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Voici encore un autre indice non moins assuré que ceux que je viens de rapporter, pour reconnoître le moment précis où il faut couver. On met sur les grappes une plaque de cuivre chauffée, posée de plat à un des côtés du vase, & qu’on couvre de grappes ; elle se change en six heures de tems en un verd d’éméraude ; & au bout de deux jours on découvre sur la partie verte de cette lame, quelques taches blanchâtres qui indiquent sûrement, comme je l’ai éprouvé, que la fermentation a atteint le degré requis.

Le nombre des jours ne décide rien pour cette fermentation ; la saison, l’air, la qualité du vin l’accélerent plus ou moins ; en été, elle est parfaite dans trois jusqu’à dix jours, tandis qu’en hiver il faut douze, quinze, vingt jours & quelquefois davantage.

Dans cette fermentation, les grappes se chargent des parties du vin qui ont la propriété de dissoudre le cuivre. Quand elles en sont bien chargées, & qu’on le reconnoit aux signes que nous avons donnés, on rejette le vin qui est devenu vinasse (c’est à-dire un foible vinaigre). On laisse égoutter un moment les grappes sur une corbeille en les mêlant bien ; puis on les range dans les vases couche par couche avec les lames de cuivre qu’on a fait chauffer, observant que la premiere & la derniere couche soient de grappes ; ensuite on couvre le vaisseau avec le même couvercle.

Lorsqu’on a ainsi rangé les lames de cuivre avec les grappes, on les laisse pendant trois ou quatre jours, & quelquefois davantage ; on a soin cependant de les visiter de tems-en-tems pour reconnoître le moment où l’on doit retirer les lames de cuivre. On les retire lorsqu’on apperçoit sur celles qui ont verdi, des points blancs qui ne sont qu’une crystallisation, comme nous le dirons. Les particuliers qui font du verd-de-gris, disent qu’alors les lames se cotonnent. Le mot cotonner est encore un terme de l’art. Lorsqu’on apperçoit ces points blancs, il faut tout-de-suite retirer du vase les lames de cuivre ; si on les y laisse plus long-tems, toute la partie verte se détache des lames, tombe dans le vase, & s’attache si intimement aux grappes, qu’il est fort difficile de la recueillir.

Quand on examine attentivement les grappes qui ont servi à cette préparation ; & que les particuliers font sécher à cause qu’elles sont trop grasses, on y voit des parties de verd-de-gris qui viennent de ce qu’on a laissé les lames trop long-tems avec les grappes dans les vases.

Il faut remarquer que les grappes qui ont servi, ne demandent plus la préparation qu’on fait aux neuves : préparation qui, comme on l’a déja dit, consiste à les faire tremper dans de la vinasse ou dans du vin. Cette préparation seroit nécessaire si les grappes s’étoient engraissées ; dans ce cas, après les avoir fait sécher, on les prépare comme si elles n’avoient jamais servi. Nous avons dit que les grappes s’engraissent lorsqu’elles sont enduites d’une huile mucilagineuse, qui est un des plus grands obstacles de la formation du verd-de-gris ; sur quoi je remarquerai ici en passant, qu’on doit être fort attentif à ne point serrer les grappes dans les endroits où il y a de l’huile, & à ne les point envelopper dans les linges qui en ont été imbibés ; comme aussi il ne faut jamais mettre des substances grasses, huileuses, dans les pots qui doivent servir à cette opération.

Les femmes connoissent si fort le dommage que l’huile peut porter à leur travail, qu’elles ne descendent jamais avec une lampe dans les caves où elles préparent le verd-de-gris ; elles se servent de chandelle ; une seule goutte d’huile qui seroit tombée par mégarde dans le vase leur feroit perdre le produit de ce vase. L’expérience d’une dame de cette ville, qui

fait faire une grande quantité de verd-de-gris, prouve incontestablement ce fait. Un domestique qui portoit du vin à la cave dans un grand chauderon, y laissa tomber une lampe pleine d’huile ; on ne s’apperçut de cet accident qu’après avoir mis du vin dans plusieurs vases ; lorsqu’on voulut juger du degré de fermentation, on trouva les grappes & les vases engraissés au point qu’on fut oblige de jetter le vin & les grappes, & de faire écurer les pots.

