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laquelle la religion Romaine étoit florissante. Jamais acte ne fut plus solemnel : il se passe dans la salle d’un romain illustre ; quatre juges païens y président, c’est l’élite de ce qu’il y a de plus savant dans la ville. Manès y paroît en personne avec ses principaux disciples. Il a pour antagoniste Archélaüs, un des plus savans éveques d’Orient. Tout le peuple chrétien, les païens mêmes, sont témoins de cette mémorable action, & confirment par leurs applaudissemens la sentence que les juges prononcent en faveur de l’évêque & de la foi chrétienne. La nouvelle d’un évenement si public, si important & si glorieux à l’Eglise, dut se répandre dans toutes les églises d’Orient ; cependant l’Orient n’en paroît informé que plus de soixante-dix ans après, & l’Afrique l’ignoroit encore au cinquieme siecle, puisque S. Augustin n’en parle point.

Eusebe publia son histoire ecclésiastique environ cinquante ans après la mort de Manès : il y parle de cet hérésiarque & de son hérésie ; mais il ne dit pas un mot de ses disputes avec Archélaüs. Or on ne peut supposer, ni qu’il eût ignoré un événement si public, qui étoit arrivé près d’un demi-siecle auparavant, ni qu’il eût négligé & supprimé un événement si mémorable. On peut bien trouver des omissions dans Eusebe, il y en a quelquefois d’affectées, mais on ne peut alléguer aucunes raisons de son silence dans cette occasion. Il n’a point supprimé les disputes d’Archélaüs par des raisons de prudence & d’intérêt ; il ne l’a point fait par mépris pour un événement qu’on regarde avec raison comme un des plus mémorables de l’histoire ecclésiastique. Il faudra donc dire qu’il l’a ignoré : mais ni le caractere d’Eusebe, l’un des plus savans & des plus laborieux évêques de l’église, ni l’importance & la notoriété de l’événement ne permettent de croire qu’il soit échappé à sa connoissance.

Au silence d’Eusebe, il faut ajouter celui de tous les écrivains grecs jusqu’à Cyrille de Jérusalem, quoiqu’ils aient souvent eu occasion de parler de Manès & de son hérésie, & qu’ils en aient parlé en effet. Les auteurs orientaux n’en disent rien non-plus. S. Ephrem, qui étoit de Nisibe en Mésopotamie, naquit sous Constantin, & tout proche du tems de Manès, & mourut sous Valens vers l’an 373 ; il passa la plus grande partie de sa vie à Edesse, dans la même province. Il parle de Manès & de son hérésie dans ses hymnes & dans ses autres ouvrages, mais on n’y trouve aucune trace des disputes d’Archélaüs contre Manès.

Grégoire Abulpharage, primat des Jacobites d’Orient, dans ses dynasties où il parle des principaux hérésiarques, & de Manès en particulier ; Eutychius, patriarche d’Alexandrie, dans ses annales ; d’Herbelot, dans sa bibliotheque orientale ; & Hyde, dans son histoire de Manès, qui ont tous deux puise dans les mêmes sources ; tous ces auteurs gardent un profond silence sur les disputes d’Archélaüs. M. Assemane lui-même n’allegue aucun auteur syrien qui en ait parlé ; cet évêque si célebre paroît inconnu dans sa patrie : c’est ce qui est incompréhensible.

Il est vrai que M. l’abbé Renaudot cite un ancien auteur égyptien nommé Sévère, qui fut évêque d’Asmonine, & qui fleurissoit vers l’an 978. Celui-ci nous donne une histoire de la conférence d’Archélaüs avec Manichée : elle est plus simple & plus naturelle à divers égards, que celle des actes ; mais très fausse à d’autres, & par-dessus tout, il y a entre les deux relations de grandes contradictions.

De toutes ces réflexions, il semble résulter assez naturellement que les disputes d’Archélaüs avec Manès, ne sont au fond qu’un roman composé par un grec, dans la vue de réfuter le manichéisme, & de donner à la foi orthodoxe l’avantage d’en avoir triom-

phé, en confondant le chef de l’hérésie qui la défendoit

en personne ; & il n’y a aucune apparence que l’auteur ait travaillé sur des mémoires syriaques ; il est inconcevable que ces mémoires eussent echappé aux auteurs syriens, & qu’on n’en trouvât aucune trace dans leurs ouvrages.

