premiere institution du genre humain, que le royaume céleste seroit le salaire de l’obéissance à la loi ; que toute bonne œuvre est de sa nature méritoire du ciel, comme toute mauvaise est de sa nature méritoire de la damnation ; que les bonnes œuvres ne tirent pas leur mérite de la grace d’adoption, mais uniquement de leur conformité à la loi ; que le mérite ne se prend pas de l’état de grace, mais seulement de l’obéissance à la loi ; que les bonnes actions des catéchumenes, qui précedent la remission de leurs péchés, comme la foi & la penitence, méritent la vie éternelle. Prop. 11. 12. 13. 18. 69.

La justification des adultes, selon Baïus, de justif. cap. viij. & de justit. cap. iij. & iv. consiste dans la pratique des bonnes œuvres & la rémission des péchés. La rémission des péchés peut s’entendre de la coulpe & de la peine éternelle ou temporelle : l’obéissance à la loi justifie sans remettre la peine éternelle ; pour la coulpe, elle passe avec la peine du péché. En conséquence les Baiamstes ont avancé, que le pécheur pénitent n’est point vivifié par le ministere du prêtre qui l’absout, & qu’il n’en reçoit que la remission de la peine ; que les sacremens de baptême & de pénitence ne remettent point la coulpe, mais la peine seulement ; qu’ils ne conferent point la grace sanctifiante ; qu’il peut y avoir dans les pénitens & les catéchumenes une charité parfaite, sans que leurs péchés leur soient remis ; que la charité, qui est la plénitude de la loi, n’est pas toûjours jointe avec la rémission des péchés ; que le catéchumene vit dans la justice avant que d’avoir obtenu la rémission de ses péchés ; qu’un homme en péché mortel peut avoir une charité même parfaite, sans cesser d’être sujet à la damnation éternelle ; parce que la contrition, meme parfaite, jointe à la charité & au desir du sacrement, ne remet point la dette de la peine éternelle, hors le cas de nécessité ou de martyre, sans la réception actuelle du sacrement. Prop. 31. 54. 55. 67. 68. &c.

Comme dans le système de Baïus on est formellement justifié par l’obéissance à la loi, ce docteur & ses disciples disent qu’ils ne reconnoissent d’autre obéissance à la loi que celle qui coute de l’esprit de charité ; Prop. 6. point d’amour légitime dans la créature raisonnable, que cette loüable charité que le S. Esprit répand dans le cœur, & par laquelle on aime Dieu ; & que tout autre amour est cette cupidité vicieuse qui attache au monde, & que S. Jean réprouve. Prop. 38.

Enfin leur doctrine n’est pas moins erronée sur le mérite & la valeur des bonnes œuvres, puisqu’ils avancent d’un côté que dans l’état de la nature réparée il n’y a point de vrais mérites qui ne soient gratuitement conférés à des indignes ; & que de l’autre ils prétendent que les bonnes œuvres des fideles qui les justifient, ne peuvent pas satisfaire à la justice de Dieu pour les peines temporelles qui restent à expier après la remission des péchés, ni les expier ex condigno : ces peines, selon eux, ne pouvant pas être rachetées, même par les souffrances des Saints. Prop. 8. 57. 74. Voyez les auteurs cités ci-dessus : voyez aussi l’abrégé du Trait. de la grace de Tournely par M. Montagne, doct. de Sorb. de la maison de S. Sulpice.

Ce système, comme le remarque solidement ce dernier théologien, est un composé bisarre & monstrueux de Pélagianisnme, quant à ce qui regarde l’état de nature innocente, & de Luthéranisme & de Calvinisme pour ce qui concerne l’état de nature tombée. Quant à l’état de nature réparée, tous les sentimens de Baïus, sur-tout sur la justification, l’efficace des sacremens, & le mérite des bonnes œuvres, sont si directement opposés à la doctrine du concile de Trente, qu’ils ne pouvoient éviter les différentes censures qu’ils ont essuyées.

En effet, dès 1552 Ricard Tapper, Josse Ravestein, Richtou, Cuner, & d’autres docteurs de Louvain, s’éleverent contre Baïus & Hessels, qui répan-