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un des exécuteurs s’assied sur sa tête, & un autre sur ses jambes, tandis qu’un troisieme frappe jusqu’à ce que le patient ait reçû la dose de coups prescrite par le magistrat.

* BATON, s. m. se dit en général d’un morceau de bois rond, tourné au tour ou non tourné, & s’applique à beaucoup d’autres choses qui ont la même forme. Ainsi on dit en Tableterie, un baton d’ivoire, un bâton d’écaille, pour un morceau d’ivoire ou d’écaille rond ; chez les Marchands de bois, un bâton de coteret, pour un morceau du menu bois de chauffage, fait des petites branches des arbres ; chez les Epiciers un bâton de casse, un bâton de cire d’Espagne ; chez les Gantiers, un bâton à gant ; voyez plus bas ; un bâton de jauge, pour l’instrument qui sert à mesurer les tonneaux ; un bâton de croisure, chez les Hautelissiers, pour la baguette qui tient leurs chaines croisées ; chez les Pâtissiers & Boulangers, un bâton, pour le morceau de bois que l’on met en travers sur le pétrin, & sur lequel on meut le sas pour en tirer la farine ; chez les Fondeurs, un bâton, pour le rouleau qui leur sert à corroyer ensemble le sable & la terre qui entrent dans la façon de leurs moules. Voyez la suite de cet article.

Baton, s. m. (Hist. anc. & mod.) est un instrument dont on se sert ordinairement pour s’appuyer en marchant. Le cardinal Bona observe, dans son traité des Liturgies, qu’autrefois ceux qui se servoient de bâton dans l’église pour s’appuyer, étoient obligés de le quitter, & de se tenir debout, seuls & droits, dans le tems qu’on lisoit l’évangile, pour témoigner leur respect par cette posture, & faire voir qu’ils étoient prêts d’obéir à Jesus-Christ, & d’aller par-tout où il leur commanderoit d’aller.

On se sert souvent aussi d’un bâton comme d’une espece d’arme naturelle, offensive & défensive. Les Lacédémoniens ne portoient jamais d’épée en tems de paix, mais se contentoient de porter un bâton épais & crochu qui leur étoit particulier.

S. Evremont observe que chez les Romains les coups de bâton étoient une façon modérée de punir les esclaves, & qu’ils les recevoient par-dessus leurs habits.

Les Maîtres-d’armes, & les gens susceptibles du point d’honneur, croyent qu’il est bien plus honteux de recevoir un coup de bâton qu’un coup d’épée ; à cause que l’épée est un instrument de guerre, & le bâton un instrument d’outrage.

Les loix de France punissent bien séverement les coups de bâton. Par un reglement des Maréchaux de France fait en 1653, au sujet des satisfactions & réparations d’honneur, il est ordonné que quiconque en frappera un autre du bâton, sera puni par un an de prison, qui pourra être modéré à six mois en payant 3000 livres, applicables à l’hôpital le plus prochain : outre cela l’aggresseur doit demander pardon à genoux à l’offensé, &c. tout prêt à recevoir de lui un égal nombre de coups de bâton ; & il y a certains cas où ce dernier peut être contraint de les donner, quand même il auroit trop de générosité pour s’y résoudre de lui-même.

Par un autre reglement des Maréchaux de l’année 1679, celui qui frappe du bâton après avoir reçû des coups de poing dans la chaleur de la dispute, est condamné à deux ans de prison ; & à quatre années, s’il a commencé à frapper à coups de poing.

La loi des Frisons ne donne qu’un demi-sou de composition à celui qui a reçû des coups de baton ; & il n’y a si petite blessure pour laquelle elle n’en accorde davantage. Par la loi Salique, si un ingénu donnoit trois coups de baton à un ingénu, il payoit trois sous ; s’il avoit fait couler le sang, il étoit puni comme s’il eût blessé avec le fer, & il payoit quinze sous. La peine & l’indemnité se mesuroient sur

la grandeur des blessures. La loi des Lombards établit différentes compositions pour un coup, pour deux, trois, quatre : aujourd’hui un coup en vaut mille.