Je reviens à la suite de l’opération : dès que les lames se cotonnent, on les tire du vase, & on les range sur un de leurs côtes à un coin de la case, où on les laisse pendant trois ou quatre jours (cela s’appelle mettre au relais). Elles se sechent pendant ce tems-là ; alors on les trempe par leurs côtés dans la vinasse ; mais la plûpart les trempent aujourd’hui avec l’eau, de maniere qu’il n’y ait que leur extrémité qui y soit plongée ; on les laisse égoutter en les tenant quelque tems suspendues ; puis on les range dans leur premier ordre pour les faire sécher, & on renouvelle à trois reprises cette manœuvre, en observant de mettre huit jours d’une trempe à l’autre. Lorsque les lames de cuivre sont seches, quelques-uns les trempent dans du vin ; d’autres, comme je l’ai déja dit, les trempent dans l’eau ; par-là ceux-ci ont un verd-de-gris plus humide, plus pesant, moins adhérent à la lame, & conservent même leurs lames, qui sont moins rongées par l’acide du vin affoibli par l’eau. Le verd-de-gris ainsi nourri est moins coloré & inférieur à l’autre, pour les différens usages auxquels on l’emploie : c’est ce qui a déterminé M. l’intendant de la province à défendre cette manœuvre par une ordonnance où il enjoint de se servir du vin ou de vinasse pour humecter les lames : c’est ce qu’on appelle vulgairement nourrir le verd-de-gris.

Lorsque les plaques de cuivre sont au relais, plusieurs particuliers les enveloppent d’une toile fort claire mouillée d’un peu de vin, & d’autres les arrosent de tems-en-tems, & les entourent de grappes.

Les tems du relais & de la nourriture du verd-de-gris est ordinairement de 24 à 30 jours. Le seul coup-d’œil décide de sa perfection, qui est plus ou moins avancée, selon que la dissolution du cuivre a été plus ou moins parfaite. Cette opération dépend de tant de circonstances, qu’il seroit trop long de les rapporter dans cet article. Je renvoie mes lecteurs au second mémoire que j’ai donné sur le verd-de-gris. Mémoires de l’acad. royale des Sciences de Paris, année 1753.

Au relais, la matiere dissoute se gonfle, s’étend & forme une espece de mousse unie, verte, qu’on racle soigneusement avec un couteau émoussé : cette mousse s’appelle verd-de-gris ou verdet.

Dès qu’on a exactement raclé les lames, les uns les exposent à l’air libre pour les faire sécher ; les autres les font sécher & chauffer dans un fourneau fait exprès qu’ils ont à leur cave, & les préparent par-là pour une seconde opération.

Les lames de cuivre, par les dissolutions réitérées, perdent considérablement de leur masse, & deviennent peu propres à cette opération, non qu’elles ne soient aisées à dissoudre, mais parce qu’étant réduites en lames extrèmement minces, elles ne peuvent plus être raclées sans se plier & se rompre par quel qu’un de leurs côtés ; alors on les vend aux Chaudronniers qui les fondent pour leur usage.

Nous remarquerons que quand on fait du verd-de-gris, il ne faut pas se contenter d’avoir le nombre de lames de cuivre qui peuvent être contenues dans les vases, il faut en avoir un pareil nombre de réserve ; ainsi chaque pot contenant cent lames de cuivre, il faut, pour faire un pot de verd-de-gris, avoir deux cens lames, pour deux pots quatre cens lames, & de cette façon les vaisseaux & les grappes ne restent pas oisifs, & on fait dans le même tems