de se persuader qu’il y a plus de filles encore qui ne se marient pas, parce qu’il n’y a plus de maris pour elles, qu’il n’y a d’invalides propres au mariage.
Il est donc nécessaire de raprocher promptement ces deux principes de vie ; il faut envoyer dans les communautés qui les ont vu naître, les soldats qui peuvent être mariés, tant ceux qui sont actuellement détachés ou à l’hôtel, que d’autres qui seront par la suite désignés pour s’y rendre.
Cette attention est indispensable : un soldat qui tomberoit dans un village éloigné de son pays natal, auroit de la peine à s’y établir ; il ne faut laisser à combattre aux filles que la sorte d’antipathie naturelle pour les imperfections corporelles ; il ne faut pas ajouter celle de s’allier à un inconnu.
Il est dans les habitations des campagnes une honêteté publique qui ne se rencontre presque plus que parmi eux ; ils sont tous égaux en privation de fortune, mais ils ont un sentiment intérieur qui n’autorise les alliances qu’entre gens connus.
La Tulipe en veut à ma fille, dira un paysan, j’en suis bien aise, il est de bonne race, il sera mon gendre : expression naïve du sentiment d’honneur.
On n’entre point dans le détail des moyens d’exécution du projet, des privileges à accorder aux invalides mariés, de la nécessité de les établir de préférence dans les villages voisins de la ville où ils sont nés, plutôt que dans la ville même ; ces raisons se découvrent sans les développer. On se contente donc d’avoir démontré la nécessité, la possibilité & l’utilité des mariages des soldats invalides qui peuvent les contracter.
J’ajouterai seulement que parmi tous les soldats, qui en dernier lieu sont partis pour aller attendre à Landau les ordres dont ils ont besoin pour être reçus à l’hôtel, plus de cent m’ont demandé s’il ne me seroit pas possible de leur faire tenir ce qu’ils appellent les invalides chez eux.
Si ce projet méritoit l’approbation du ministere, l’exécution en pourroit être très-prompte, & je garentirois, si la cour m’en confioit le soin, d’avoir fait en moins de trois mois la revue de tous les invalides détachés dans le royaume, de lui rendre compte de tous ceux qui seroient dans le cas du projet, & de les faire rendre promptement à leur destination.
On sent bien qu-il faut une ordonnance du roi en forme de réglement pour cet établissement, mais on voit aisément aussi que les principales dispositions en sont répandues dans ce mémoire ; au surplus, si le ministre pour lequel ces réflexions sont écrites en étoit désireux, je travaillerois d’après ses ordres au projet de l’ordonnance, & elle lui seroit bientôt rendue.
Objections faites par la cour. J’ai peine à me persuader que la classe que vous établissez depuis quarante-cinq ans & au-dessous, pût fournir un tiers (d’invalides) qui fût propre au mariage.
Réponses aux objections. Dans un arrangement quelconque, la fixation apparente n’est pas toujours le terme de son étendue ; aussi n’y auroit-il aucun inconvénient à prendre dans la classe de quarante à cinquante, ce qui manqueroit dans celle au-dessous de quarante-cinq ; le préjugé qu’un soldat est plus vieux & plus usé qu’un autre homme de pareil âge, avoit déterminé à ne pas outre-passer quarante-cinq ans ; mais ce préjugé est comme tous les autres, il subsiste sans être plus vrai ; & l’on voit tous les jours des soldats qui ont trente ans de service, plus frais & mieux portans que bien des ouvriers qui n’ont jamais quitté le lieu de leur naissance.
La force & la santé sont le partage de l’exercice & de la sobriété, comme la foiblesse & la maladie le sont de l’inaction & de la débauche. Dans tous les états, on trouve des hommes forts & bien portans, de foibles & d’infirmes.
Objection. Il y en auroit de cet âge, qui accoutumés au célibat, préféreroient d’y rester, & on ne pourroit charitablement se refuser à leurs desirs.
Réponse. Après avoir posé pour principe que chaque sujet est à l’état, ce que chaque membre est au corps, & que sans se rendre coupable du crime de lese-société, un particulier ne peut séparer son intérêt de sa nation ; je demande la permission de faire deux questions, & d’y répondre. Qu’est-ce que le célibat ? Qu’est-ce que la charité ?
Le célibat ne peut être une vertu ; car son exacte observation, loin de contribuer au bonheur public qui est le terme de toutes les vertus, prépare sourdement la ruine d’un empire.
La charité est une vertu chrétienne qui consiste à aimer Dieu par-dessus tout, & son prochain comme soi-même. Ce n’est pas outrager l’être suprême que de forcer le prochain à multiplier le nombre des créatures faites à l’image de la divinité, car ces créatures ainsi multipliées, en présenteront plus d’objets à la charité.
Au reste, la législation & la politique n’ayant & ne devant avoir d’autre but que la grandeur de la nation, elles ne peuvent adopter le sentiment que le célibat soit un état plus parfait que le mariage : si ce que l’on vient de dire est vrai, il sera donc prouvé que l’on ne blesse aucun principe en se refusant au desir que marque un homme de garder le célibat.
Mais pourquoi n’est-il pas de mon sujet de parler de l’encouragement qu’on lui donne ? S’il m’étoit permis de m’expliquer sur le malheur qui résulte de ce que l’état veut bien se porter héritier des citoyens qui n’en veulent pas connoître d’autres, je dirois que cette funeste facilité que l’on trouve à doubler son revenu en perdant le fonds, énerve le courage, émousse tous les traits de l’industrie, rend d’abord inutile, & bientôt après à charge à la patrie, celui qui vient de contracter avec elle, & qu’enfin elle étouffe tous les germes de vie, qui heureusement éclos peupleroient l’état & le rendroient florissant.
Objection. D’autres rendus dans leurs communautés, ne trouveroient point à s’y établir, quelqu’envie qu’ils pussent en avoir. Ne seroit-il pas à craindre qu’une partie de ceux qui s’y marieroient ne s’ennuyassent bien vite d’un genre de vie pour lequel ils n’étoient plus faits, & qu’alors il n’abandonnassent leurs femmes & leurs enfans.
Réponse. Par-tout où il est des filles, par-tout on les trouve disposées au mariage, parce que tout les en sollicite en tout tems ; l’esclavage dans l’adolescence, l’amour propre & celui de la liberté dans la jeunesse, l’envie d’avoir & de jouir dans l’âge mûr, la crainte du ridicule & de la sorte de mépris attaché au titre humiliant de vieille fille : voilà bien des motifs de quitter un état où la nature sur les besoins, est perpétuellement en procès avec les préjugés.
Sur quoi seroit donc fondé le refus que feroit une fille d’épouser un soldat invalide qui sera du même village ou du hameau voisin ? Ce sera donc sur la crainte qu’un pareil mari, accoutumé depuis long-tems à une vie licentieuse, ne vînt à se dégoûter d’un genre de vie trop uniforme, & n’abandonnât sa femme & ses enfans.
Si le soldat marié renonce aux principes de l’honneur, & s’il devient sourd aux cris de la nature, qui dit sans cesse d’aimer & protéger sa femme & ses enfans, les dispositions de la loi l’empêcheront de s’écarter de son devoir. Dans le cas d’abandon de ce qu’il peut avoir de plus cher, la loi le déclarera déchu des graces du roi ; sa paye lui sera ôtée en entier, sans aucune espérance d’y pouvoir être rétabli ; & la totalité de cette paye sera dévolue à sa femme si elle a quatre enfans & au-dessus ; les trois quarts, si elle a trois enfans ; la moitié, si elle en a deux, & le quart