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si elle étoit dejà consacrée par le respect d’une longue suite de siecles. Enfin, il a été révéré au point que la mort ne pouvoit plus lui produire de nouveaux honneurs ; il a vu son apothéose.

Tacite qui a reproché aux Romains leur extrème indifférence pour les grands hommes de leur nation, eût donné aux Anglois la louange toute opposée. En vain, les Romains se seroient-ils excusés sur ce que le grand mérite leur étoit devenu familier ; Tacite leur eût répondu, que le grand mérite n’étoit jamais commun ; ou que même il faudroit, s’il étoit possible, le rendre commun par la gloire qui y seroit attachée ».

En même tems que M. Newton travailloit à son grand ouvrage des principes, il en avoit un autre entre les mains, aussi original, aussi neuf, moins général par son titre, mais aussi étendu par la maniere dont il devoit traiter un sujet particulier. C’est son Optique, ou Traité des réflexions, réfractions, inflexions, & couleurs de la lumiere. Cet ouvrage pour lequel il avoit fait pendant le cours de 30 années, les expériences qui lui étoient nécessaires, parut à Londres pour la premiere fois en 1704, in-4°. La seconde édition augmentée, est celle de 1718, in-8°. & la troisieme de 1721, aussi in-8°. Le docteur Samuel Clarke en donna une traduction latine sur la premiere édition, en 1706, in-4°. & sur la seconde édition en 1719 aussi in-4°. La traduction françoise de M. Coste, faite sur la seconde édition, a été imprimée à Amsterdam en 1720, en 2 vol. in-12.

L’objet perpétuel de l’optique de M. Newton, est l’anatomie de la lumiere, comme le dit M. de Fontenelle. L’expression n’est point trop hardie, ce n’est que la chose même : un très-petit rayon de lumiere qu’on laisse entrer dans une chambre parfaitement obscure, mais qui ne peut être si petit, qu’il ne soit encore un faisceau d’une infinité de rayons, est divisé, disséqué, de façon que l’on a les rayons élémentaires qui le composoient séparés les uns des autres, & teints chacun d’une couleur particuliere, qui après cette séparation ne peut plus être altérée. Le blanc dont étoit le rayon total avant sa dissection, résultoit du mêlange de toutes les couleurs particulieres des rayons primitifs.

« On ne sépareroit jamais ces rayons primitifs & colorés, s’ils n’étoient de leur nature tels qu’en passant par le même milieu, par le même prisme de verre, ils se rompent sous différens angles, & par-là se démêlent quand ils sont reçus à des distances convenables. Cette différente réfrangibilité des rayons rouges, jaunes, verts, bleus, violets, & de toutes les couleurs intermédiaires en nombre infini (propriété qu’on n’avoit jamais soupçonnée, & à laquelle on ne pouvoit guere être conduit par aucune conjecture), est la découverte fondamentale du traité de M. Newton. La différente réfrangibilité amene la différente réflexibilité.

Il y a plus, les rayons qui tombent sous le même angle sur une surface, s’y rompent, & refléchissent alternativement ; espece de jeu qui n’a pu être apperçu qu’avec des yeux extrèmement fins, & bien aidés par l’esprit. Enfin, & sur ce point seul, la premiere idée n’appartient pas à M. Newton ; les rayons qui passent près des extrémités d’un corps, sans le toucher, ne laissent pas de s’y détourner de la ligne droite, ce qu’on appelle inflexion. Tout cela ensemble forme un corps d’optique si neuf, qu’on peut désormais regarder cette science comme entierement dûe à l’auteur ».

M. Newton mit d’abord à la fin de son optique, deux traités de pure géométrie ; l’un de la quadrature des courbes, l’autre un dénombrement des lignes, qu’il appelle du troisieme ordre. Il les en a retranchés

depuis, parce que le sujet en étoit trop différent de celui de l’optique, & on les a imprimés à-part quelques années après. Ce ne seroit plus rien dire, que d’ajouter ici, qu’il brille dans tous ses ouvrages une haute & fine géométrie qui appartenoit entierement à M. Newton.

En 1705, la reine Anne le fit chevalier. Il publia en 1707 à Cambridge, in-8°. son Arithmetica universalis, sive de compositione & resolutione arithmetica, liber. En 1711 son Analysis per quantitatum series, fluxiones & differentias, cum enumeratione linearum tertii ordinis, parut à Londres, in-4°. par les soins de M. Guillaume Jones, membre de la société royale, qui avoit trouvé le premier de ces ouvrages parmi les papiers de M. Jean Collins, qui l’avoit eu du docteur Barrow en 1669. En 1712 on imprima plusieurs lettres de M. Newton dans le Commercium epistolicum D. Joannis Collins, & aliorum de analysi promotâ, jussu societatis regiæ editum. Londres, in-4°.

Il fut plus connu que jamais à la cour, sous le roi Georges I. La princesse de Galles, depuis reine d’Angleterre, a dit souvent en public qu’elle se tenoit heureuse de vivre de son tems, & de le connoître. Il avoit composé un ouvrage de chronologie ancienne, qu’il ne songeoit point à publier ; mais cette princesse à qui il en confia les vues principales, les trouva si neuves & si ingénieuses, qu’elle voulut avoir un précis de tout l’ouvrage, qui ne sortiroit jamais de ses mains, & qu’elle posséderoit seule. Il s’en échappa cependant une copie, qui fut apportée en France par l’abbé Conti, noble vénitien ; elle y fut traduite, & imprimée à Paris, sous le titre d’Abrégé de chronologie de M. le chevalier Newton, fait par lui-même, & traduit sur le manuscrit anglois, avec quelques observations. Cette chronologie abrégée n’avoit jamais été destinée à voir le jour ; mais en 1728 l’ouvrage entier parut à Londres, in-4°. sous ce titre, la chronologie des anciens royaumes, corrigée par le chevalier Isaac Newton, & dédié à la reine par M. Conduit.

Le point principal de ce système chronologique, est de rechercher (en suivant avec beaucoup de subtilité, quelques traces assez foibles de la plus ancienne astronomie grecque), quelle étoit au tems de Chiron le centaure, la position du colure des équinoxes, par rapport aux étoiles fixes. Comme on sait aujourd’hui que ces étoiles ont un mouvement en longitude, d’un degré en soixante-douze ans ; si on sait une fois qu’aux tems de Chiron, le colure passoit par certaines étoiles fixes, on saura, en prenant leur distance à celles par où il passe aujourd’hui, combien de tems s’est écoulé depuis Chiron jusqu’à nous. Chiron étoit du fameux voyage des Argonautes, ce qui en fixera l’époque, & nécessairement ensuite celle de la guerre de Troie, deux grands événemens, d’où dépend toute l’ancienne chronologie. M. Newton les met de 500 ans plus proche de l’ere chrétienne, que ne le font ordinairement les autres chronologistes.

Ce système fut attaqué peu de tems après en France par le P. Souciet, & en Angleterre par M. Shuckford. M. Newton trouva en France même un illustre défenseur, M. la Nauze, qui répondit au P. Souciet dans la continuation des mémoires de littérature & d’histoire. Halley, premier astronome du roi de la grande-Bretagne, répondit à M. Shuckford, dans les Transact. philosoph. n°. 397. & soutint tout l’astronomique du système ; son amitié pour l’illustre mort, & ses grandes connoissances dans la matiere dont il s’agit, tournerent de son côté les regards attentifs des gens de lettres les plus habiles, qui n’ont point encore osé prononcer ; & quand il arriveroit que les plus fortes raisons fussent d’un côté, & de l’autre le nom seul de Newton, peut-être le public resteroit-il encore quelque tems en suspens.