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notre île ; elle seule embellit nos rochers & nos sombres montagnes ».

Il recueillit les matériaux de ses dialogues sur les médailles, dans le pays même des médailles. Cette piece a été publiée par M. Tickell, qui a traduit la plus grande partie des citations latines en anglois, pour l’usage de ceux qui n’entendent point les langues savantes. On y trouve quantité de choses curieuses sur les médailles, écrites avec tout l’agrément que permet la forme de dialogue ; & on a mis à la tête un poëme de M. Pope.

Il le commence par cette réflexion : que les plus beaux monumens, les arcs de triomphe, les temples, les tombeaux, ont été détruits ou par l’injure des tems, ou par les irruptions des barbares, ou par le zele des chrétiens ; & que les médailles seules conservent la mémoire des plus grands hommes de l’antiquité. Mais delà il prend occasion de railler finement les excès dans lesquels quelques curieux sont tombés sur ce sujet. « Le pâle antiquaire, dit-il, fixe ses regards attentifs, & regarde de près ; il examine la légende & vénere la rouille ; c’est un vernis bleu qui la rend sacrée. L’un travaille à acquérir un Pescennius ; l’autre dans ses rêveries croit tenir un Cécrops ; le pauvre Vadius depuis long-tems savammant hypochondre, ne peut goûter de plaisir, tant qu’un bouclier qu’il voudroit considérer n’est pas net ; & Curion inquiet à la vue d’un beau revers, soupire après un Othon, tandis qu’il oublie sa mariée. » Pope s’adresse ensuite à M. Addisson, de la maniere suivante : « la vanité est leur partage, & le savoir le tien. Retouchée de ta main, la gloire de Rome brille d’un nouvel éclat ; ses dieux & ses héros reparoissent avec honneur ; ses guirlandes flétries refleurissent. Etude attrayante, elle plaît à ceux que la poésie charme : les vers & la sculpture se donnent la main ; un art prête des images à l’autre ».

Addisson mit au jour en 1704 son poëme, intitulé la Campagne, sur les succès du duc de Marlborough, où se trouve la comparaison si fort applaudie de l’ange.

En ce jour, le plus grand de sa noble carriere,
L’ame de Marlborough se montre toute entiere,
Ferme, & sans s’émouvoir dans le choc furieux,
Qui porte la terreur & la mort en tous lieux ;
Il voit tout, pense à tout, & sa haute prudence
Ne laisse en nul endroit desirer sa présence.
Il soutient au besoin tous les corps ébranlés ;
Les fuyards au combat par lui sont rappellés ;
Et tranquille toujours dans le sein de l’orage
Qu’excitent sous ses loix, le dépit, & la rage,
Il en regle à son gré les divers mouvemens.
« Tel l’ange du seigneur, lorsque les élemens
Par lui sont déchainés contre un peuple coupable,
Et que des ouragans le tonnerre effroyable
Gronde ; comme n’aguére Albion l’entendit :
Pendant que dans les airs d’éclats tout retentit,
Le ministre du ciel, calme, & serein lui-même,
Sous les ordres vengeurs du monarque supréme,
Des bruyans tourbillons anime le courroux,
Et des vents qu’il conduit, dirige tous les coups. »

On ne peut opposer à la beauté de cette peinture, que le morceau encore plus beau du paradis perdu de Milton, l. b. où il représente le fils de Dieu chassant du ciel les anges rebelles, vers VI. 825-855.

On sait qu’Addisson a eu beaucoup de part au Tatler ou Babillard ; au Spectateur, & au Guardian ou Mentor moderne, qui parurent dans les années 1711, 1712, 1713, & 1714. Les feuilles de sa main dans le Spectateur, sont marquées à la fin par quelques unes des lettres du mot de Clio. Le cheva-

lier Steele dit spirituellement à la tête du Babillard.

« Le plus grand secours que j’ai eu, est celui d’un bel-esprit, qui ne veut pas me permettre de le nommer. Il ne sauroit pourtant trouver mauvais que je le remercie des services qu’il m’a rendus ; mais peu s’en faut que sa générosité ne m’ait été nuisible. Il regne dans tout ce qu’il écrit, tant d’invention, d’enjoument & de savoir, qu’il m’en a pris comme aux princes, que le malheur de leurs affaires oblige à implorer la protection d’un puissant voisin : j’ai été presque détruit par mon allié ; & après l’avoir appellé à mon secours, il n’y a plus eû moyen de me soutenir sans lui. C’est de sa main que viennent ces portraits si finis d’hommes & de femmes, sous les différents titres des instrumens de Musique, de l’embarras des nouvellistes, de l’inventaire du théatre, de la description du thermometre, qui sont, les principales beautés de cet ouvrage ».

En 1713, M. Addison donna sa tragédie de Caton, dont j’ai déja parlé ailleurs, Pope en fit le prologue, & le docteur Garth l’épilogue. Elle a été traduite en italien par l’abbé Salvini, & c’est la meilleure de toutes les traductions qu’on en ait faites.

Le roi nomma Addisson secrétaire d’état en 1717, mais sa mauvaise santé l’obligea bien-tôt de résigner cet emploi. Il mourut en 1719 à 47 ans, & fut enterré dans l’abbaye de Westminster. Mylord Halifax l’avoit recommandé au roi, pour le secrétariat, & madame Manley n’a pas manqué de témoigner sa douleur, de ce que ce beau génie avoit quitté les lettres pour la politique. « Quand je considere, dit-elle, dans la galerie de Sergius, (mylord Halifax,) je ne puis lui refuser quelque chose qui approche d’une priére, comme une offrande que lui doivent tous ceux qui lisent ses écrits. Qu’il est triste que de misérables intérêts l’ayent détourné des routes de l’Hélieon, l’ayent arraché des bras des muses, pour le jetter dans ceux d’un vieux politique artificieux ! pourquoi faut-il qu’il air préféré le gain à la gloire, & le parti d’être un spectateur inutile, à celui de célébrer ces actions, qu’il sait si dignement caractériser, & embellir ! comment a-t-il pu détourner ses yeux de dessus les jardins du parnasse dont il étoit en possession, pour entrer dans le triste labyrinthe des affaires. Adieu donc, Maron (nom qu’elle donnoit à M. Addisson), tant que vous n’abandonnerez pas votre artificieux protecteur, il faut que la renommée vous abandonne ».

Un grand poëte de notre tems a été accusé d’amis au jour après la mort de M. Addisson, une critique amere & pleine d’esprit contre lui. Voici ce qui le regarde dans cette piece, où l’on attaque aussi d’autres écrivains.

Laissons de pareils gens en paix ! mais s’il se trouvoit un homme inspiré par Apollon lui-même, & par la gloire, enrichi de toutes sortes de talens, & de tout ce qu’il faut pour plaire ; né pour écrire avec agrément, & pour faire trouver des charmes dans son commerce ; porteroit-il l’ambition jusqu’à ne pouvoir souffrir, à l’exemple des Ottomans, un frere près du trône ? Le regarderoit-il avec mépris, ou même avec frayeur ? Le hairoit-il, parce qu’il appercevroit en lui les mêmes qualités qui ont servi à sa propre élévation ? Le blameroit-il, en feignant de le louer ? Lui applaudiroit-il en le regardant de mauvais-œil ? & apprendroit-il aux autres à rire, sans sourire lui-même ? Souhaiteroit-il de blesser, tandis qu’il craindroit de porter le coup ? Habile à démêler les fautes, seroit-il timide à les désapprouver ? Seroit-il également réservé à distribuer le blâme & la louange, ennemi craintif,