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gloire, mais pour elle-même & pour le seul bien de l’état. (Le chevalier de Jaucourt.)

UTRECHT, (Géog. mod.) ville des Pays-bas, capitale de la province de même nom, sur l’ancien canal du Rhin, au centre, entre Nimegue, Arnheim, Leyde, & Amsterdam. Elle est à environ huit lieues de distance de chacune de ces villes, & à douze lieues nord-ouest de Bois-le-duc.

On croit qu’elle a été bâtie par les Romains, qui la nommerent Trajectum, parce qu’on y passoit le Rhin. De l’ancien nom Trajectum, on a fait Trecht, & on la nommoit encore ainsi sur la fin du treizieme siecle, comme on le voit par l’historien Froissart. Pour distinguer néanmoins cette ville de celle de Maestricht, nommée Trajectum superius, on appella l’autre Trajectum Rheni, Trajectum inferius, & ulterius Trajectum ; comme on le voit par la chronique de Saint-Tron. Enfin de ulterius Trajectum, on a fait Ultrajectum, d’où est venu le mot Utrecht. Longitude, suivant Harris, 22. 26. 15. latit. 52. 50.

Après la ruine de l’empire romain, cette place qui n’étoit alors qu’un château (castellum), fut tantôt occupée par les Francs, & tantôt par les Frisons. Sur la fin du septieme siecle, Pepin, maire du palais, s’empara d’Utrecht, & y établit pour évêque S. Willibrod. Au commencement du neuvieme siecle, cet évêché fut mis sous la métropole de Cologne, & a subsisté de cette maniere jusqu’au seizieme siecle.

La ville d’Utrecht avoit d’abord été bâtie sur le bord septentrional du Rhin, du côté de la Frise ; mais le nombre des habitans s’étant augmenté, on bâtit la nouvelle ville sur le bord meridional du Rhin, dans l’ile & le territoire des Bataves. La puissance de ses évêques s’accrut aussi par la libéralité des empereurs. En 1559, le pape Paul IV. érigea cet évêché en métropole, & lui donna pour suffragant les nouveaux évêchés de Harlem en Hollande, de Middelbourg en Zélande, de Leuwarde en Frise, de Déventer dans l’Over-Issel, & de Groningue dans la province de même nom. Le premier archevêque fut Frédéric Skenk de Tautenberg, président de la chambre impériale de Spire en 1561. Après sa mort, arrivée en 1580, les états généraux appliquerent à divers usages les revenu, de cet archevêché qui se trouvoient dans l’étendue de la généralité.

La ville d’Utrecht s’est extrémement agrandie, embellie, & peuplée, depuis la réformation, ensorte qu’on peut la mettre actuellement au rang des belles villes de l’Europe ; elle est de figure ovale, & peut avoir cinq milles de circuit ; elle a quatre gros faux-bourgs, & quatre paroisses ; mais elle n’est pas forte, quoique munie de quelques bastions & demi-lunes pour sa défense ; ses environs sont charmans, & le long du canal qui mene de cette ville à Amsterdam, on ne voit qu’une suite de belles maisons de plaisance, & de jardins admirablement entretenus.

La magistrature de cette ville est composée d’un grand bailli, de deux bourgmestres, de douze échevins, d’un trésorier, d’un intendant des édifices, d’un président, de trois commissaires des finances, & d’un sénateur ; cette magistrature est renouvellée tous les ans le 12 d’Octobre, & tient ses assemblées à la maison de ville, qui est un bel hôtel.

Utrecht est remarquable par le traité d’union des Provinces Unies, qui s’y fit en 1579 ; par le congrès qui s’y tint en 1712, & dans lequel la paix de l’Europe fut conclue, le 11 d’Avril 1713, le 13 de Juillet suivant, & le 16 de Juin 1714 ; enfin par son université, l’une des plus célebres de l’Europe. Les états de la province l’érigerent le 16 de Mars 1636 ; & elle a produit un grand nombre d’hommes illustres dans les sciences.

