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te qu’on croit qu’il eût rendu les lettres tout-à-fait barbares, s’il ne fût mort dans la deuxieme année de sa suprème dignité. Valérianus dit gentiment, qu’il usoit de ce mauvais traitement contre les plus beaux esprits de son siecle, avec le même goût dont il préféroit la merluche de ses Pays-bas, aux meilleurs poissons qui se mangeassent en Italie.

Autre sujet de haine, c’est qu’il ne dissimula point les abus introduits dans l’Eglise, & qu’il les reconnut publiquement dans son instruction au nonce qui devoit parler de sa part à la diete de Nuremberg. Il y déplora la mauvaise vie du clergé, & la corruption des mœurs qui avoit paru dans la personne de quelques papes. Quand il canonisa Antonin & Bennon, non-seulement il retrancha les dépenses ordinaires dans ces sortes de cérémonies, mais il les défendit comme contraires à la sainteté de l’Eglise. Ses successeurs n’ont pas été de son sentiment, ils ont toléré dans les canonisations la pompe mondaine jusqu’à des excès qui ont choqué le menu peuple.

L’histoire nous apprend, pour en citer un exemple, que tout le monde fut scandalisé dans Paris, l’an 1622, de la magnificence avec laquelle les carmes déchaussés y célébrerent la canonisation de sainte Thérese. Voyez le petit livre qui parut alors, & qui est intitulé le caquet de l’accouchée. « Pour moi, (dit dans ce livre la femme d’un avocat du grand conseil) j’eusse été d’avis de mettre toutes ces superfluités à la décoration de l’église de ces moines ; à tout le moins cela leur fût demeuré, & les eût-on estimé davantage ; sans faire évaporer tant de richesses en fumée, cela eût allumé le feu de dévotion dans le cœur de ceux qui les eussent visités ».

On peut dire qu’à tous égards, Hadrien eut très peu de satisfaction de la couronne papale ; elle étoit pour lui très-pesante, & il connoissoit trop mal le génie des Italiens, pour ne leur pas déplaire en mille choses. Les nouvelles qu’il apprenoit tous les jours des progrès des Ottomans, & son peu d’expérience dans les affaires, le chagrinerent au point de s’écrier qu’il avoit eu plus de plaisir à gouverner le college de Louvain, que toute l’égsise chrétienne. L’ambassadeur de Ferdinand lui ayant demandé audience, commença ainsi sa harangue : Fabius maximus, sanctissime pater, rem romanam cunctando restituit, tu verò pariter cunctando, rem romanam, simulque europam perdere contendis. Ce début déconcerta le pontife, & les cardinaux qui ne l’aimoient pas penserent éclater de rire. Il mourut le 14 de Septembre 1523. Sa vie a été amplement décrite par Moringus, théologien de Louvain.

Hadrien a mis au jour, avant son exaltation, quelques ouvrages, entr’autres un commentaire sur le maitre des sentences. Il soutenoit dans ce commentaire que le pape peut errer même dans les choses qui appartiennent à la foi, & l’on prétend qu’il ne changea point d’opinion quand il fut assis sur la chaire de S. Pierre (comme fit Pie II.) car il laissa subsister cet endroit de son livre, dans l’édition qui s’en fit à Rome durant son pontificat.

Henri V. est mort à Utrecht en 1125, à 44 ans, sans laisser de postérité. Voici le précis de sa vie par M. de Voltaire. Après avoir détrôné & exhumé son pere, en tenant une bulle du pape à la main, il soutint dès qu’il fut empereur, les mêmes droits de Henri IV. contre l’Eglise. Réuni d’intérêt avec les princes de l’empire, il marche à Rome à la tête d’une armée, fait prisonnier le pape Paschal II. & l’oblige de lui rendre les investitures, avec serment sur l’évangile de les lui maintenir. Paschal étant libre, fait annuller son serment par les cardinaux ; nouvelle maniere de manquer à sa parole. Henri se propose d’en tirer vengeance ; il est excommunié ; les Saxons

se soulevent contre lui, & taillent ses troupes en pieces près de la forêt de Guelphe. Enfin craignant de périr aussi misérable que son pere, & le méritant bien davantage, il s’accommode en 1523, avec le pape Calixte II. & lui cede ses prétentions. Cet accommodement consistoit en ce que l’empereur consentit à ne plus donner l’investiture que par le sceptre, c’est-à-dire par la puissance royale, au-lieu qu’auparavant il la donnoit par la crosse & par l’anneau.

