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faire qu’elle ait été connue dans quelques autres parties du monde, & il s’est trouvé des médecins qui l’ont fait naître dans les Indes pour la transporter dans l’Arabie.

On sait seulement que les Arabes l’apporterent en Egypte lorsqu’ils en firent la conquête sous le calife Omar ; qu’elle se répandit avec eux dans tous les lieux où ils porterent leurs armes, leur religion & leur commerce, savoir dans l’Egypte, dans la Syrie, la Palestine, la Perse, la Lycie, le long de côtes de l’Afrique, & de-là en Espagne, d’où elle passa avec les Européens dans toutes les autres parties du monde connu. Rhazès, syrien de naissance, arabe d’origine, & mahométan de religion, qui vivoît dans le neuvieme siecle, est le premier de tous les auteurs qui nous restent, qui ait traité de cette maladie avec exactitude. Il faut lire pour s’en convaincre l’extrait qu’en a fait l’illustre Freind, & dont il nous suffira de donner le précis le plus abrégé.

Rhazès, qui écrivoit dans l’ardent climat de la Perse, observe que la petite vérole y est plus épidémique au printems qu’en automne. Les enfans & les adultes y sont les plus sujets ; les vieillards en sont rarement attaqués, à-moins que la saison ne soit fort contagieuse. Les corps qui abondent en humeurs prennent aisément l’infection, & les tempéramens secs en sont attaqués le plus violemment. Rhazès nomme en syriaque la petite-vérole chaspé ; le mot caphe ou capheph en arabe signifie une éruption de pustules.

Les symptomes qui précedent cette maladie sont, selon le médecin arabe ; une fievre aiguë, un mal de tête violent, des douleurs dans les lombes, la sécheresse de la peau, la difficulté de respirer ; les yeux deviennent rouges ; on sent des picotemens par tout le corps ; on est agité de songes affreux durant le sommeil ; enfin on a des maux de cœur avec des envies de vomir. Il nomme sublimia les pustules qui s’élevent en pointe, & lata celles qui sont larges & plates, comme dans la petite vérole confluente.

Rhazès s’étend beaucoup sur les pronostics de la petite vérole. Si, dit-il, l’éruption se fait aisément, que les pustules viennent bien à maturation, & que la fievre cesse, il n’y a point de danger ; il en est de même quand les pustules sont grosses, distinctes, en petit nombre, mûrissant bien, & ne causant au malade ni oppression, ni chaleur immodérée.

Mais si les pustules sont pressées, cohérentes, se répandant comme des herpes, rongeant la peau, & ne contenant point de matiere, c’est une espece de petite vérole très-maligne, sur tout si la fievre augmente après l’éruption, & qu’alors de nouvelles pustules viennent encore à sortir.

Si l’éruption, continue-t-il, se fait le premier jour de la maladie, cela marque trop d’impétuosité dans les humeurs ; si elle arrive le troisieme jour, c’est un meilleur signe ; & si c’est le septieme jour, la maladie est encore plus heureuse.

Quand les pustules sont fort petites, dures, de couleur violette, verte, d’un rouge noirâtre, c’est un mauvais présage. Si les pustules continuent dans cet état, que la fievre ne diminue pas, & qu’elle soit accompagnée de syncopes ou de palpitations, on ne doit attendre qu’une prompte mort.

La méthode curative vient ensuite. Rhazès conseille de saigner d’abord ou d’appliquer les ventouses. La chambre doit être tenue fraîche, & tout le régime consister dans une diete acide & rafraîchissante. La tisane d’orge doit être la nourriture. Les rafraîchissans & les acides seront proportionnés à l’ardeur plus ou moins grande de la maladie. Si le ventre est resserré, il faut le tenir libre par quelques infusions laxatives, qu’on prendra deux fois par jour. Lorsque les pustules sont toutes sorties, on fera recevoir au

malade les vapeurs de l’eau. Il usera pour délayans d’eaux d’orge, de grenade, de melon, & autres semblables liqueurs tempérées. Si l’oppression est fort grande, il conseille le bain d’eau tiede pour procurer l’éruption. Il prescrit les opiats lorsque le malade ne peut pas dormir, ou qu’il est attaqué d’une diarrhée sur la fin de la maladie. Il conseille aussi d’avoir recours aux remedes calmans, lorsqu’il paroît quelques symptomes terribles qui empêchent les pustules de venir à suppuration.

Sur le déclin de la maladie, lorsque la nature étoit prête à succomber sous le poids de la matiere morbifique, il se servoit dans ce cas de nécessité de la saignée, & de la purgation pour secourir le malade.

Il faut convenir que cette description est si fidele, que depuis le tems de Rhazes jusqu’au nôtre on n’a presque rien decouvert de nouveau à ajouter à la bonne pratique des Arabes. On a au-moins un millier d’auteurs qui ont publié des ouvrages sur cette maladie sans aucune utilité pour le public, ou plutôt au grand détriment du public, car on ne peut dire combien de malades ont été tués par les cordiaux & les irritans qui ont été mis en usage, soit pour accélérer l’éruption, soit pour l’amener à suppuration après qu’elle étoit faite.

Enfin Sydenham prit la nature pour guide, & détruisit par la conduite la durée de si longues erreurs. Sa description de la maladie est d’une vérité & d’une élégance qu’on ne sauroit trop admirer. Il sut prédire les dangers qu’il étoit incapable d’éviter, & indiqua les écueils où lui & les autres avoient échoué.

On peut comparer à cet égard Sydenham avec le lord Verulam, un des plus exacts observateurs de la nature qui ait jamais été ; non-content des découvertes surprenantes qu’il avoit faites, il marqua le plan que ceux qui viendroient après lui devoient suivre, pour continuer avec succès l’histoire naturelle, étant impossible à un homme seul, vu la briéveté de la vie, de recueillir tous les matériaux que la nature fournit pour en composer un corps d’histoire. Le fameux Boyle commença où l’autre avoit fini, & vint à bout d’exécuter le plan que le premier philosophe avoit laissé.

Sydenham qui avoit déja fait tant de découvertes sur la petite vérole, regardoit cette maladie comme une vraie fievre inflammatoire, & chaque pustule comme un phlegmon ; il gouvernoit très-bien son malade jusqu’à l’approche de la fievre secondaire ; mais lorsque celle-ci venoit à augmenter, que la matiere étoit mal digérée, que le visage se desenfloit, que les crachats s’épaississoient & s’arrêtoient, alors semblable à un prophete, il annonçoit le danger dont le malade étoit menacé, sans pouvoir le prévenir malgré toute l’étendue de son savoir en cette partie.

Helvetius introduisit ensuite la purgation dans le dernier état de la petite vérole, ce qui est, selon moi, un des meilleurs moyens dont on puisse se servit pour appaiser la fievre. Il est vrai que ce médecin admit la purgation sans savoir pourquoi, mais Freind démontra les raisons de cette méthode, & en établit la nécessité par la théorie & l’expérience.

Enfin Boerhaave écrivit expressément sur cette maladie avec sa sagacité ordinaire ; il en développa la nature & le traitement qui lui convient. Ce qu’il ajoute sur ce traitement est bien remarquable, vulgata quippè methodo, dit-il, nullus nisi spontè emergit : si quelqu’un échappe par la méthode que l’on suit ordinairement, c’est plutôt à la nature qu’il en est redevable, qu’aux efforts de celui qui le traite. Ce jugement me paroît si vrai, que je ne doute point que les Médecins qui voudront parler de bonne foi, n’en conviennent avec franchise. (Le Chevalier de Jaucourt.)