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de Nazianze, & pere de l’autre Grégoire & de Césaire. Comme il fut élevé à l’épiscopat vers l’an 329, il résulte que ses deux fils, du moins le cadet, étoient nés depuis l’épiscopat de leur pere. Grégoire de Nisse étoit marié, & c’est un fait qui n’est pas douteux. S. Chrysostome sur la fin du même siecle s’est expliqué d’une maniere bien positive sur le sujet en question, il dit « que quand S. Paul ordonne à Tite, qu’il faut que l’évêque soit mari d’une seule femme ; il vouloit fermer la bouche aux hérétiques qui condamnoient le mariage, & justifier que cet état est si précieux, que quoiqu’on y fut engagé, on pouvoit pourtant être élevé au trône pontifical ». Homil. 2. ad tit. p. 1701.

On trouve un exemple mémorable dans le cinquieme siecle d’un évêque marié, c’est celui de Synésius, élu évêque de Ptolémaïde en Cyrene, par Théophile, patriarche d’Alexandrie. Synésius tâcha de se dispenser d’accepter l’épiscopat ; il déduisit ses raisons dans une lettre à Eutrope son frere, & le pria de rendre publique la protestation suivante : « j’ai une femme que j’ai reçue de Dieu, & de la main sacrée de Théophile ; or je déclare que je ne veux ni me séparer d’elle, ni m’en approcher en cachette comme un adultere : l’abandonner seroit une action contraire à la piété, vivre avec elle en secret, seroit contre la loi ; au contraire, je prierai Dieu qu’il me donne beaucoup d’enfans & vertueux ». Cette protestation n’empêcha pas qu’il ne fût évêque, & qu’il ne fit de grands fruits : il falloit donc que la loi qui impose le célibat ne fût pas établie.

A cet exemple du cinquieme siecle, on peut ajouter celui de S. Hilaire, évêque de Poitiers, qui étoit marié, & qui eut au-moins une fille de son mariage. Jean Gillot, qui a donné une édition de ce pere de l’église en 1572, non-seulement ne disconvient pas du fait, mais il cite même un passage de S. Jérôme, par lequel il paroît qu’il étoit plus ordinaire alors d’élire des évêques mariés que des Evêques dans le célibat, parce que les premiers étoient jugés plus propres à la vie pastorale.

La premiere loi qui imposa le célibat aux ecclésiastiques, fut celle du pape Sirice, élu en 385, & qui siégea jusqu’à l’an 398. Antonin, archevêque de Florence, convient lui-même de cette époque ; mais l’église d’Orient ne reçut point l’ordonnance de l’Occident. Pacien, évèque de Barcelone, qu’on doit aussi mettre entre les évêques mariés, ne faisoit en son particulier aucun cas de cette loi, comme il s’en exprime lui-même. « Siricius, direz-vous, a enseigné cela, mais depuis quand, mon frere ? sous l’empire de Théodose ? C’est-à-dire près de quatre cens après la naissance de J. C. Il s’ensuit de-là que depuis l’avenue de J. C. jusqu’à l’empire de Théodose, personne n’a eu d’intelligence ».

La nouvelle loi de Sirice ne fut d’abord reçue que de peu d’églises. S. Paulin, évêque de Nole, ne se crut point obligé de s’y soumettre, & il appelle l’ordonnance de Sirice une superbe discrétion. Il garda toujours sa femme après avoir été ordonné prétre, & il l’appelloit sa Lucrece ; c’est ce qui paroît par la réponse qu’il fit à Ausone. Ce dernier l’ayant nommé Tanaquille par illusion à l’empire qu’elle avoit sur son mari, dans ces vers.

Si prodi Pauline times, nostroeque vereris
Crimen amicitiæ, Tanaquil tua nesciat istud.

Paulin lui répondit :

. . . Nec Tanaquil mihi, sed Lucretia conjux.