La constitution de Charlemagne, insérée dans la loi des Lombards, veut que ceux à qui elle permet le duel, combattent avec le bâton ; peut-être fût-ce un ménagement pour le clergé ; ou que, comme on étendoit l’usage des combats, on voulut les rendre moins sanguinaires. Le capitulaire de Louis le Débonnaire donne le choix de combattre avec le bâton ou avec les armes : dans la suite, il n’y eût que les serfs qui combatissent avec le bâton.

Déjà je vois naître & se former les articles particuliers de notre point d’honneur, dit l’auteur de l’esprit des lois, tome II. page 202. L’accusateur commençoit par déclarer devant le juge qu’un tel avoit commis une telle action, & celui-ci répondoit qu’il en avoit menti ; sur cela le juge ordonnoit le duel : la maxime s’établit que, lorsqu’on avoit reçû un démenti, il falloit se battre.

Quand un homme avoit déclaré qu’il combattroit, il ne pouvoit plus s’en départir, sans être condamné à une peine : autre regle qui s’ensuivit ; c’est que quand un homme avoit donné sa parole, l’honneur ne lui permettoit plus de se rétracter.

Les gentilshommes se battoient entr’eux & avec leurs armes ; les villains se battoient à pié & avec le bâton. Le bâton devint donc un instrument outrageant ; parce que celui qui en avoit été frappé, avoit été traité comme un villain.

Il n’y avoit que les villains qui combatissent à visage découvert ; ainsi il n’y avoit qu’eux qui pussent recevoir des coups au visage ; de-là vint qu’un soufflet fut une injure qui devoit être lavée par le sang ; parce que celui qui l’avoit reçû, avoit été traité comme un villain.

Voilà comment par des degrés insensibles, se sont établies les lois du point d’honneur, & avant elles les différences entre les instrumens contondans. Le bâton est devenu une arme deshonorante quelquefois pour celui qui s’en sert, & toûjours pour celui avec qui l’on s’en est servi.

Baton, (Hist. mod.) est quelquefois une marque de commandement & un attribut de dignité ou d’emploi : tels sont les bâtons de maréchaux de France, de maîtres d’hôtel, de capitaines des gardes, d’exempts, &c. Celui de maréchal est fleurdelisé ; le roi l’envoye à celui qu’il éleve à ce grade militaire ; les maîtres d’hôtel, les capitaines des gardes, les exempts, &c. peuvent être méconnus pour ce qu’ils sont, s’ils s’exposent à l’exercice de leurs charges, sans leurs bâtons ; c’est-là l’usage principal du bâton :

Baton de gardes de nuit qui courent les rues de Londres, en criant l’heure qu’il est. Celui qui tient le manoir de Lambourn, dans le comté d’Essex, doit le service du bâton, c’est-à-dire, qu’il est obligé de fournir une charge de paille sur une charrette tirée à six chevaux, deux cordes, deux hommes armés de pié en cap, pour garder le bâton quand on le porte à la ville d’Aibridge, &c. Camb. tit. Essex.

Baton trainant, (Hist. mod.) ou Baton à queue ; Edouard premier, roi d’Angleterre, rendit sous ce titre un édit contre les usurpateurs des terres, lesquels pour opprimer les propriétaires véritables, transportoient ces terres usurpées à de grands seigneurs ; contre ceux qu’on loüoit pour maltraiter & outrager les autres ; contre les violateurs de la paix, ravisseurs, incendiaires, & duellistes ; contre ceux qui vendoient à faux poids & à fausses mesures, & autres malfaiteurs. Cette espece d’inquisition fut exécutée avec tant de rigueur, que les amendes qui en provinrent, apporterent au roi des thrésors immenses.