Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il seroit ridicule d’employer en ce sens le terme de bataille ; celui d’action ne convient pas davantage.

Bataille, s. f. (Ordre encycl. Entend. Raison, Philos. ou Science, Science de la nat. Mathématique, Mathématiques pures, Géométrie, Tactique.) c’est dans l’Art militaire, une action générale entre deux armées rangées en bataille, qui en viennent aux mains dans une campagne assez vaste pour que la plus grande partie puisse combattre. Les autres actions des troupes, quoique souvent plus meurtrieres que les batailles, ne doivent, selon M. de Feuquieres, se nommer que des combats.

Ainsi, suivant cet officier, l’attaque d’un poste ou d’un village retranché, ne doit point s’appeller bataille, mais un combat. Voyez Ordre de bataille & Armée.

Une bataille perdue est celle dans laquelle on abandonne le champ de bataille à l’ennemi, avec les morts & les blessés. Si l’armée se retire en bon ordre avec son artillerie & ses bagages, le fruit de la bataille se borne quelquefois à avoir essayé ses forces contre l’ennemi, & au gain du champ de bataille : mais si l’armée battue est obligée d’abandonner son canon & de se retirer en desordre, elle n’est plus en état de reparoître devant l’ennemi qu’elle n’ait réparé ses pertes ; il se trouve par là maître de la campagne, & en état d’entreprendre des siéges : c’est cette suite qui décide ordinairement du succès des batailles, dont il n’est pas rare de voir les deux partis s’attribuer l’avantage.

Un grand combat perdu, dit M. de Feuquieres, quoique plus sanglant qu’une bataille, emporte rarement la perte de toute l’artillerie, & presque jamais celle des bagages ; parce que les armées n’ayant pû s’aborder par leur front, il est certain qu’elles n’ont pû souffrir que dans la partie qui a combattu ; & que quoique pour attaquer ou pour soûtenir on ait successivement été obligé de se servir de nouvelles troupes tirées du front qui ne pouvoient combattre, l’action n’ayant pû cependant devenir générale, elle n’a pû produire qu’une plus grande ou moindre perte d’hommes, sans influer si absolument sur la suite d’une campagne & sur la décision pour la supériorité, que le peut faire une bataille rangée : elle ne peut produire ni la perte générale des bagages, ni celle de l’artillerie, mais seulement ce qui peut s’en être trouvé sur le terrein où les troupes ont combattu. Mémoires de Feuquieres.

Il suit de là qu’un général qui craint de se commettre avec un ennemi en rase campagne, doit chercher des postes de chicane, où sans faire agir toute son armée, il puisse attaquer l’ennemi sans s’exposer au hasard de perdre une bataille. Mais il faut convenir que si par ces especes de batailles on ne se met pas en danger d’être battu entierement, on ne peut non plus battre entierement l’ennemi, & l’empêcher de reparoître après le combat comme avant, pour s’opposer aux entreprises qu’on peut former.

L’histoire des batailles n’est proprement que l’histoire des défauts & des bévues des généraux : mais il est heureusement assez ordinaire que les méprises des deux généraux opposés se compensent réciproquement. L’un fait une fausse démarche ; l’autre ne s’en apperçoit pas, ou il n’en sait tirer aucun avantage : de-là il n’en résulte aucune conséquence fâcheuse.

Les Mémoires de M. de Feuquieres sur la guerre, ne sont, pour ainsi dire, qu’un récit des inadvertances & des fautes des deux partis : à peine fait-il mention d’un seul général, excepté Turenne, le grand Condé & Luxembourg, dont la conduite soit autre chose qu’un tissu continuel de fautes. Créqui & Catinat, en certaines occasions, en faisoient de grandes, selon ce même officier, mais ils savoient les compenser par

une conduite judicieuse en d’autres occasions. M. le chevalier de Folard trouve aussi très-peu de généraux dont la réputation soit nette à tous égards. Le marquis de Feuquieres, dont la grande capacité dans la guerre paroît par ses Mémoires, eût été un général du premier ordre, dit M. de Folard, s’il eût plû à certaines gens, à qui son mérite faisoit ombrage, de s’empresser un peu moins à travailler à sa disgrace & à le perdre dans l’esprit du roi, après l’avoir gâté dans l’esprit du ministre ; ce qui fit perdre à ce prince un des meilleurs & des plus braves officiers généraux de ses armées, & qui le servoit mille fois mieux & avec plus de courage & d’intelligence que ses indignes ennemis.

Maniere de disposer les troupes dans une bataille rangée. Lorsqu’on a formé le dessein d’aller à l’ennemi, & qu’on est à portée de le pouvoir combattre, « il faut disposer les troupes pour arriver devant lui en bataille, sur deux lignes : l’infanterie au centre, & la cavalerie sur les ailes, si le terrein le permet ; parce qu’il y a des pays si coupés & si fourrés, qu’il faut mettre des brigades d’infanterie ou de dragons aux flancs de la droite & de la gauche, pour empêcher l’ennemi d’en approcher. Il y a d’autres situations partagées par des plaines & des buissons, où l’on place dans les intervalles d’infanterie, des escadrons pour la soûtenir & profiter du terrein que l’on veut disputer.

Quand il y a de la difficulté à pénétrer l’ennemi, & que l’on veut emporter un poste, forcer une droite, une gauche, ou le centre, on doit disposer les troupes de maniere, qu’elles se présentent également de toutes parts à l’ennemi, pendant que le plus fort de l’armée arrive en colonne sur l’endroit que l’on veut pénétrer, qu’on attaque vivement & sans relâche. Un ennemi qui n’est point prevenu de cette disposition, se trouve bien-tôt renversé par un nombre supérieur, & on le poursuit avec ordre, pour achever de le mettre en déroute.

Il y a d’autres situations qu’il faut absolument rechercher avant d’attaquer l’ennemi. S’il est posté dans des pays fourrés & coupés de haies & de fossés, où son infanterie peut avoir beaucoup d’avantage, il faut le tourner ou le déplacer, de maniere que la cavalerie sur laquelle on compte beaucoup, puisse agir & partager le mérite d’une action, qu’il vaut mieux différer quelque tems, que de s’exposer à la manquer. Lorsque le général a des troupes de confiance à la droite, & qu’il connoît que le terrein de la gauche de son champ de bataille est avantageux pour les y faire combattre, il doit les y porter, & mettre à la droite les troupes de la gauche : ce sont des dispositions qu’il faut faire quelquefois ; pour mieux s’opposer aux forces de l’ennemi, suivant l’avantage que la situation du lieu donne, & le projet que le général forme pour attaquer ; c’est de quoi le coup d’œil décide.

Il faut autant qu’il est possible, avoir un corps de reserve composé de bonnes troupes, cavalerie & infanterie. La cavalerie doit être en troisieme ligne en bataille, derriere le centre de l’infanterie de la seconde ligne, pour être en état de se porter où elle seroit utile, sans rien déplacer de la seconde ligne ; il faut dérober, s’il est possible, à l’ennemi la connoissance de cette disposition. Dans le moment que la premiere ligne s’ébranle pour combattre, on fait aussitôt passer les bataillons de la réserve par les intervalles de la cavalerie de la seconde ligne, pour se porter brusquement dans les intervalles des escadrons de la premiere, en joignant l’escadron le plus proche de la droite & de la gauche de l’infanterie de cette ligne. Suivant cette disposition, qui peut être inconnue à l’ennemi, on peut par le feu de l’infanterie, mettre un