Ayant terminé à son préjudice cette longue querelle avec les pontifes de Rome, il entre en Champagne, pour se venger d’un affront qu’il prétendoit y avoir reçu dans un concile tenu à Rheims, où il avoit été excommunié à l’occasion des investitures. Le roi rassemble tous ses vassaux : tout marcha, jusqu’aux ecclésiastiques ; & Suger, abbé de saint-Denis, s’y trouva avec les sujets-de cette abbaye ; l’armée étoit de plus de deux cens mille hommes ; l’empereur n’ose pas se commettre contre de si grandes forces ; il se retire à la hâte, & se rend à Utrecht, où il finit ses jours, détesté de tout le monde, accablé des remords de sa conscience, & rongé d’un ulcère gangréneux qu’il avoit au bras droit.

Je me hâte de passer aux savans nés à Utrecht ; mais je dois me borner à faire un choix entre eux, dont M. Gaspard Burman a donné la vie dans son ouvrage intitulé : Trajectum eruditum, Traj. ad Rhenum, 1738. prem. édit. & 1750. in-4o. Cet ouvrage est plein de recherches, & personne n’ignore combien messieurs Burman, tous nés à Utrecht, brillent dans la littérature.

Heurnius (Jean & Otto), pere & fils, étoient deux savans médecins du seizieme siecle. Jean naquit à Utrecht en 1543, & mourut de la pierre en 1601, âgé de cinquante-huit ans. Il étudia à Louvain, à Paris, à Padoue, à Pavie, & revint dans sa patrie après une absence de douze années. Lorsque l’université de Leyde eut été fondée en 1581, Heurnius y fut appelle pour remplir une chaire de médecine ; & c’est dans ce poste qu’il a passé les vingt dernieres années de sa vie, avec beaucoup de réputation.

Un historien hollandois rapporte une anecdote curieuse sur son esprit dans la pratique de la médecine. Il s’agissoit de la princesse Emilie, qui épousa dom Emanuel de Portugal, fils du roi Antoine de Portugal, dépossedé par Philippe II. roi d’Espagne. Ce prince Emanuel, qui étoit catholique, gagna l’esprit d’Emilie de Nassau, par ses cajolleries & par sa gentillesse ; elle le prit pour mari, tout pauvre qu’il étoit, & de religion contraire ; & quoique le prince Maurice son frere s’opposât fortement à ce mariage, qu’il ne croyoit pas avantageux ni à l’un ni à l’autre.

Après l’avoir fait, la princesse tomba malade, refusant de prendre aucune nourriture, de-sorte qu’on craignit qu’elle ne se laissât mourir de faim. Les états généraux appellerent Heurnius, pour veiller à la vie de la princesse. Il ne gagna d’abord rien sur son esprit ; mais comme il étoit doux, honnête & ingénieux, il tint à la princesse le discours suivant.

Je suis désesperé, madame, de votre état & du mien ; V. G. qui est pleine de bonté, pourroit me rendre un service, & s’en rendre à elle-même. En quoi ? lui dit-elle. Ce seroit, reprit-il, en suivant mes avis ; je souhaiterois que V. G. voulût prendre quelque chose pour se fortifier, & qu’elle se mît l’esprit en repos, pour rétablir sa santé. Hé quel avantage vous en reviendroit-il, repliqua la princesse ? Très-grand, madame, répondit l’adroit médecin ; c’est une opinion générale que l’amour est une espece de phrénesie incurable ; de-sorte que si V. G. goûtoit mon conseil, votre cure me mettroit en réputation ; bientôt tous les amoureux auroient recours à