Paulin parle d’un autre prêtre nommé Aper, qui garda sa femme après son ordination. Le pape Innocent I. renouvella la loi de Sirice en 404, mais elle

fut encore mal-observée ; car dans tout le cours de ce siecle, on trouve des ecclésiastiques mariés ; tel est Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont en Auvergne, & tel est Prosper, évêque de Rhége, qui parle ainsi à sa femme.

Age jam, precor, mearum
Comes irremota rerum,
Trepidam brevemque vitam
Domino meo dicamus.

En Orient on s’en tint aux conciles de Nicée & de Gangres, quoiqu’il y eût quelque diversité de coutumes en quelques endroits. « En Thessalie, dit Socrate (hist. ecclés. l. V. c. xxij.), quand un clerc demeure depuis son ordination auprès de la femme avec laquelle il avoit contracté auparavant un légitime mariage, il est déposé ; aulieu qu’en Orient les clercs & les évêques mêmes s’abstiennent de leurs femmes, selon qu’il leur plait, sans y être obligés par aucune loi ni par aucune nécessité ; car il y a eu parmi eux plusieurs évêques, qui depuis qu’ils ont été élevés à cette dignité, ont eu des enfans légitimes de leur mariage ».

Dans le vj. siecle, les lois sur le célibat des prêtres furent plus régulierement observées, du-moins confirmées. Aussi peut-on citer plus de quinze conciles tant de France que d’Espagne, tenus dans ce siecle-là, qui renouvellerent les défenses de tout commerce des ecclésiastiques, tant avec leurs propres femmes qu’avec des femmes étrangeres.

Cette rigueur fut séverement interdite en Orient, non-seulement dans ce siecle, mais dans le suivant, comme il paroit par le xiij. canon du concile de Constantinople, appellé in Trullo. Ce canon porte : « nous savons que dans l’église romaine on tient pour regle que ceux qui doivent être ordonnés diacres ou prêtres, promettent de ne plus avoir de commerce avec leurs femmes ; mais pour nous, suivant la perfection de l’ancien canon apostolique, nous voulons que les mariages des hommes qui sont dans les ordres sacrés, subsistent, sans les priver de la compagnie de leurs femmes dans les tems convenables. Ensorte que si quelqu’un est jugé digne d’être ordonné soudiacre, diacre ou prêtre, il n’en sera point exclu pour être engagé dans un mariage légitime, & dans le tems de son ordination on ne lui fera point promettre de s’abstenir de la compagnie de sa femme, pour ne pas deshonorer le mariage que Dieu a institué & béni par sa présence ». Ce concile étoit composé de quatre patriarches d’Orient & de cent huit évêques de leurs patriarchats ; aussi les Grecs l’ont-ils reconnu pour œcuménique, & ils en suivent encore aujourd’hui les décisions.

Pour ce qui regarde l’Eglise romaine, elle ne relâcha rien de sa sévérité, malgré les oppositions qu’on lui fit de toutes parts ; tantôt ce fut Udalric, évêque d’Ausbourg, dans le ix. siecle, & Pierre Damien sous Nicolas II. & Alexandre II. qui firent sur cette rigueur des remontrances humbles & raisonnées ; ils ne gagnerent rien. Grégoire VII. au contraire étendit cette rigueur sous la peine d’anathême perpétuel ; mais sa constitution fut mal reçue en Allemagne, en France, en Flandres, en Angleterre & en Lombardie. L’opposition fut portée si loin à Cambrai, qu’on y fit brûler un homme qui avoit avancé que les prêtres mariés ne devoient point célébrer la messe ni l’office divin, & qu’on ne devoit pas y assister.

De savans hommes considérant les abus du célibat des prêtres, ont fait dès le xv. siecle plusieurs ouvrages, pour prouver la nécessité de rendre le mariage aux pasteurs. L’archevêque de Palerme, connu sous le nom de Panormitanus, se propose cette question dans son commentaire sur les décrétales, « si l’Egli-