Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/625

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

véritable, sur-tout depuis son regne.

Amoureux d’Anne de Boulen, il se proposa de l’épouser, & de faire un divorce avec sa femme Catherine. Il sollicita par son argent les universités de l’Europe d’être favorables à son amour. Muni des approbations théologiques qu’il avoit achetées, pressé par sa maîtresse, lassé des subterfuges du pape, soutenu de son clergé, maître de son parlement, & de plus encouragé par François I. il fit casser son mariage, en 1533, par une sentence de Cranmer, archevèque de Cantorbery.

Le pape Clément VII. enorgueilli des prérogatives du saint siege, & fortement animé par Charle-Quint, s’avisa de fulminer contre Henri VIII. une bulle, par laquelle il perdit le royaume d’Angleterre. Henri se fit déclarer par son clergé chef suprême de l’église angloise. Le parlement lui confirma ce titre, & abolit toute l’autorité du pape, ses annates, son denier de saint Pierre, & les provisions des bénéfices. La volonté d’Henri VIII. fit toutes les lois, & Londres fut tranquille, tant ce prince terrible trouva l’art de se rendre absolu. Tyran dans le gouvernement, dans la religion, & dans sa famille, il mourut tranquillement dans son lit, en 1547, à 57 ans, après en avoir regné 37.

On vit dans sa derniere maladie, dit M. de Voltaire, un effet singulier du pouvoir qu’ont les lois en Angleterre, jusqu’à ce qu’elles soient abrogées ; & combien on s’est tenu dans tous les tems à la lettre plutôt qu’à l’esprit de ces lois. Personne n’osoit avertir Henri de sa fin prochaine, parce qu’il avoit fait statuer, quelques années auparavant par le parlement, que c’étoit un crime de haute-trahison de prédire la mort du souverain. Cette loi, aussi cruelle qu’inepte, ne pouvoit être fondée sur les troubles que la succession entraîneroit, puisque cette succession étoit réglée en faveur du prince Edouard : elle n’étoit que le fruit de la tyrannie de Henri VIII. de sa crainte de la mort, & de l’opinion où les peuples étoient encore, qu’il y a un art de connoître l’avenir.

La grosseur des doigts de ce prince étoit devenue si considérable, quelque tems avant son decès, qu’il ne put signer l’arrêt de mort contre le duc de Norfolck ; par bonheur pour ce duc, le roi mourut la nuit qui précéda le jour qu’il devoit avoir la tête tranchée ; & le conseil ne jugea pas à-propos de procéder à l’exécution d’un des plus grands seigneurs du royaume.

Henri VIII. avoit eu six femmes ; Catherine d’Aragon, répudiée ; Anne de Boulen, décapitée ; Jeanne Seymour, morte en couches ; Anne de Clèves, répudiée ; Catherine Howard, décapitée ; & Catherine Pare, qui épousa Thomas Seymour, grand-amiral. François I. lui fit faire un service à Notre Dame, suivant l’usage, dit M. de Thou, établi par les rois, quoi qu’il fut mort sépare de l’église.

Je trouve qu’il s’est passé sous le regne d’Henri VIII. plusieurs événemens qui méritoient d’entrer dans l’histoire de M. de Rapin : j’en citerai quelques-uns pour exemples.

En 1527, le roi etant à la chasse de l’oiseau, & voulant sauter un fossé avec une perche, tomba sur la tête, & si un de ses valets-de-pié, nommé Edmond Moody, n’étoit accouru, & ne lui avoit pas levé la tête qui tenoit ferme dans l’argile, il y auroit étouffé.

La 24e année du regne de ce prince, on bâtit son palais de Saint-James. Dans la 25e, on institua la présidence pour le gouvernement du nord d’Angleterre. Dans la 28e, le pays de Galles, qui avoit été province de la nation angloise, devint un membre de la monarchie, & fut soumis aux mêmes lois fondamentales.

L’an 30 de ce regne, l’invention de jetter en fonte des tuyaux de plomb pour la conduite des eaux, fut trouvée par Robert Brook, un des aumôniers du roi ; Robert Cooper, orfevre, en fit les instrumens, & mit cette invention en pratique. L’an 25 du même regne, les premieres pieces de fer fondu qu’on ait jamais fait en Angleterre, furent faites à Backstead, dans le comté de Sussex, par Rodolphe Paye, & Pierre Baude.

Sur la fin de ce regne, on supprima les lieux publics de débauches, qui avoient été permis par l’état. C’étoit un rang entier de maisons tout le long de la Thamise, au fauxbourg de Southwarck, au nombre de seize, distinguées par des enseignes. Sous le regne de Henri II. on avoit fait au sujet de ces maisons divers réglemens de police, qu’on peut voir dans la description de Londres par Stow. Cambden croit qu’on nommoit ces maisons stews, à cause des viviers qui en étoient proche, où l’on nourrissoit des brochets & des tanches.

Le corps de Henri VIII. est enseveli à Windsor, sous un tombeau magnifique de cuivre doré, mais qui n’est pas encore fini.

Charles I. (dit M. Hume, dont je vais emprunter le pinceau), étoit de belle figure, d’une physionomie douce, mais mélancolique. Il avoit le teint beau, le corps sain, bien proportionné, & la taille de grandeur moyenne. Il étoit capable de supporter la fatigue, excelloit à monter à cheval, & dans tous les autres exercices. On convient qu’il étoit mari tendre, pere indulgent, maître facile, en un mot, digne d’amour & de respect. A ces qualités domestiques, il en joignoit d’autres qui auroient fait honneur à tout particulier. Il avoit reçu de la nature du goût pour les beaux arts, & celui de la peinture faisoit sa passion favorite.

Son caractere, comme celui de la plûpart des hommes, étoit mêlé ; mais ses vertus l’emportoient sur ses vices, ou pour mieux dire sur ses imperfections ; car parmi ses fautes, on en trouveroit peu qui méritassent justement le nom de vice.

Ceux qui l’envisagent en qualité de monarque, & sous le point de vue le plus favorable, assurent que sa dignité étoit sans orgueil, sa douceur sans foiblesse, sa bravoure sans témérité, sa tempérance sans austérité, son économie sans avarice. Ceux qui veulent lui rendre une justice plus sévere, prétendent que plusieurs de ses bonnes qualités étoient accompagnées de quelque défaut, qui leur faisoit perdre toute la force naturelle de leur influence. Son inclination bienfaisante étoit obscurcie par des manieres peu gracieuses ; sa piété avoit une bonne teinture de superstition. Il deféroit trop aux personnes de médiocre capacité, & sa modération le garantissoit rarement des résolutions brusques & précipitées. Il ne savoit ni céder aux emportemens d’une assemblée populaire, ni les réprimer à-propos ; la souplesse & l’habileté lui manquoient pour l’un, & la vigueur pour l’autre.

Malheureusement son sort le mit sur le trône dans un tems où les exemples de plusieurs regnes favorisoient le pouvoir arbitraire, & où le cours du génie de la nation tendoit violemment à la liberté. Dans un autre siecle, ce monarque auroit été sûr d’un regne tranquille ; mais les hautes idées de son pouvoir dans lesquelles il avoit été nourri, le rendirent incapable d’une soumission prudente à cet esprit de liberté qui prévaloit si fortement parmi ses sujets. Sa politique ne fut pas soutenue de la vigueur & de la prévoyance nécessaires pour maintenir sa prérogative au point où il l’avoit élevée. Enfin, exposé sans cesse aux assauts d’une multitude de factions furieuses, implacables, fanatiques, ses méprises & ses fautes eurent les plus fatales conséquences. Trop ri-