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dont la mémoire subsiste encore à Westminster ».

Il importe de remarquer dans ces lois d’Alfred, qu’on y ménageoit davantage la vie, qu’on n’a fait dans celles des derniers siecles, par lesquelles on statue souvent la peine de mort pour des crimes assez légers : au-lieu que dans les lois saxones, les peines les plus rigoureuses, étoient la perte de la main pour sacrilége. On punissoit de mort le crime de trahison, soit de haute trahison contre le roi, soit de basse trahison contre la personne d’un comte, ou d’un seigneur d’un rang inférieur. On étoit aussi coupable de mort, mais sous le bon plaisir du roi, lorsqu’on se battoit, ou qu’on prenoit les armes à la cour ; mais toutes ces peines pouvoient se changer en amendes. Voici les regles qu’on observoit : chaque personne, depuis le roi jusqu’à un esclave ; & chaque membre du corps étoient taxés à un certain prix. Lors donc qu’on avoit tué quelqu’un, ou qu’on lui avoit fait quelque injure, on étoit obligé de payer une amende proportionnée à l’estimation faite de la personne tuée, ou offensée : en cas de meurtre involontaire, l’amende se nommoit Weregile. Voyez Weregile.

Par rapport aux autres fautes moins considérables, quand on ne payoit point la taxe fixée, on observoit la loi du talion, œil pour ail, dent pour dent ; quelquefois aussi la peine étoit la prison : mais la plus ordinaire, ou plutôt la seule en usage par rapport aux paysans, étoit le fouet. Par une autre loi, il étoit défendu d’acheter homme, cheval, ou bœuf, sans avoir un répondant, ou garant du marché. Il paroît de-là, que la condition des paysans étoit très-désavantageuse du tems d’Alfred, & qu’un homme n’étoit pas moins maître de ses esclaves, que de ses bestiaux.

Quiconque se rendoit coupable de parjure, & refusoit de remplir les engagemens contractés par un serment légitime, étoit obligé de livrer ses armes, & de remettre ses biens entre les mains d’un de ses parens, après quoi il passoit 40 jours en prison, & subissoit la peine qui lui étoit imposée par l’évêque. S’il résistoit, & refusoit de se soumettre, on confisquoit ses biens ; s’il se déroboit à la justice par la suite, il étoit déclaré déchu de la protection des lois, & excommunié ; & si quelqu’un s’étoit porté pour caution de sa bonne conduite, la caution en cas de défaut, étoit punie à discrétion par l’évêque.

Celui qui débauchoit la femme d’un autre qui avoit douze cens schelings de bien, étoit contraint d’en payer au mari cent vingt : quand le bien de l’offenseur étoit au-dessous de cette somme, l’amende étoit aussi moins forte ; & quand le coupable n’étoit pas riche, on vendoit ce qu’il avoit, jusqu’à concurrence pour payer. C’est encore Alfred qui établit l’obligation de donner caution de sa bonne conduite, ou de se remettre en prison, au défaut de caution.

On voit par les lois de ce prince, que les rois Saxons se regardoient comme les souverains immédiats du clergé, aussi-bien que des laïques ; & que l’Eglise n’étoit pas sur le pié d’être réputée un corps distinctif de l’état, soumis seulement à une puissance ecclésiastique étrangere, exempt de la jurisdiction, & indépendant de l’autorité du souverain, ainsi qu’Anselme, Becket, & d’autres, le prétendirent dans la suite ; mais que comme les ecclésiastiques étoient au nombre des sujets du roi, leurs personnes & leurs biens étoient aussi sous sa protection seule, & ils étoient responsables devant lui de la violation de ses lois. Alfred & Edouard n’imaginerent pas que ce fût troubler le moins du monde la paix de l’église, que d’observer le cours ordinaire de la justice à l’égard d’un ecclésiastique, puisque dans le premier article de leurs lois, ces princes confirment solemnellement la paix de l’église ; & que dans les sui-

vans ils font divers réglemens concernant la religion.

C’est Alfred qui introduisit la maniere de juger par les jurés, belle partie des lois d’Angleterre, & la meilleure qui ait encore été imaginée, pour que la justice soit administrée impartialement ! Ce grand homme convaincu que l’esprit de tyrannie & d’oppression est naturel aux gens puissans, chercha les moyens d’en prévenir les sinistres effets. Ce fut ce qui l’engagea à statuer que les thanes ou barons du roi seroient jugés par douze de leurs pairs ; les autres thanes par onze de leurs pairs, & par un thane du roi ; & un homme du commun par douze de ses pairs.

Tacite rapporte que parmi les anciens germains, & par conséquent parmi les Saxons, les jugemens se faisoient par le prince, assisté de cent personnes de la ville, qui donnoient leurs suffrages, soit de vive voix, soit par le frottement de leurs armes. Cet usage cessa peu-à-peu. D’abord le nombre fut réduit de cent personnes à douze, qui conserverent cependant les mêmes droits, & qui avoient une autorité égale à celle du gouverneur & de l’évêque. Dans la suite, il arriva que ces douze personnes, qui étoient ordinairement des gens de qualité, trouvant que les affaires qui se portoient devant eux ne méritoient guere leur attention, tomberent dans la négligence : enfin à la longue cette coutume s’abolit. Alfred y substitua l’usage, qui subsiste encore en Angleterre : c’est que douze personnes libres du voisinage, après avoir prêté serment, & oui les témoins, prononcent si l’accusé est coupable ou non. Il semble qu’Alfred ait étendu cette sorte de procédure, qui n’avoit lieu que dans les causes criminelles, aux matieres civiles.

Il partagea le royaume en shires ou comtés ; les comtés contenant diverses centaines de familles, en certaines, appellées hundreds, & chaque centaine en dixaines.

Les causes qui ne pouvoient se décider devant le tribunal des centaines, étoient portées à un tribunal supérieur, composé ordinairement de trois cens, dont le chef se nommoit trihingerfas. Cette division cessa, pour la plus grande partie, après la conquête des Normands : on en voit pourtant encore des traces dans les Ridings de la province d’Yorck, dans les Lathes ou canons de celle de Kent, & dans les trois districts du comté de Lincoln, Lindsey, Resteven & Holland. Ces divisions furent faites, pour que chaque particulier fût plus directement sous l’inspection du gouvernement, & pour qu’on pût avec plus de certitude, rechercher, selon les lois, les fautes qu’il faisoit.

Les dixaines étoient ainsi nommées, parce que dix familles formoient un corps distinct ; les dix chefs de ces familles étoient obligés de répondre de la bonne conduite les uns des autres : en général les maîtres répondoient pour leurs domestiques, les maris pour leurs femmes, les peres pour leurs enfans au-dessous de quinze ans ; & un pere de famille pour tous ceux qui lui appartenoient. Si quelqu’un de la dixaine menoit une vie qui fit naître quelque soupçon contre lui, on l’obligeoit à donner caution pour sa conduite, mais s’il ne pouvoit pas trouver de caution, sa dixaine le faisoit mettre en prison, de peur d’être elle-même sujette à la peine, en cas qu’il tombât dans quelque faute. Ainsi les peres répondant pour leurs familles, la dixaine pour les peres, la centaine pour les dixaines, & toute la province pour les centaines, chacun étoit exact à veiller sur ses voisins. Si quelqu’étranger, coupable d’un crime, s’étoit évadé, on s’informoit exactement de la maison où il avoit logé, & s’il y avoit demeuré plus de trois jours, le maître de la maison étoit condamné à l’a-