Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/770

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nullement en matiere de lois naturelles ; parce que Dieu lui-même n’en sauroit affranchir. Il y a sans doute des lois naturelles, dont l’observation est plus importante que celle des autres, & par conséquent la violation plus criminelle ; mais cela n’empêche pas, que par rapport à leur essence, elles ne découlent toutes de la sainteté de Dieu, & qu’ainsi elles ne soient également immuables. Or la nature de l’homme sur laquelle elles sont toutes fondées, demeurant toujours la même, il résulte, ce me semble, que Dieu ne sauroit dispenser d’aucune, sans se contredire, & sans blesser ses perfections. (D. J.)

DIVUS, DIVA, (Antiquités rom.) après l’apothéose des empereurs, & lorsqu’on commençoit à les regarder comme des divinités, on leur donnoit le titre de divus ; les inscriptions & les médailles en font foi. Ainsi on a dédié au divin Auguste, divo Augusto, l’inscription que Gruter rapporte, lorsqu’on lui consacra un obélisque de même qu’à Tibere ; on y grava :

Divo. Cæsari. Divi. Julii. F. Augusto.
Ti. Cæsari. Diri. Augusti. F. Augusto
Sacrum.

Ainsi l’on grava sur l’arc consacré à Titus :

Senatus
Populusque romanus
Divo. Tito. Divi. Vespasiani. F.
Vespasiano. Augusto.

Et au temple d’Antonin & de Faustine,

Divo. Antonino. Et
Divæ. Faustinæ. Ex. S. C.

Ce titre de divus n’étoit pas réservé aux seuls empereurs & à leurs femmes : Drusille, la sœur de Germanicus, participa aux mêmes honneurs ; elle est appellée diva Drusilla dans ses médailles. Marciana, sœur de Trajan, & Matidia sa niece, sont qualifiées de divæ, dans les anciens monumens, de même que dans les médailles. Ce titre n’étoit pas cependant un effet arbitraire de la flaterie des particuliers ; il ne se donnoit qu’après la consécration ; & quoique les princes fussent décédés, il n’étoit permis de le graver sur les monumens publics qu’après qu’on l’avoit décerné. Mém. de l’acad. des Inscript. (D. J.)

E

ENTETEMENT, s. m. (Morale.) l’entêtement est une forte attache à son sentiment, qui rend insensible aux raisons de ceux qui veulent nous persuader le contraire.

L’entêtement naît de l’orgueil, c’est-à-dire de la trop bonne opinion que l’on a de soi-même, ou d’un défaut de capacité dans l’esprit, quelquefois aussi d’une dialectique vicieuse. Un entêté est toujours prévenu en sa faveur, & en garde contre les opinions des autres ; il ne cherche qu’à éluder la force des meilleures raisons, par des distinctions frivoles & de mauvais subterfuges. Il croiroit se déshonorer, s’il se relâchoit de ses sentimens. Il n’envisage les oppositions qu’il éprouve en les soutenant, que comme des effets d’un mauvais vouloir qu’on a contre lui. L’entêtement dans un homme du monde passe pour une grossiereté qui le fait mépriser ; c’est un vice opposé aux qualités sociales. Dans un homme en place, l’entêtement rend son gouvernement tiranique & devient la source de mille injustices. Un dévot prend son entêtement pour du zele. Il regarde ceux qui sont opposés à son sentiment, comme les ennemis de la religion, il les hait & les persécute.

Il ne faut pas confondre la fermeté avec l’entêtement, l’homme ferme soutient & exécute avec vigueur ce qu’il croit vrai & conforme à son devoir, après avoir

murement pesé les raisons pour & contre. L’entêté n’examine rien, son opinion fait sa loi.

L’opiniâtreté ne differe de l’entêtement, que du plus au moins. On peut réduire un entêté en flattant son amour propre, jamais un opiniâtre, il est infléxible & arrêté dans ses sentimens. L’hérésie est un attachement opiniâtre à son sentiment.

D’où il résulte, que l’entêtement comme l’opiniâtreté, sont des vices du cœur ou de l’esprit, quelquefois aussi d’une mauvaise méthode de raisonner.

La maniere artificielle de raisonner que l’on a introduite dans l’école a perverti le sens de la raison. On peut l’appeller la chicanne du raisonnement, elle n’a servi qu’à perpétuer les disputes & à faire des entêtés. La forme de ses raisonnemens diverge les rayons de la lumiere naturelle, qui saisit plus promptement & plus sûrement la vérité, lorsque ses rayons sont réunis sous un seul point de vûe. Article de M. Millot, curé de Loisey, diocèse de Toul.

ENTHOUSIASME, (Peint.) heureux effort de l’esprit qui fait concevoir, imaginer, & représenter les objets d’une maniere élevée, surprenante, & en même tems vraissemblable. Ce beau transport capable de porter l’ame de l’artiste au sublime, a son principal effet dans la pensée, & dans l’ordonnance. Il consiste en même tems à donner de la vie à tous les personnages par des expressions ravissantes, & par tous les plus beaux ornemens que le sujet peut permettre.

Quoique le vrai plaise toujours, parce qu’il est la base de toutes les perfections, il ne laisse pas néanmoins d’être souvent sec, froid, & insipide, au milieu de la correction du dessein. Mais quand il est peint avec l’enthousiasme, il éleve l’esprit, & le ravit avec violence. C’est à cette élévation sublime, mais juste, mais raisonnable, que le peintre doit porter ses productions, aussi-bien que le poëte, s’ils veulent arriver l’un & l’autre, à l’extraordinaire qui remue le cœur, & qui fait le plus grand mérite de l’art. Telle est la poésie de Raphaël & de Michel-Ange ; telle est celle de Poussin & de le Sueur, & telle fut souvent celle de Rubens, & de le Brun.

Mais quelques esprits de feu prennent mal-à-propos les écarts de leur imagination, pour un bel enthousiasme, tandis que l’abondance & la vivacité de leurs productions, ne sont que des songes de malades, qui n’ont aucune liaison, & dont il faut éviter la dangereuse extravagance. Tout emportement qui n’est pas guidé par une intelligence sage & judicieuse, est un pur délire, & non pas le véritable enthousiasme, dont nous faisons ici l’éloge.

Il est certain que ceux qui ont un génie de feu entrent facilement dans l’enthousiasme, parce que leur imagination est presque toujours agitée ; mais ceux qui brûlent d’un feu doux, qui n’ont qu’une médiocre vivacité jointe à un bon jugement, peuvent encore, comme a fait le Dominicain, se porter par degrés à l’enthousiasme, & le rendre même plus reglé par la solidité de leur esprit. S’ils n’entrent pas si facilement ni si promptement dans cette verve pittoresque, ils ne laissent pas de s’en laisser saisir peu-à-peu ; parce que leurs profondes réflexions leur font tout voir & tout sentir, & que non-seulement il y a plusieurs degrés d’enthousiasme, mais encore plusieurs moyens d’y parvenir.

En général pour y disposer l’esprit, il faut se nourrir de la vue des ouvrages des grands maîtres, à cause de l’élévation de leurs pensées, de la beauté de leur imagination, de la noblesse de leurs expressions, & du pouvoir que les exemples ont sur les hommes. Le peintre doit en travaillant, se demander à lui-même, comment Raphaël, le Carrache, & le Titien, auroient-ils pensé, auroient-ils dessiné, auroient-ils colorié ce que j’entreprends de représen-