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Permets-moi de cueillir ces fleurs nouvelles, pour orner les tresses de tes cheveux, & parer le sein délicieux qui ajoute encore à leur douceur.

Vois dans ce vallon comme le lis s’abreuve du ruisseau caché, & cherche à percer la tousse du pâturage. Promenons-nous sur ces champs couverts de féves fleuries, lieux où le zéphir qui parcourt ces vastes campagnes, nous apporte les parfums qu’il y a rassemblés ; parfums mille fois plus salubres & plus flatteurs, que ne furent jamais ceux de l’Arabie. Ne crois pas indigne de tes pas cette prairie riante ; c’est le négligé de la nature que l’art n’a point défigure. Ici remplissent leur tâche de nombreux essains d’abeilles, nation laborieuse, qui fend l’air, & s’attache au bouton dont elle suce l’ame éthérée ; souvent elle ose s’écarter sur la bruyere éclatante de pourpre, où croit le thym sauvage, & elle s’y charge du précieux butin.

L’Océan n’est pas loin de ce vallon ; viens, belle Themire, considerer un moment la merveille de son flux.

Que j’aime alors qu’il se retire
De le poursuivre pas-a-pas ;
Au reflux il a des appas
Que l’on sent, & qu’on ne peut dire.
Ici les cailloux font du bruit ;
Delà le gravier se produit ;
La vague y blanchit, & s’y creve ;
La son écume à gros bouillons
Y couvre, & découvre la greve,
Baisant nos piés sur les sablons.
Que j’aime à voir sur ces rivages
L’eau qui s’ensuit & qui revient,
Qui me présente, qui retient,
Et laisse enfin ses coquillages.

Cependant il est tems de nous rendre dans les jardins que le Nostre a formes, jardins admirables par leurs perspectives & leurs allées de boulingrins. Dans les bosquets où regne une douce obscurité la promenade s’étend en longs détours, & s’ouvrant tout-à-coup, offre aux regards surpris le firmament qui s’abaisse, les rivieres qui coulent en serpentant, les étangs émus par les vents légers, des groupes de forêts, des palais qui fixent l’œil, des montagnes qui se confondent dans l’air, & la mer que nous venons de quitter.

Le long de ces bordures regne, avec la rosée, le printems qui développe toutes les graces. Mille plantes embellissent le partere, reçoivent & préparent les parfums ; les anémones, les oreilles d’ours enrichies de cette poudre brillante qui orne leurs feuilles de velours, la double renoncule d’un rouge ardent, décorent la scène. Ensuite la nation des tulipes étale ses caprices innocens, qui se perpétuent de race en race, & dont les couleurs variées se mélangent à l’infini, comme font les premiers germes. Tandis qu’elles éblouissent la vue charmée, le fleuriste admire avec un secret orgueil, les miracles de sa main. Toutes les fleurs se succedent depuis le bouton, qui naît avec le printems, jusqu’à celles qui embaument l’été. Les hyacinthes du blanc le plus pur s’abaissent, & présentent leur calice incarnat. Les jonquilles d’un parfum si puissant ; la narcisse encore penché sur la fontaine fabuleuse ; les œillets agréablement tachetés ; la rose de damas qui décore l’arbuste ; tout s’offre à la-fois aux sens ravis : l’expression ne sauroit rendre la variété, l’odeur, les couleurs sur couleurs, le souffle de la nature, ni sa beauté sans bornes.

Dans cette saison où l’amour, cette ame universelle, pénetre, échauffe l’air, & souffle son esprit dans toute la nature, la troupe aîlée sent l’aurore des desirs. Le plumage des oiseaux mieux fourni, se peint de plus vives couleurs ; ils recommencent leurs

chants long-tems oubliés, & gazouillent d’abord foiblement ; mais bientôt l’action de la vie se communique aux organes intérieurs ; elle gagne, s’étend, & produit un torrent de delices, dont l’expression se déploie en concerts, qui n’ont de bornes que celle d’une joie qui n’en connoît point.

La messagere du matin, l’alouette s’éleve en chantant à-travers les ombres qui fuyent devant le crépuscule du jour ; elle appelle d’une voix haute les chantres des bois, & les reveille au fond de leur demeure ; toute la troupe gazouillante forme des accords. Philomele les écoute, & leur permet de s’égayer, certaine de rendre les échos de la nuit préférables à ceux du jour.

Je demeure saisi
D’entendre de sa voix l’harmonie & la grace ;
Vous croiriez sur la foi de ses charmans accords,
Que l’ame de Linus, ou du chantre de Thrace
A passé dans ce petit corps,
Et d’un gosier si doux anime les ressorts.
Les faunes & les nayades,
Pan, & les amadryades,
Au goût délicat & fin,
Au chant qui les captive
Tenant une oreille attentive,
En appréhendent la fin.

Toute cette musique n’est autre chose que la voix de l’Amour ! C’est lui qui enseigne le tendre art de plaire aux oiseaux, & chacun d’eux en courtisant sa maitresse, verse son ame toute entiere. D’abord à une distance respectueuse, ils font la roue dans le circuit de l’air, & tâchent par un million de tours d’attirer l’œil rusé de leur enchanteresse, volontairement distraite. Si elle semble ne pas désapprouver leurs vœux, leurs couleurs deviennent plus vives. Animés par l’espérance, ils avancent promptement ; ensuite comme frappés d’une atteinte invisible, ils se retirent en desordre ; ils se rapprochent encore, battent de l’aîle, & chaque plume frissonne de desir. Les gages de l’hymen sont reçus ; les amans s’envolent où les conduisent les plaisirs, l’instinct & le soin de leur sûreté.

Muse, ne dédaigne pas de pleurer tes freres des bois, surpris par l’homme tyran, & renfermés dans une étroite prison. Ces jolis esclaves, privés de l’étendue de l’air, s’attristent ; leur plumage est terni, leur beauté fanée, leur vivacité perdue. Ce ne sont plus ces notes ravissantes qu’ils gazouilloient sur le hêtre. O vous amis des tendres chants, épargnez ces douces lignées, laissez-les jouir de la liberté, pour peu que l’innocence, que les doux accords, ou que la pitié aient de pouvoir sur vos cœurs.

Gardez-vous surtout d’affliger Philomele, en détruisant ses travaux. Cet Orphée des bocages est trop délicat pour supporter les durs liens de la prison. Quelle douleur pour la tendre mere, quand, revenant le bec chargé, elle trouve ses chers enfans dérobés par un ravisseur impitoyable. Elle jette sur le sable sa provision désormais inutile ; son aîle languissante & abattue, peut à peine la porter sous l’ombre d’un peuplier voisin. Là, livrée au désespoir, elle gémit & déplore son malheur pendant des nuits entieres ; elle s’agite sur la branche solitaire ; sa voix toujours expirante s’épuise en sons lamentables. L’écho soupire à son chant, & répete sa douleur. L’homme seul seroit-il insensible ? Ah plutôt qu’il considere que la bonté divine voit d’un œil également compatissant toutes ses créatures !

Que ne puis-je peindre la multitude des bienfaits qu’elle verse à pleines mains sur notre hémisphere dans cette brillante saison ; mais si l’imagination même ne peut suffire à cette tâche délicieuse, que pourroit faire le langage ? Contentons-nous de dire que