Hadrien VI. nommé auparavant Hadrien Florent, naquit à Utrecht l’an 1459, ou d’un tisserand, ou d’un

brasseur de biere, ou d’un faiseur de barques, qui s’appelloit Florent Boyens. Ce pere destina son fils aux études, quoiqu’il n’eût pas le moyen de l’entretenir dans les écoles ; mais l’université de Louvain suppléa à cette indigence domestique ; elle donna gratis à Florent le bonnet de docteur en théologie, l’an 1491, & dans la suite il devint vice-chancelier de l’université.

En 1507, on le tira de cette vie collégiale pour le faire précepteur de l’archiduc Charles, alors âgé de sept ans ; cette place lui valut des recompenses magnifiques, car il fut envoyé ambassadeur en Espagne auprès du roi Ferdinand ; & selon quelques historiens, il ménagea les choses avec plus d’adresse que l’on n’en devoit attendre d’un homme qui avoit humé si long-tems l’air de l’université. Après la mort de Ferdinand il eut une petite part à la régence avec le cardinal Ximenes ; & dans la suite son autorité devint plus grande que celle de ce fameux ministre. L’archiduc Charles partant pour l’Allemagne, lui donna le gouvernement de ses royaumes d’Espagne, en lui associant pour collegues le connétable & l’amirante d’Espagne. Léon X. le nomma cardinal en 1517, & Charles-quint eut le crédit de l’élever à la papauté l’an 1622, après la mort de Léon X.

Le sacré college lui-même en fut surpris, & le peuple de Rome ne goûta point l’élection d’un barbare, qui témoignoit en toutes choses un éloignement du faste & des voluptés contre lequel la prescription étoit déja surannée. Les Italiens disoient publiquement que ce n’étoit qu’un tartufe incapable de gouverner l’Eglise. Il n’est pas jusqu’à sa sobriété dont on n’ait fait des railleries. La cour de Rome passa sous son pontificat d’une extrémité à l’autre. On sait qu’il n’y eut jamais de pape dont la table fut aussi délicate que celle de Léon X. On s’insinuoit dans ses bonnes graces par l’invention des ragoûts, & il y eut quatre grands maîtres en bon morceaux qui devinrent ses mignons ; ils inventerent une sorte de saucisse qui jetta dans l’étonnement Hadrien VI. lorsqu’il examina la dépense de son prédécesseur en ce genre. Il se garda bien de l’imiter, & prit tellement le contrepié, qu’il ne dépensoit que douze écus par jour pour sa table. On ne se mocqua pas moins de la préférence qu’il donnoit à la biere sur le vin, que de celle qu’il donnoit à la merluche sur tous les autres poissons.

Une autre chose le décria chez les Italiens, c’est qu’il n’estimoit ni la poésie, ni la beauté du style ; deux talens dont on se piquoit le plus dans ce pays-là depuis cinquante ans. La fable dont les poëtes embellissoient leurs ouvrages, ne contribua pas peu à la froideur que ce pape leur témoigna, car il n’entendoit point raillerie là-dessus. Il détourna les yeux lorsqu’on lui montra la statue de Laocoon, & dit que c’étoit un simulacre de l’idolatrie du paganisme. Jugez si les amateurs des beaux arts, si les Italiens qui admiroient ce chef-d’œuvre de sculpture, pouvoient concevoir de l’estime pour un tel homme. Les poëtes lui prouverent qu’on n’avoit pas dit sans raison, genus irritabile vatûm. Voici une épigramme dont Sannazar le régala.

Classe, virisque potens, domitoque oriente superbus
Barbarus in latias dux quatit arma domos,
In vaticano noster latet ; hune tamen alto,
Christe, vides cælo (proh dolor !) & pateris.

Tous les savans de son tems se promettoient de l’avancement à son avènement au pontificat, à cause qu’il devoit aux lettres son exaltation, & ce qu’il avoit de bonne fortune ; mais ils demeurerent confondus en voyant qu’il étoit plein de mauvaise volonté contre ceux qui se plaisoient à la belle littérature, les appellant Terentianos, & les traitant de telle sor-