Je finis par remarquer que le prétendu Archélaüs, qu’on nous donne pour un saint évêque, avoit néanmoins d’étranges sentimens. Selon lui, J. C. n’est le fils de Dieu que depuis son baptême ; selon lui, il n’y a que la seule substance divine qui soit invisible ; toutes les créatures spirituelles, anges & archanges, sont nécessairement visibles ; selon lui, les ténebres ne sont que l’effet d’un corps opaque qui intercepte la lumiere. Pour cela, il suppose qu’avant la création du ciel, de la terre & de toutes les créatures corporelles, une lumiere constante éclairoit tout l’espace, parce qu’il n’y avoit aucun corps épais qui l’empêchât de se répandre.

Après tout, les actes dont il s’agit ayant été forgés par Hégémonius, c’est proprement sur son compte que l’on doit mettre tous ces sentimens, & non sur celui d’Archélaüs, qui n’a vraisemblablement jamais existé, puisqu’il n’en est parlé nulle part que sur la foi de ces actes supposés. Voyez l’hist. critique du manichéisme de M. de Beausobre, & le dictionn. de M. de Chaufepié. (D. J.)

AFFABILITÉ, s. f. (Morale.) l’affabilité est une qualité qui sait qu’un homme reçoit & écoute d’une maniere gracieuse ceux qui ont affaire à lui.

L’affabilité naît de l’amour de l’humanité, du desir de plaire & de s’attirer l’estime publique.

Un homme affable prévient par son accueil ; son attention le porte à soulager l’embarras ou la timidité de ceux qui l’abordent. Il écoute avec patience, & il répond avec bonté aux personnes qui lui parlent. S’il contredit leurs raisons, c’est avec douceur & avec ménagement ; s’il n’accorde point ce qu’on lui demande, on voit qu’il lui en coûte ; & il diminue la honte du refus par le déplaisir qu’il paroit avoir en refusant.

L’affabilité est une vertu des plus nécessaires dans un homme en place. Elle lui ouvre le chemin à la vérité, par l’assurance qu’elle donne à ceux qui l’approchent. Elle adoucit le joug de la dépendance, & sert de consolation aux malheureux. Elle n’est pas moins essentielle dans un homme du monde, s’il veut plaire ; car il faut pour cela gagner le cœur, & c’est ce que sont bien éloignés de faire les grandeurs toutes seules. La pompe qu’elles étalent offusque le sensible amour-propre ; mais si les charmes de l’affabilité en temperent l’éclat, les cœurs alors s’ouvrent à leurs traits, comme une fleur aux rayons du soleil, lorsque le calme regnant dans les cieux, cet astre se leve dans les beaux jours d’été à la suite d’une douce rosée.

La crainte de se compromettre n’est point une excuse recevable. Cette crainte n’est rien autre chose que de l’orgueil. Car si cet air fier & si rebutant que l’on voit dans la plûpart des grands, ne vient que de ce qu’ils ne savent pas jusqu’où la dignité de leur rang leur permet d’étendre leurs politesses ; ne peuvent-ils pas s’en instruire ? D’ailleurs ne voient-ils pas tous les jours combien il est beau & combien il y a à gagner d’être affable, par le plaisir & l’impression que leur fait l’affabilité des personnes au-dessus d’eux ?

Il ne faut pas confondre l’affabilité avec un certain patelinage dont se masque l’orgueil des petits esprits pour se faire des partisans. Ces gens-là reçoivent tout le monde indistinctement avec une apparence de cordialité ; ils paroissent prévenus en faveur de tous ceux qui leur parlent, ils ne désapprouvent rien de ce qu’on leur propose ; vous diriez qu’ils vont tout entreprendre pour vous obliger. Ils entrent dans vos vues, vos raisons, vos intérêts ; mais ils tien-