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les envelopper dans des draps qui ont été imbibés d’huile (tels sont ceux qui ont servi à serrer les olives avant de les porter au moulin), parce qu’elles s’engraissent, & deviennent peu propres à l’opération que nous allons décrire, comme aussi on ne doit point employer des vaisseaux de terre qui ont contenu quelque corps gras ou huileux ; ils s’engraissent aussi-bien que les grappes. La seconde préparation consiste à fouler ces grappes de vin, comme on va l’exposer sur le champ.

Procédé dont on se sert aujourd’hui pour faire le verd-de-gris. On prend une certaine quantité de grappes bien séchées au soleil, & on les fait tremper pendant huit ou dix jours dans de la vinasse, par cette macération, elles acquierent environ le double de leur poids : au défaut de vinasse, on peut les faire macérer dans du vin. Cette premiere opération, & toutes celles qui suivent se font à la cave ; quelques particuliers en petit nombre les font au rez-de-chaussée, & en d’autres lieux plus élevés. Voyez mémoires de l’acad. royale des Scienc. année 1753. pag. 626.

Les grappes étant bien pénétrées de vinasse ou de vin, on les laisse égoutter un moment sur une corbeille ; ensuite en les mêlant bien, on en forme un peloton qu’on met dans le vase de terre ; chaque peloton contient environ deux livres de grappes séches, qui imbibées pesent environ quatre liv. on verse par-dessus trois pots de vin qui équivalent à quatre pintes de Paris. On appelle cette manœuvre dans le pays, aviner ; on a soin de retourner ces grappes sens-dessus-dessous, pour qu’elles soient bien humectées par le vin ; on couvre ensuite le vase d’un couvercle, qui est fait avec les ronces & la paille de seigle, qui a un pouce d’épaisseur, & autour duquel il y a un rebord, afin qu’il ferme exactement le vaisseau.

J’ajouterai, que quand on ne met pas les grappes tout-à-la-fois dans le vase, on les remue mieux, & que lorsqu’on fait le mélange de vin & des grappes, il faut les bien battre ensemble, jusqu’à faire écumer le vin ; mais on ne peut bien faire cette manœuvre qu’avec la moitié de grappes qui entrent dans chaque vase. Dès qu’on a battu dans un vaisseau la moitié du vin & des grappes suffisant pour le charger : on agite de même l’autre moitié de vin & de rafles dans un second ; après quoi on met les grappes de ce second dans le premier pour achever de le charger.

Toutes les grappes qui entrent dans un vase ayant été bien pénétrées par le vin, la fermentation se fait beaucoup mieux ; cette agitation rapide, communiquée au vin, favorisant sa décomposition.

Plusieurs particuliers qui font du verdet, remuent les grappes au bout de deux, trois, quatre, cinq & six jours, suivant que la saison plus ou moins froide, & le vin plus ou moins spiritueux les pressent : c’est pour empêcher qu’elles ne s’échauffent trop ; la fermentation acide commençant alors, la chaleur dénote que le vin se décompose. Ils observent de tenir les pots bien bouchés, afin que la fermentation ne se fasse pas trop vîte : d’autres au contraire, trouvent cette manœuvre défectueuse, parce qu’elle interrompt le mouvement intestin qui s’excite dans le vin par le moyen des grappes, & fait perdre ce premier esprit qui s’est développé par ce mouvement : c’est par cette seule raison que la plûpart ne remuent plus les grappes après avoir aviné ; la fermentation n’étant point troublée & se faisant par degrés, on ne perd rien de l’esprit & de l’acide le plus volatil qui est le véritable dissolvant du cuivre.

Parmi ceux qui manœuvrent de cette maniere, les uns quand ils apperçoivent que la fermentation est en bon train, les autres quand elle tire vers sa fin, mettent les grappes sur deux morceaux de bois, dont chacun ordinairement est un parallélépipede de 10

pouces de longueur, d’un pouce 3 lignes de largeur, & de 7 lignes d’épaisseur. Ils placent ces deux morceaux de bois en forme de croix, à 1 ou 2 pouces de distance de la superficie du vin changé en vinasse : la plûpart attendent que la grande chaleur des grappes soit passée ; ils les laissent dans cette situation trois ou quatre jours pour faire, disent-ils, monter l’esprit ; au bout de ce tems ils couvent, c’est-à-qu’ils regardent les grappes de raisins comme prêtes à recevoir les lames de cuivre, & ont soin d’ôter du vase la vinasse & les morceaux de bois.

Les personnes qui s’adonnent à cette préparation reconnoissent de plusieurs manieres le point de la fermentation, & je vais donner celles qui me paroissent le plus essentielles. Ce sont des femmes qui font toute la manœuvre de cette opération ; elles disent que quand il y a une espece de rosée qui ne recouvre que les grappes, placées vers le milieu de la couche supérieure, & qui ne paroît point sur les autres grappes de la même couche qui sont autour de la paroi du vase ; cette rosée est une marque que la fermentation est au point desirée, & qu’on doit saisir cet instant pour ranger les lames de cuivre ; car ce tems manqué, l’acide & l’esprit le plus pénétrant, & le plus volatil, qui est le principal agent de la dissolution de ce métal, se dissipent.

Mais quoique ces attentions suffisent pour connoître le point de fermentation nécessaire à l’opération que nous décrivons, ce que je vais dire des moyens employés pour connoître mieux le point requis de la fermentation acide, de maniere à ne pas s’y tromper, est d’une extrème importance, puisqu’il ne s’agit pas moins que de déterminer avec précision le moment auquel on doit mettre les grappes avec les lames de cuivre. On reconnoit que la fermentation est au degré requis & qu’il faut couver, à une pellicule extrèmement mince qui se forme à la surface du vin changé en vinasse (l’on dit alors que le vin est couvert). Je ne puis mieux comparer cette pellicule qu’à celles qui se forment dans les sources d’eaux minérales vitrioliques ferrugineuses ; tous les chimistes savent qu’il s’en forme dans toutes les liqueurs qui sont sujettes à passer à la fermentation acide. On ne peut bien appercevoir cette pellicule que quand les grappes sont suspendues sur des morceaux de bois ; pour la bien voir, il faut d’abord plonger la main dans le vase, & se faire jour par un de ses côtés, après quoi l’on prend doucement les dernieres grappes qui sont les plus voisines de la superficie du vin, & avec le secours d’une chandelle allumée on distingue très bien la pellicule lorsqu’elle est formée ; autrement les grappes étant mêlées avec le vin, pour peu qu’on les remue, elles la détruisent ; & il est presque impossible de l’appercevoir. La méthode que je viens de rapporter, est plus exacte qu’aucune autre ; c’est par elle qu’on s’assure que le vin ne donne plus de cet acide uni à la partie inflammable qui s’éleve & s’attache aux grappes, & qui étant le premier dissolvant du cuivre, influe essentiellement sur la réussite de l’opération.

Voici un autre moyen pour reconnoître quand la fermentation est finie : on va visiter de tems-en-tems les pots de verdet, on ôte le couvercle ; & si on apperçoit que le dessous est mouillé, c’est une marque que le vin se décompose, & qu’il se fait alors une vraie distillation ; l’humidité du couvercle augmente par degrés, & dure plus ou moins de tems, à proportion de la bonté du vin & du degré de chaleur qui le presse. Dès que le dessous du couvercle est sec, après cette grande humidité, on peut être assûré que le vin a cessé de fournir, en se décomposant, le dissolvant volatil du cuivre, & que les grappes sont prêtes pour le couvage.